Gotthard1Diaire de Leipzig ( Allemagne )

(Gotthard , Michael , Andreas )

-         de Gotthard :

 

Août 2006

Cela fait déjà une bonne année que je suis parti de Bruxelles. J'ai commencé par un temps de retraite dans l'ermitage des Petits Frères de Jésus de Zürich (en Suisse), et ensuite j'ai pris un bon temps de vacances.

Pendant ce temps, Michael et Andreas ont cherché un lieu pour une nouvelle insertion en Allemagne de l'Est. En septembre 2005, nous avons fait un voyage à Leipzig (tous les trois ensemble) pour que je puisse faire connaissance avec cette ville… Après quatre jours, nous avons décidé d'y fonder notre fraternité.

Allema3Nous sommes toujours aussi contents de ce choix : très vite, nous avons trouvé un grand appartement (pas trop cher), dans un quartier qui est intéressant et significatif pour cette ville. Le jour après notre déménagement, Andreas a commencé à travailler comme emballeur de livres.

Nous sommes bien accueillis par l'Eglise locale (la paroisse, les communautés religieuses présentes dans la ville) : les Jésuites nous ont hébergés dès les premiers jours, et nous ont fourni la moitié de nos meubles….

Michael est originaire de l'Allemagne de l'Est, d'une petite et très belle ville, appelée Görlitz; il a étudié à Erfurt et il connaît bien l'Allemagne de l'Est. Mais pour Andreas et moi, qui sommes de l'Allemagne de l'Ouest, nous avons beaucoup de choses à apprendre.

Par exemple si on cherche à connaître la situation de l'Eglise, on découvre que 90 % des gens ne sont pas croyants, et qu'ils n'ont pas de religion. C'est une situation tout à fait nouvelle dans le monde, car les païens ont une religion, mais les gens d'ici ne sont ni païens ni athées! Souvent on les entend dire : "Non, moi, je ne suis rien!…" C'est une situation tout à fait nouvelle ! Mais des sociologues et des théologiens disent que cela risque d'être bientôt la situation dans plusieurs régions d'Europe…"

Dans le centre ville, il n'y a aucune église catholique, mais seulement un centre d'accueil, appelé "Orientierung" (orientation) avec une belle salle de prière animée par les Jésuites pour accueillir des gens qui sont en recherche… Mais il y a deux églises protestantes, la "Thomaskirche", celle où Jean Sébastien Bach a été "Cantor"[1]… et la "Nikolaikirche", celle qui a organisé "les prières pour la paix" depuis 1980. Ces prières sont à l'origine des manifestations du lundi soir qui ont fait tomber le mur (le 9 novembre 1989) et le régime communiste… Un des chefs communistes disait : "Nous étions préparés à tout, mais pas à des prières ni à des bougies."

Oui, je crois que nous avons bien choisi, même si ce n'est pas facile de trouver du travail : il y a entre 20 et 25 % de chômage (le travail d'Andreas n'est qu'un contrat saisonnier qu'il espère renouveler). Michael a fait connaissance avec pas mal d'entreprises d'intérim, mais en ce moment, il est heureux d'avoir une place, toujours à travers un intérim, dans une entreprise d'électricité. Il y a beaucoup de gens qualifiés et très bien formés qui sont au chômage… Les exigences du travail (vitesse, efficacité, heures supplémentaires…) sont assez grandes. Mais je laisse Michael et Andreas vous raconter leurs expériences et leurs aventures…

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De mon côté j'ai essayé de trouver quelque chose à travers la Caritas qui est présente dans notre quartier (dans un grand bâtiment, avec beaucoup de services offerts aux gens marginalisés). Une autre piste était le "centre d'accueil" des Jésuites au centre ville pour les gens en recherche. J'avais l'espoir d'obtenir un contrat de travail pour ces deux engagements… En attendant, j'ai travaillé aussi bien à la Caritas que dans le "centre d'accueil" comme bénévole, mais finalement tout cela n'aboutissait à rien…

Tout d'un coup ma situation a changé. Le diocèse nous a proposé un emploi (à mi-temps), comme aumônier dans la prison de Leipzig. Ce travail est financé par l'Etat… mais il fallait commencer tout de suite! Après un bon échange entre nous trois, nous avons décidé que c'était bon que je me présente pour ce poste. Mais comme notre évêque souhaitait que ce soit un prêtre qui fasse ce travail d'aumônier, il a fallu trouver une nouvelle formule : la disponibilité d'Andreas qui peut me remplacer quand c'est nécessaire, a permis de tout régler…

Alors, depuis début juin je suis maintenant dans la prison… dans un monde tout à fait à part, exclu, fermé… C'est normal, c'est une prison! Mais à travers plusieurs expériences, j'ai pu déjà sentir, au moins un peu, comment cela fait choc pour quelqu'un qui est pris et se retrouve en prison…

Il y a partout des grilles… des portes fermées à clé… un grand mur tout autour, couronné de fils barbelés… aucun espace d'intimité où l'on se sent chez soi…

Et c'est tout un autre rythme : ici, on a du temps, beaucoup trop de temps, aussi bien les employés qui gardent les prisonniers, que les prisonniers eux-mêmes : tout le monde attend que le temps passe…

Je crois que les gens d'ici (les gardiens comme les prisonniers), sont des gens tout à fait "normaux", des gens qu'on peut rencontrer n'importe où…

C'est une prison avec 500 détenus et 300 employés. Les détenus sont répartis en 3 secteurs : 200 attendent leur jugement, 80 sont à l'hôpital (cela fait partie de la prison, c'est l'hôpital pour toutes les prisons du Land Sachsen), et 220 détenus sont des condamnés pour des peines de courte durée.

