ROQUETAS DE MAR (Espagne)

Déjà à Bruxelles et puis chez les Petit Frères de Jésus à Malaga, tout le monde m’avait prévenu: "Cher Marco, si tu vas à Roquetas et que ç'a fait 20 ans que tu n’y es pas revenu, tu vas pas la reconnaître". En effet, depuis le car sur l’autoroute (qui, en 83-84, année de mon noviciat, n’existait pas), j’avais de la peine à reconnaître la région: des nouveaux quartiers, des nouvelles routes, usines et invernaderos (les serres) se trouvaient là où il y avait un peu de terre et beaucoup de cailloux.

Sur le bus entre Almería et Roquetas, j’arrivais à repérer encore certains quartiers: Aguadulce, El Parador. Mais heureusement qu’il y avait Juan à m’attendre parce que j'aurais eu beaucoup de peine à trouver la fraternité.

La commune fait aujourd’hui 65.000 habitants recensés, plus tout ceux qui se trouvent en situation irrégulière (entre 10.000 et 15.000). En été, avec les touristes, la population passe à 130.000. En 1981, la commune comptait 20.000 habitants. Une recherche récente a montré que entre touristes et travailleurs étrangers, surtout magrébins, africains et immigrés des pays de l’Est, Roquetas compte 104 nationalités. J’étais surpris de rencontrer au fin fond de l’Espagne un pope orthodoxe roumain qui, accompagné par sa famille, était venu pour être présent parmi les nombreux orthodoxes roumains.

       Coté emploi, entre l’agriculture en serre, les services, le tourisme et le bâtiment, ces deux derniers encore en forte expansion, il n’y a pas beaucoup de chômage, par contre, surtout dans l'agriculture et le tourisme le travail est souvent saisonnier.

       Le changement est fort aussi dans la manière de vivre. Un soir, nous avons rendu visite à l’agriculteur qui m’avait embauché pendant mon noviciat. A l’époque il travaillait avec ses ouvriers dans les serres, souvent il y avait aussi sa femme qui avait déjà trois enfants. Maintenant il dirige une coopérative agricole qui arrive à exporter en avion jusqu’au Canada, il ne conduit plus son vieux fourgon cabossé, mais une belle Mercedes et sa fille aînée est pharmacienne à Madrid. Ce n’est pas comme cela pour tout le monde, mais ce n’est pas non plus un cas isolé. La fille aînée du patron de Juan Francisco est médecin et fait de la recherche en neurochirurgie à Londres. C’est significatif quand on sait que souvent les grands parents étaient des petit paysans de la "sierra", à l’intérieur du pays: quelques oliviers, quelques amandiers, un peu de brebis et de chèvres; une agriculture de subsistance; parfois la faim.

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       Par ces remarques, bien partielles et limitées évidement, je voudrais vous partager une réflexion.

       Parfois nos fraternités vivent dans des contextes qui changent très rapidement. Ces changements peuvent toucher en profondeur la vie concrète de nos amis. Des manières de vivre se perdent, d’autres arrivent. Certains repères restent, d’autres pas et des nouveaux se forment.

Il me semble que la Fraternité, par sa manière d’être, par son vivre avec, ne peut pas ne pas ressentir ces mutations. Dans la mesure où elle partage le destin des "petits", qu’elle essaye de marcher à coté d’eux et de chercher avec eux des chemins de libération et de vie, elle aussi est appelée à affronter et à traverser les changements.

En regardant les chantiers de constructions - une fois j’ai compté 23 grues - ces collines et ces versants de montagne creusés pour installer des serres et faire passer des routes, j’ai pensé aussi à nos chantiers "intérieurs". Nous aussi nous changeons. Plus lentement peut-être, mais ces changement nous sont tellement intimes et proches que sans un regard extérieur nous arrivons difficilement à les repérer.

La fidélité dans les changements, à mon avis, est aussi le fruit d’un discernement. Je crois que ce discernement est possible là où il y a parole et écoute, ouverture et respect. Et je constate que je ne peux pas faire ce travail tout seul. En effet, je crois beaucoup à la fidélité comme ouverture et respect à l’évènement, à l’autre, et à l’Autre.

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Là, je reviens à Roquetas et à ce que vivent les frères.

André est depuis quelques années vicaire d’une petite paroisse à quelques kilomètres de Roquetas. Par ce service, il arrive à contacter des milieux et des personnes très variées. Dans ses multiples rencontres, il est souvent à l’écoute et témoin des tensions et des difficultés qui se passent dans de nombreuses familles: le soi-disant "progrès" a parfois un prix humain énorme. Il anime plusieurs petits groupes: de pastorale ouvrière, partage de la Parole… Il exerce la "réflexologie", une des techniques de la "médecine douce" (massage de la plante des pieds) et il forme aussi des personnes pour cela. Notre frère Juan est un des ses "patients", son dos en est bien soulagé.

Tandis que la maison de mon noviciat est devenu une belle villa, celle du noviciat suivant (après 1984) est habitée par un groupe d’ouvriers agricoles africains. Juan Francisco partage un peu leurs conditions de travail. Il est embauché à mi-temps dans l’agriculture de serre. Notre frère prend aussi le temps pour visiter des amis, pour quelques engagements ponctuels et pour faire de la fraternité un lieu accueillant.

Vous décrire ce que fait notre frère Juan prendrait beaucoup de temps. Il travaille comme comptable et gestionnaire pour une association à but culturel et social. Il est fort engagé dans plusieurs associations, à la paroisse etc. Il fait partie d’un "groupe de diffusion" au niveau national pour faire connaître la Famille de frère Charles (expérience intéressante de coordination et d'animation où collaborent toutes les branches: religieuse/eux, laïcs, prêtres, communautés…). Dans ce contexte, il est engagé dans la mise à jour du site Internet de la Famille Charles  de Foucauld en Espagne: (http://www.carlosdefoucauld.org).

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Et puis il y a "frère soleil", la mer et ses couleurs … C’est vrai, je viens de la Belgique! Et puis mon origine ne me rend pas très impartial! Mais c’est vraiment beau de se promener au bord de la mer, d'apercevoir à travers elle que Lui aussi est à jamais à coté de nous, qu’il traverse avec nous nos changements.