Diaire de Brooklyn, New York ( ETATS UNIS )(Jay, Giuliano, Giorgio) de Giorgio: Brooklyn, juin 2004 …Dans le concret de Bushwick, ma vie quotidienne s'articule entre la vie fraternelle, la vie de prière et le travail (j'en suis presque à 7 ans dans la même compagnie, ce qui devrait me donner des garanties de garder le travail même si la ville finit par réduire le service des bus scolaires). Cette dernière année une autre grâce s'est ajoutée: la participation au groupe "Travailleurs en action" dans le contexte de notre association de quartier. Nous sommes quelques 70 travailleurs: presque tous sans papiers et latinos (je suis un parmi 4-5 exceptions). Nous nous réunissons une soirée par semaine, mais nous nous engageons aussi dans des activités pendant les week-ends. Les gens viennent d'abord pour trouver un lieu où pouvoir raconter leur souffrance. Les nouveaux arrivés se lèvent un peu dans le style des Alcooliques Anonymes, et racontent leur propre histoire: les abus ou les exploitations dont ils ont été victimes. Il est important de trouver un lieu où l'on puisse ''dire" sa souffrance et donner des mots à sa propre colère. On écoute des histoires incroyables. Et la réaction immédiate du groupe est "...nous sommes aussi passés par des situations semblables et nous t'aiderons à t'en sortir". C'est comme valoriser la force de la solidarité entre victimes qui portent les mêmes blessures et s'entraident. La coordinatrice du groupe, vient de là aussi. Marie a été obligée par le patron à travailler toute seule pendant la nuit sur une machine assez dangereuse: ses cheveux ont étés engloutis par la machine et elle a à peine eu le temps de pousser le bouton qui a arrêté la machine. Elle est restée avec la tête coincée, seule dans la nuit, jusqu'au moment où le patron est apparu le matin. Avant de la libérer il lui a dit qu'elle était licenciée. José travaillait dans une usine de chaussures pour la danse où le patron sans cesse abusait et insultait les travailleurs. Quand quelqu'un faisait une erreur, il lui faisait porter autour du cou un carton qui disait "Je suis stupide" (il y a des photos qui en témoignent). José a dû faire 2 ans de traitement psychiatrique pour retrouver un minimum de confiance en soi-même. Après avoir écouté des histoires de ce genre, il y a des plans d'action qui sont ébauchés et réalisés dans les mois suivants: lettres, manifestations, boycottages auxquels nous tous tâchons de participer. En même temps il y a aussi des actions légales, car dans le groupe il y a une avocate. Plusieurs cas ont déjà été gagnés par cet alliage d'action populaire à la base et d'action légale face au tribunal du travail. Pendant l'hiver j'ai participé au boycottage d'un grand magasin du quartier dont le patron devait 85.000 dollars à 5 jeunes filles mexicaines. J'avais choisi les dimanches et j'allais donner des feuilles aux clients qui rentraient dans le magasin, tout en cherchant à leur parler. J'étais en équipe avec Bert, un chauffeur de poids lourds anarchique qui a appris à trouver vraiment sa joie dans la lutte pour la justice. Un dimanche ensoleillé et glacial, il a laissé son poste, à la deuxième porte d'entrée, pour venir me dire en deux mots: "Quelle joie de se retrouver ici, sous ce beau ciel, engagés dans cette lutte: je pense à tous ceux qui passent le dimanche face à la télé, regardant du sport. Nous sommes tellement plus heureux!" Je n'oublierai jamais le rayonnement de son visage (et je n'osai pas lui avouer combien j'aime les sports). En tout cas, après deux ans de lutte, le groupe vient de célébrer une victoire presque totale dans cette affaire. Je m'arrête là bien que la tentation de partager d'autres histoires soit grande. J'ajoute seulement que, un peu comme Bert, je trouve de la joie dans ce groupe. Cela m'aide à consolider mes racines dans le quartier, me met en contact avec tout un monde d'immigrants pauvres et exploités (dont les visages sont des icônes du Royaume) et me fait découvrir de nouvelles significations du mot "solidarité". Le slogan que nous crions à la fin de chaque réunion et manifestation est: "Sí, se puede![1]"
