Diaire de Beni Abbès (Algérie)
(Henri, Xavier et Bernard )
de Bernard
Octobre 2005
A Spello,
il y a un ermitage dont le Saint Patron a été canonisé par les frères
avant d'avoir fait des miracles: il s'agit de Saint Élie. Des miracles,
Saint Élie en a fait à Spello, après sa canonisation. L'ermitage, dont
il est le protecteur, a résisté à trois incendies, un tremblement de
terre et une vente qui lui aurait fait perdre son nom et son statut
d'ermitage. J'étais moi-même présent au troisième incendie et au
tremblement de terre, émerveillé de voir cette petite bâtisse sans
ciment, résister de cette manière.
Des frères dans la cour de l'ermitage à Beni Abbès
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Pour Charles de Foucauld,
il a fallu attendre un miracle pour que l'Église, à travers ses
autorités compétentes, reconnaisse son état de Bienheureux et le fête
ce 13 novembre 2005. Je voudrais profiter de cette occasion pour vous
dire simplement quelque chose qui me touche de près, car je vis
maintenant ici dans son ermitage de Beni Abbès. Même si l'édifice a été
consolidé, même si ses dessins sont des copies, même si le sable de la
chapelle n'est plus celui de 1901 (car nous le renouvelons tous les
quatre ans), nous sommes quand même un peu chez le frère Charles ici.
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Pour
le peuple d'Israël, Élie est vraiment un grand homme. C'est le prophète
par excellence, celui que l'on attend encore à chaque Pâques, car il
anticipera le Messie. Charles de Foucauld voulait évangéliser les
populations locales… En fin de compte, dans le silence du désert et au
contact des populations touarègues, il sera l'occasion de la révélation
d'un Évangile "pour ceux qui ont des oreilles pour entendre"… De même
Élie, fort de son état de prophète, voulut révéler la force de Dieu son
Seigneur, n'hésitant pas à s'opposer au Roi injuste (voleur de la vigne
de Nabot), et aux faux prophètes qui défendaient les idoles. Il
n'hésita pas à avoir recours à la violence et à l'épée… Tout cela le
portera à l'exil. Il ira même jusqu'à désirer mourir. Mais, dans le
silence du désert, à l'abri des rochers, Élie sera (peut-être à son
insu) l'occasion de la révélation du visage de Dieu, non pas comme
"Ouragan destructeur", mais comme "brise légère", le Seigneur, le
discret, le caché, "pour ceux qui ont des oreilles pour entendre".
A
Beni Abbès, Charles de Foucauld a dû faire l'apprentissage de la vie
missionnaire, et il est tombé dans le piège des débutants. Voulant
partager avec tout le monde, il va se retrouver avec des files de gens
à la porte. Arrivant en terrain conquis, avec une garnison militaire à
proximité, étant du côté des occupants et ayant la religion des
occupants, il manquera un peu de discrétion, avec son gros chapelet à
la ceinture et le cœur et la croix bien ostensible sur le devant, plein
du désir de faire quand même quelques baptêmes, et puis établir là une
communauté avec des confrères qui auraient dû arriver. A Beni Abbès,
Charles de Foucauld ne restera pas 3 ans. Son départ pour Tamanrasset
sera motivé par des propositions qui lui ont été faites et une caravane
qui descendait vers le Sud.
A
Tamanrasset, la garnison militaire sera construite 3 ans après son
arrivée et sera assez éloignée (50 kilomètres). Charles se retrouvera
seul avec une population nomade et non plus villageoise. Il ne donnera
plus n'importe comment, ne construira rien pour des moines, mais plus
tard, un fortin pour les gens. Petit à petit il ne portera plus le
chapelet ni le cœur avec la croix sur le pectoral. Il sera avec ceux
qui l'ont accueilli en "fils d'Adam'" comme un homme s'intéressant à
ces hommes et ces femmes, à leur culture, leur langage, leur poésie,
leur musique…
Dans
le désert, Élie se sent seul, découragé par une mission qui a mal
tourné. Il ne mange plus, c'est la déprime. Et le Seigneur va le
relever, lui redonner courage et nourriture. Un corbeau lui portera à
manger. Charles de Foucauld lui aussi, dans le désert rocheux du
Hoggar, loin de tout, a probablement la sensation d' un échec: Pas un
compagnon n'est arrivé, l'Évangile n'intéresse que lui, dans cet
endroit retiré. On ne lui permet pas de dire la messe tout seul, et
plus tard, de conserver le Saint Sacrement dans le tabernacle: à
Tamanrasset, Charles de Foucauld restera six ans avec un tabernacle
vide !... Il mange peu et mal, jusqu'à devenir malade. Mais le Seigneur
va le relever en passant par l'aide que lui donneront les touaregs, qui
se privent pour le guérir, comme la veuve de Sarepta, pour nourrir Élie.
Plus
j'avance dans la Fraternité et plus Charles de Foucauld m'est un frère,
surtout par le concret de son humanité avec ses incohérences, ses
déséquilibres affectifs, le poids de sa formation et de son
environnement.
Pour
accompagner le vicomte de Foucauld au Maroc, monsieur Mac Carthy ne
trouve que le rabbin Mardochée qui marchait avec peine, n'entendait
plus beaucoup et ne voyait pas très clair. Mais c'était un grand
connaisseur de l'arabe (étant né au Maroc), de l'hébreu (ayant étudié à
Jérusalem), et des langues berbères, sans parler du français (étant
employé par la Société de Géographie). Mais le pauvre Mardochée mourra
une année après cette fameuse "Reconnaissance au Maroc". La manière
dont Charles de Foucauld traitera cet homme dénote quand-même des
problèmes à peine cachés... Ce qu'il écrit des Allemands est d'une
rancœur qui montre que son passé alsacien n'était pas du tout
pacifié... Il n'a pas non plus pris suffisamment de distance par
rapport à son passé militaire et à la colonisation .
Il
était vraiment de son temps. Pour ce qui est de sa dévotion au
Sacré-Cœur et au Saint-Sacrement exposé, il n'est pas vraiment
original. Il avait la religiosité typique de la France de son époque.
La dévotion qui soutenait la foi de Frère Charles n'est plus celle qui
soutient la mienne. Les représentations naïves du Sacré-Cœur, de la
Sainte Famille (etc.), quelquefois me dérangent même, ainsi que les
expositions trop fréquentes. Mais je suis quand même chez frère Charles
ici, à Beni Abbès et je n'ai pas du tout l'intention de me priver de sa
sensibilité religieuse ni de celle de plusieurs frères, sœurs ou
retraitants qui vivent et passent par ici. Mais j'aime aussi sortir de
la chapelle pour aller prier ailleurs… |
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