Il faisait encore nuit quand Mauricio est sorti de la fraternité au numéro 1450 de la "calle Malabia". C'était une matinée fraîche de l'automne de Buenos Aires. Comme tous les jours, son travail au dépôt de la Floresta l'attendait. Ses compagnons, les autres balayeurs municipaux, se préparaient pour leur tâche quotidienne, chacun partant pour nettoyer sa rue. A 7h30, dans l'avenue appelée "Avenida del Trabajo", le contremaître les attendait pour signer leur fiche, et de là chacun partait sur son lieu de travail. Mauricio s'est croisé avec Chiche, qui était son compagnon jusqu'à vendredi passé, car depuis ce jour, on les a séparés pour les affecter à d'autres zones. Peut-être ont-ils plaisanté au sujet du froid ou bien se sont-ils mis à rire pour se donner du courage face à toutes les horreurs qui secouaient la ville et le pays. Ils décidèrent de se voir à 11h pour prendre un petit café au bar, comme chaque jour, avec d'autres compagnons du groupe. Et Mauricio est parti travailler.
Il passe par l'atelier de mécanique où les jeunes le saluent. Il passe devant le chantier en construction où parfois il laisse la brouette et le balai… ils se saluent également avec les maçons qui commencent leur journée. Il se frotte les mains puis commence son travail de routine : arranger les saletés de la rue, rassembler les feuilles des arbres que l'automne s'emploie à éparpiller, ramasser les papiers que les voisins de Buenos Aires laissent tomber négligemment suivant leurs mauvaises habitudes. Ses bras mettent en mouvement le manche du balai pour rassembler les ordures de la ville : tout ce qui est déclaré sans valeur puisque rejeté par certains !
Le portier de l'établissement le voit arriver et ose lui demander de prendre les papiers et les cartons qu'il vient de mettre en tas sur le trottoir. Mauricio vient tout juste de faire un tas de feuilles qu'il mélange avec les cartons et les papiers et se décide à allumer un feu. Il reste à côté du feu pour le surveiller et éviter qu'il s'éteigne ou que les cendres ne s'éparpillent dans la rue déjà propre. Dans la foulée, il en profite pour se réchauffer un peu et pour diminuer le froid, qui à cette heure, résiste encore aux timides rayons du soleil. Le jour commence à se réveiller avec les femmes qui partent faire leurs courses aux magasins… La voisine sort sur le trottoir pour balayer, vider son seau d'eau, et ouvrir les fenêtres. Elle continue à balayer pendant qu'elle voit passer, comme chaque jour, la brouette du balayeur poussée par un homme grand et grisonnant, avec un balai comme seul outil.
Entre les voitures qui circulent dans le coin, une Ford Falcon blanche s'arrête brusquement en face de sa maison, à quelques mètres. Trois hommes en complet descendent de l'auto et se dirigent d'un pas ferme et décidé vers le balayeur. Un bref échange de paroles est suffisant pour convaincre l'homme qu'il doit laisser sa brouette et son balai au bord du trottoir. Il n'y a ni cri, ni rafale, ni ordre. Le balayeur, grand et grisonnant, d'un certain âge, se dirige, escorté vers l'auto. Il entre dans le véhicule et disparaît sans laisser de traces. Le bruit du moteur est la dernière voix qu'on peut entendre avant que ne se perde pour toujours, au coin de la rue "Terrero" et de la rue "Magariños Cervantes", le balayeur du quartier !
Il était 8h30 du matin ce 14 juin 1977 !
Ne pensons pas que Mauricio a voulu être une héros ! Il a cherché à être fidèle à cet appel qu'il a ressenti à être balayeur avec les balayeurs.
En lisant le témoignage de Domingo, Petit Frère de Jésus de Buenos Aires, on découvre que le chemin de Mauricio a été rude :
"La personne que j'ai connue le plus intimement dans ce drame est Mauricio. Les derniers mois qu'il vécut à Buenos-Aires avant sa "disparition" furent vécus dans une grande solitude. Il venait célébrer la Messe à San Justo. Il avait une grande sensibilité qui le rendait extrêmement vulnérable, et ce qu'il vécut a dû être la Passion la plus atroce qu'on puisse concevoir. Je crois vraiment qu'il fut un authentique martyr de l'Amérique Latine."