Giorgio dans son bus de Giuliano: Pour aller au travail et pour en revenir, à la fin de la journée, je parcours toujours, plus au moins, le même chemin. Il me faut 20-25 minutes à chaque fois. C’est une bonne marche, qui aide à maintenir la forme, et une manière pour traverser notre quartier et le connaître un peu mieux. Bushwick, ainsi s’appelle notre quartier, est une zone de Brooklyn bien intéressante, soit à cause de son histoire soit à cause des différents groupes humains qui l’habitent actuellement. Cela fait déjà trois ans et demi que j’y habite, depuis le jour où les frères m’ont accueilli à New York. J’arrivais alors des collines de Spello,[2] recouvertes d’oliviers, et je ne savais pas trop ce que j’allais découvrir dans cette étendue sans fin de maisons. On ne s’ennuie pas quand on marche dans Bushwick. La première rue que je parcours est Palmetto Street. Rue qui a eu son moment de gloire quand, à cause d’une de ses maisons, où l’on trafiquait de la drogue, un groupe de l'Ouest du pays créa un "rap" qui devint fameux dans tous les USA. A tel point que la police dût intervenir et fermer la maison. Or, malgré le fait que le quartier soit en train de changer petit à petit, selon des statistiques d’il y a deux ans, Bushwick était encore le numéro 1 dans la ville de New York pour le trafic de drogue. Parfois Palmetto Street m’accueille, le matin, avec des bruits plutôt inhabituels pour une rue d’une grande ville: le chant des coqs (les combats de coqs sont bien populaires parmi les hispaniques, qui sont la moitié de la population du quartier) et même le hennissement d’un cheval...; et si je regarde en haut, voilà des groupes de pigeons qui volent autour du toit de la maison de notre voisin qui (lui de couleur, comme l'autre moitié des gens du quartier) a cette passion des pigeons. Et il me regarde passer avec une appréhension amusée depuis qu’on lui a dit que les Italiens mangent les pigeons. Mais beaucoup de nouvelles maisons ont été bâties, surtout ces dernières deux années, dans beaucoup de ces terrains vagues qui à l’arrivée des frères, il y a 8 ans, étaient nombreux et devenaient décharges d’ordures entre autres choses. Et ces nouvelles maisons ont amené une population, disons, plutôt de petite classe moyenne. Donc certaines zones du quartier deviennent plus respectables. Le quartier ne m’a jamais paru particulièrement dangereux, même s’il n’a pas une bonne renommée. En marchant je rencontre toujours plus au moins les mêmes personnes: étudiants, qui vont à l’école, vêtus à la manière typique de ce genre de quartier, comme pour affirmer leur identité, avec pantalons trop larges et trop longs, et le “du rag” ou bandana sur la tête, ou gens qui se rendent au travail. De petits ateliers ouvrent leurs portes: il y en a un juste à la fin de notre carré de maisons d'où, parfois, des gens rencontrés à mon travail me saluent. C’est un atelier où on achète les métaux que beaucoup de gens sans travail ramassent dans la ville. Très nombreux sont ceux qui vivent de cette activité de ramassage de tout ce qui est recyclable et qui se trouve dans les poubelles ou abandonné (ou presque...). Ils parcourent la ville avec des chariots de supermarché surchargés de sacs noirs de poubelle pleins de toute sorte des choses.. Ainsi j’arrive à Bushwick Avenue qui donne le nom au quartier et qui, avec ses vieilles maisons et ses grands arbres, a un aspect plus que respectable, de l'époque où ici les Allemands, qui les premiers ont habité ce quartier, produisaient de la bière. Puis les Italiens prirent en partie leur place, et enfin les noirs et les hispaniques. A l’angle de Bushwick Avenue je rencontrais toujours, sauf quand il faisait très froid ou qu'il pleuvait, une vieille dame élégante qui, assise sur une chaise, proposait, sans dire un mot, des revues des Témoins de Jehova. Beaucoup la connaissaient et s’arrêtaient un instant. Depuis un certain temps je ne la vois plus... Comme ici le trafic est intense à cette heure, je préfère souvent marcher sur Broadway, une rue marchande pleine