Depuis dix ans, Luigino a fixé sa roulotte dans un camp de gitans "Sintis", au bout de la piste d'atterrissage de l'aéroport de Bologna (Italie centre Nord). La vie y est rythmée par les avions qui, tous les dix minutes, survolent le camp pour se poser. J'ai passé quelques jours avec Luigino. La présence de la fraternité au milieu des gitans a une longue histoire: celle-ci a commencé en 1970 avec Luigino et Tullio dans le Nord de l'Italie. Plusieurs frères ont passé une partie de leur vie au milieu de ces gens. Pendant plusieurs années, il y a même eu deux implantations: une fraternité de trois frères dans la région de Udine (Nord Est de l'Italie), en lien avec Luigino inséré dans un autre camp. Les deux implantations étaient dans des milieux gitans différents, les Roms et les Sintis… Depuis la fermeture de la fraternité de Udine (1992), Luigino reste seul dans cette insertion. Quelques 70 à 80 personnes vivent dans ce camp établi provisoirement sur un terrain appartenant à la commune de Bologna, en attente de l'aménagement d'un terrain plus définitif... Près de la roulotte de Luigino, il y a celle d'un prêtre capucin qui vit dans ce camp depuis quinze ans… De temps à autre, une fraternité de Petites Sœurs de Jésus pose la sienne là aussi: elles tournent principalement dans les trois camps "sintis" de Bologna, mais aussi dans le sud de l'Italie. Lors de mon passage elles étaient là. Chaque matin, nous priions ensemble les laudes. Chaque soir, nous nous retrouvions pour la célébration de l'Eucharistie: y venaient une ancienne du camp et quelques enfants. J'ai beaucoup apprécié ce rythme commun régulier de prières et de célébrations, que le capucin et Luigino tiennent aussi quand les petites sœurs ne sont pas dans leur camp. Enveloppant chaque journée, il donne tout son sens et toute sa dimension à leur présence de proximité et de partage de cette vie en camp. "Vivre dans un camp comme celui-ci, c'est vivre dans un monde différent par rapport à la société environnante. Cela ne paraît pas au premier abord, car dans ce monde-là les facilités de consommation s'imposent comme ailleurs, ceci encore plus fortement chez les plus démunis. Comment résister à la TV et aux "facilités" qu'elle montre? Il peut y avoir une apparence d'uniformité avec le monde extérieur au camp (automobiles, télévision, habits, caravanes etc.). Il y a un défi à reconnaître les particularités, les réactions, le rythme des relations qui sont propres à nos amis "Sintis", pour les partager." C'est sûr que chaque peuple et chaque région dans un pays ont leur propre culture. Ce qui frappe ici, c'est la brusquerie du passage d'un monde à un autre, d'une culture à une autre. Le camp est un véritable îlot: une trentaine de roulottes où se développe une culture différente de celle environnante avec ses propres critères, ses propres valeurs, ses propres normes et son propre style de vie; un petit groupe de gens qui vivent, pensent et réagissent si différemment de la majorité environnante, que naissent facilement jugements, méconnaissances et préjugés surtout de la part des gens de l'extérieur, les "gadgés". Notre ami capucin, Luigino et les petites sœurs sont là en tant qu'hôtes. C'est à la lumière du mystère de Nazareth qu'on peut comprendre leur présence dans ce camp. La plupart des gens du camp vivent de petits boulots; chacun se débrouille et fait ses affaires: là-dessus il y a beaucoup de discrétion. Peu ont des emplois plus ou moins fixes. Luigino fait du commerce de ferraille, un peu de transport avec un petit camion… Il saisit aussi toutes les occasions qui peuvent être sources de rapport: un matin, nous sommes allés ramasser des oignons. La machine était passée et avait laissé les petits ou les 'hors calibres'. Nous avons pu en récolter assez pour les besoins de longs mois, pour des cadeaux ou des échanges. Luigino voit le sens de sa présence dans ce camp "dans 'une vision de foi' qui veut affirmer la priorité du travail de l'Esprit en tout homme. Être avec des amis que les critères de 'ce monde' placent 'en marge', c'est refuser la validité de tels critères, c'est découvrir contemplativement la 'justice de Dieu' en œuvre, c'est reconnaître avec étonnement le 'magnificat ' réalisée." |