Mon travail principal est d'être disponible pour dialoguer avec les prisonniers, les visiter, les accompagner… mais je dois aussi organiser et diriger une liturgie de la Parole pour chacun de ces trois groupes qui a lieu le samedi.

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Parmi les détenus, on rencontre toute sorte de gens : il y a ceux qui désirent simplement que quelqu'un les écoute et les prenne au sérieux… Il y a ceux qui espèrent obtenir du tabac ou qui me demande de téléphoner à leur petite amie ou à leur avocat pour donner des nouvelles qui sont toujours très importantes… Il y a ceux qui veulent un rosaire ou une petite croix, mais sans exprimer davantage le pourquoi de leur désir… Il y a ceux qui se creusent la tête pour savoir pourquoi Dieu ne les a pas protégés… Il y a ceux qui désirent parler avec quelqu'un pour mettre un peu d'ordre dans leur chaos intérieur… Il y a ceux qui veulent que je leur apporte une télé…

Je ne connais pas les statistiques. Je ne sais pas combien sont chrétiens ou musulmans ou tout simplement "rien du tout"… Je ne crois pas que cela soit si différent de la société des gens du "dehors". Mais cela ne m'intéresse pas trop. Pourtant je crois que l'intérêt pour les questions existentielles, (pour les vraies questions de la vie), est plus grand à l'intérieur de la prison que "dehors"…

Dans l'hôpital, je rencontre souvent des drogués qui sont là pour être désintoxiqués, avant de rejoindre la prison normale. Cela réveille en moi les expériences du 'tea-room' de Frankfurt, et ce sont les mêmes histoires, souvent si tragiques, que j'entends à nouveau… L'autre jour, Thomas (34 ans), m'a demandé de retrouver sa maman qui est elle-même à la rue, et qu'il n'a pas vue depuis 16 ans. Il y a deux ans, il a entendu qu'elle fréquentait un centre d'accueil à Nürnberg, mais le jour où lui-même est parti là-bas, elle n'est pas venue… Il m'a laissé avec cette demande : "Je serais content si vous pouvez m'amener un peu de tabac, mais cherchez d'abord ma maman, c'est plus important!…"

Alors j'ai cherché… Grâce à l'Internet, j'ai trouvé les centres d'accueil à Nürnberg… Puis j'ai téléphoné, avec bien peu d'espoir… et je l'ai trouvée ! Plein de joie, Thomas a écrit à sa maman… et j'espère qu'un jour ils vont se rencontrer…

Miro vient de Roumanie. Il parle très mal allemand, et c'est très difficile de dialoguer avec lui. Il est vraiment désespéré. Depuis trois mois il n'a aucune visite, ni de sa sœur ni de son frère qui vivent à Berlin, il n'a aucune nouvelle de sa femme et de ses enfants qui vivent en Roumanie. Il a toujours mal à la tête. Il me demande de téléphoner à son frère et à sa sœur pour qu'ils viennent le voir. Je le fais… Mais le dialogue est tellement difficile à cause de la langue… Et je sens vite qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas venir… C'est trop loin, les démarches administratives sont trop compliquées… La peur de prendre contact avec le juge d'instruction … Je ne sais pas… Et je ne sais pas quoi dire à Miro… Il pleure, il me prend la main, me supplie de l'aider… Et je ne sais pas quoi faire…

Il y a Norbert avec son grand sourire : il est à l'hôpital de la prison, assis dans une chaise roulante avec une jambe handicapée, et l'autre est cassée, dans le plâtre. Il n'a plus que quelque mois à passer en prison, et sa famille le visite très souvent. Alors, il a tout ce qu'il faut : du tabac et du café, des biscuits et la télé. Le premier jour il m'a raconté toute son histoire (assez étrange et bien difficile à suivre). Ce qui est totalement clair pour lui, c'est qu'il est innocent. Il m'a dit cela sans aucune amertume, et presque en blaguant, mais j'ai bien l'impression qu'il le croit vraiment… J'étais déjà en train de mettre la clé dans la serrure quand il m'a demandé de lui apporter une petite croix… "Oui cela m'aide à prier, et c'est le signe que Dieu ne me laisse pas seul! …"

Deux jours après je lui ai apporté une petite croix, et il m'a remercié… Mais ensuite il ne m'a plus jamais parlé de Dieu. Pendant les autres visites, je vois toujours cette croix sur sa table de nuit, et même s'il déménage dans une autre cellule, la croix le suit. Il est bien malade, et l'autre jour il a recassé sa jambe, et il a dû rentrer dans le "vrai" hôpital, hors de la prison, pour être opéré… et la croix l'a encore suivi… De retour à la prison - bien sûr avec sa croix -, il me raconte les histoires de sa famille comme d'habitude, et souvent nous rigolons… Parfois, quand les cellules du couloir sont ouvertes, je le vois faire la fête : toujours assis dans sa chaise roulante, il invite ses voisins dans sa cellule : il leur fait du café, et partage son tabac et ses biscuits…

Voilà quelques impressions de mon travail. Il y a chaque jour des nouveaux, chacun avec son histoire… Au-delà de ce que certains appellent fautes, délits ou péchés… peut-être la seule chose importante est ce que propose Norbert : rester ou plutôt devenir des hommes capables de partager et de faire la fête!...

Allema2 

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1 Il y a fait beaucoup de ses compositions et il a dirigé la chorale.