d’activité. Ici on rencontre toutes sortes de gens: policiers qui prennent leur café, avant et pendant et à la fin de leur service, clochards qui ayant quitté l’endroit où ils ont passé la nuit sont à la recherche de quelques pièces de monnaie, femmes fatiguées de leur nuit, femmes noires élégantes donnant des revues sur la "Fin du Monde", gens qui se dirigent, pressés, aux stations du train, groupes des travailleurs mexicains sur les chantiers, chinois et coréens ouvrant leurs restaurants ou leurs boutiques, pakistanais ou indiens refaisant le pavé des trottoirs, vendeurs de choses usagées avec leur marchandise étalée sur le trottoir, et, avec leur tablier blanc, le "docteur", comme je l’appelle, qui assis sur une chaise et en face d’une petite table, pour 1 $, mesure la pression du sang, etc... Je commence à connaître des personnes dans les boutiques. Comme un vieux noir sympathique, Jonas, qui vend des matelas (le meilleur nom possible pour son travail depuis qu’un autre Jonas s’endormit sur un bateau en s’échappant à ses responsabilités envers la grande ville), c’est chez lui que j’ai acheté le mien et j’y dors dessus, moi aussi, très bien... Ou alors ce marocain sans papier qui travaille dans un magasin où tout coûte 99 cents. "En ce pays ce n’est pas facile maintenant pour un arabe" me dit-il souvent. Et une fois, en écoutant parler français, un de ses camarades de travail, un gabonais qui était venu aux USA pour devenir pilote d’avion, puis s’étant retrouvé au chômage dans son pays était revenu ici, ajouta, lui aussi en français: "Les temps sont durs pour qui est venu ici apprendre à piloter un avion..." (Les deux faisant allusion à ce qui c’est passé le 11 septembre 2001). Leur travail c’est de contrôler les clients dans le cas ils oublient de payer quelques articles... Beaucoup d’africains sans papier font ce même travail. Avant de quitter Broadway je passe devant un de ces magasins d’articles religieux qu’on appelle "Botanica". Ils vendent de tout et pour toutes les religions ou exorcismes variés. C’est un commerce fleurissant car nous sommes dans un pays très religieux. Dans tous ces quartiers il y a en moyenne deux ou trois églises chrétiennes, de dénominations différentes, par carré de maisons. Sans doutes ces petites églises fondées souvent par des gens du quartier aident beaucoup de personnes à vivre, si ce n’est au moins le pasteur. Comme cette Église qui chaque jeudi distribue de la nourriture et la queue des gens en attente est longue de trente mètres! Me voila arrivé à Hart Street; dans cette rue les frères ont habité un temps, de suite après avoir déménagé à Brooklyn. Je tourne à gauche et petit à petit je rentre dans le quartier Bedford and Stuyvesant, le plus grand quartier noir de New York, où se trouve la "Soupe populaire" où je travaille. Quand j’arrive, devant l’entrée, comme à l’intérieur, c’est déjà bien rempli. A partir de 8 heures on a en effet commencé à servir le petit déjeuner. *** Quand j’avais atterri à New York une des premières choses que les frères m’avaient dit c’était que j’avais peut-être déjà du travail (trop de bonté!...). Ils avaient reçu, quelques deux ou trois mois auparavant, la visite d’une Fille de la Charité qui leur avait parlé du programme dont elle était chargée et qui allait commencer bientôt et pour lequel elle aimerait bien avoir un frère pour y travailler comme chauffeur. Il s’agissait en effet d’un nouveau programme de "Soupe Populaire Mobile" au sein du plus grand programme de Soupe Populaire, qui lui existe depuis une vingtaine d’années. Comme à mon âge, et en plus avec le visa que j’avais à mon arrivée, on ne trouve pas du travail facilement, j’ai pensé que c’était peut-être bien d’appeler la sœur en question pour voir si l’offre était toujours valable. Or ils avaient trouvé le chauffeur, José, mais ils cherchaient quelqu’un d’autre pour être au moins trois dans l’équipe. Résultat de tout ça: deux semaines après mon arrive je commençais à travailler, avec la position de Coordinateur des volontaires: à l’époque je ne savais pas ce que ça pouvait signifier. J’avais tout à apprendre. Comme je viens de le dire, la Soupe Populaire a une vingtaine d’années de vie. Elle fut fondée par une "Fille de la Charité" et bien vite dût s’agrandir à cause des grandes nécessités du quartier. Actuellement elle est capable de préparer plus de 1000 repas par jour. Mais surtout, sans en rester à la seule nourriture, elle a su se doter aussi des services sociaux nécessaires pour servir ce type de population. Nous sommes plus au moins 25 personnes à y travailler à temps plein sans compter les très nombreux volontaires qui donnent souvent un précieux coup de main. Il y a plus au moins 4 ans, le rêve du directeur de l’époque et de quelques dirigeants d’avoir aussi une unité mobile, pour rejoindre les gens incapable de venir à la Soupe Populaire, pouvait commencer à se concrétiser car les fonds nécessaires pour ce projet avaient pu être réunis. Moi j’arrivais justement quand une partie du travail de préparation (enquêtes dans les différents quartiers pour voir les besoins et les services déjà présents, contacts avec les communautés locales etc.) avait déjà été fait mais on n'avait pas encore reçu le bus qui allait servir pour l’opération. Je me rappelle encore le choc à la vue de l’engin, qui a la taille d’un bus de ville et duquel j’étais le chauffeur en second, sans avoir encore le permis de conduire et sans avoir jamais conduit dans ce pays. Mais petit à petit tout s'est mis en place, grâce surtout à mes deux compagnons de travail. Un troisième, psychiatre pakistanais en attente de passer l’examen d’état pour pouvoir exercer aux USA, vint assez vite renforcer l’équipe. On était donc deux en charge du bus et du service de la nourriture et deux pour les services sociaux. Pendant deux années nous sommes allés tous les jours en deux endroits, en nous appuyant sur deux paroisses catholiques et deux groupes de volontaires, dans deux quartiers de Brooklyn assez connus; on en parle assez souvent dans les journaux en effet car ils ont malheureusement le plus haut nombre de crimes de tout New York. Même, au début, le commissariat d’un des quartiers nous envoyait deux policiers pour veiller aux opérations, ce qui était assez embêtant. Heureusement après la première semaine sans incidents ils arrêtèrent de venir. Il faut dire que la paroisse en question avait essayé d’avoir une soupe populaire mais avait dû arrêter car plusieurs fois des clients avaient tout cassé. Dans ces deux endroits nous servons en tout plus au moins 200 personnes. Nos clients viennent pour différentes raisons: il y a bien sûr des "sans toit" mais la majorité ce sont des gens avec des problèmes de drogue ou alcool, maladie, chômage, prostitution, etc. et aussi des profiteurs. Vous voyez le genre de faune... Après deux ans nous avons pensé qu’on pouvait réduire un peu le service dans ces deux communautés. Maintenant nous allons une fois par semaine rencontrer deux groupes de travailleurs immigrés sans papiers qui attendent au bord de la rue des occasions de travail pour la journée, ici aussi 200 personnes; nous allons aussi une fois par semaine à une autre Église où les clients sont plutôt du genre clochards (car là nous sommes à coté de la plage) et des gens avec des problèmes psychiatriques: nous y servons une centaine de personnes. Ce qui m’a de suite plu c’est l’esprit de coresponsabilité que la sœur, dès le début, a su donner à l’équipe, et l’orientation du projet qui petit à petit a pris forme: non seulement répondre aux besoins immédiats de nourriture mais créer une relation qui permette de regarder aussi, si la personne le veut, aux problèmes personnels, comme dépendances de l'alcool et de la drogue, violences domestiques, logement, travail, etc., bien sûr en référant la personne aux services spécialisés. Parfois nous offrons aussi services légaux et services médicaux avec des équipes de professionnels. Au fond il s’agit, par la nourriture que nous donnons et par la qualité de respect et la convivialité qui se crée petit à petit, de gagner la confiance, parfois l’amitié, et pouvoir alors dialoguer sur les difficultés et les problèmes plus profonds de chacun. Une chose qu’on a vite comprise, c’est que les personnes, qui viennent à nous, recherchent avant toute confiance et respect. Je ne sais à quel saint il faut rendre grâce, mais en 3 ans et demi nous n’avons jamais eu d’incidents sérieux, ce qui étonne beaucoup un policier de quartier qui de temps en temps vient prendre une soupe chez nous. Et pourtant il ne s’agit pas d’enfants de cœur. La preuve c’est que dans la même période de temps trois des nos clients réguliers ont été tués dans le quartier, l’un d'eux de façon vraiment tragique, et un autre se retrouve complètement paralysé dans un hôpital. C’est difficile d’oublier ce matin-là quand en arrivant, comme d’habitude, on nous a annoncé que Billy avait été tué pendant la nuit. Billy était un des vrais clochards qui venait tous les matins chez nous, même quand, ayant bu, il avait du mal à suivre le chemin. Tous dans le quartier l’aimaient bien, même si on se tenait un peu loin de lui car il dégageait une certaine odeur. Billy passait les nuits, le plus souvent, même en hiver, dans une voiture toujours parquée près d’un poste à essence. Cette nuit là, deux jeunes, sur les 14 ans, passant par-là se sont mis à s’amuser sur lui. Il a sans doute réagi et alors les deux gamins ont commencé à le frapper le poursuivant jusque devant l’Église où, au pied de la statue de la Vierge, ils l’ont achevé à coups de briques sur sa tête. Le curé, réveillé par le bruit, a alors donne l’alarme, mais c’était trop tard. Deux jours après ont eu lieu les funérailles dans l’Église et un grand nombre de nos clients étaient présent. Pendant la Messe j’ai été témoin de deux choses qui m’ont profondément ému et ont presque suscité un peu de jalousie, car qui ne voudrait pas des funérailles ainsi! A l’homélie le curé a répété plusieurs fois: "Billy, tu n’es plus quelqu’un sans demeure. Tu n’es plus quelqu’un sans demeure. Maintenant tu demeures dans la maison du Père pour toujours." Et puis au moment de l’offertoire j’ai vu avancer quelqu’un que je connais bien, Linda, une jeune prostituée qui se drogue beaucoup. Elle s’est rendue jusqu’au cercueil de Billy, l’a embrassé avec force et elle est sortie lentement de l’Église. J’ai vu des larmes dans les yeux de beaucoup. *** Il faudrait des pages et des pages pour parler de tous les clients, car beaucoup ont souvent une histoire assez incroyable. Mais il y en a un qui est vraiment remarquable et qui a été, pendant plus de deux ans, une figure marquante parmi nos clients: Abraham. Quand nous avons commencé à aller chaque jour à l’église de la Présentation, il était connu de tous dans le quartier depuis déjà une quinzaine d’années car il avait établi ses quartiers juste à l’entrée de l’église sous une tente, faite des toiles variées, attachées à deux arbustes. Il vivait là, été comme hiver, et les curés successifs, (chapeau!), l’avait laissé faire, et même, comme ils laissaient l’église ouverte la nuit, parfois les nuits plus froides il pouvait y trouver refuge. Il faisait penser un peu à l’icône de l’hospitalité d’Abraham à Mambré. Les gens passaient lui dire bonjour et s’entretenaient avec lui. Il avait même des disciples qui venaient parler avec lui et lire ensemble ou le Coran ou la Bible. Certains se rappelaient de lui du temps où il avait eu un bon travail et vivait dans une maison. Puis un beau jour il avait tout laissé et s’était réfugié sous sa tente d’où il regardait le quartier vivre à un rythme qui n’était plus le sien et poursuivre des valeurs qui ne l’intéressaient plus. Un jour, en arrivant, on ne l’a pas vu: il avait été attaqué le matin tôt par des chiens et blessé avait été amené à l’hôpital. De l’hôpital il a été amené, ensuite, dans une maison de repos, où il est encore. Des dames de la paroisse vont le visiter et il aime réciter le chapelet avec elles. Il n’est peut-être plus le prophète qu’il a été pendant des longues années quand il accueillait sous les arbustes, mais il reste quelqu’un, comme j’en ai connu d’autres grâce à ce travail, qui m’a montré une manière différente d’être heureux…. |