Mauricio vu à travers le regard de son frère Jesús

 

Des 5 enfants nés de mon père et de ma mère, Mauricio et moi étions les 2 derniers garçons. Nous avons vécu très proches l'un de l'autre par le fait même que nous sommes allés ensemble à la même école. Il avait deux ans de plus que moi et se considérait responsable de moi. Quand nous sortions, il s'occupait beaucoup de moi et me protégeait.

Au collège des Salésiens où nous sommes allés, il était très joyeux, très bon footballeur (très expérimenté sur le terrain de foot). Moi, je restais assis, et je le regardais jouer… Jamais le sport ne fut une attraction importante dans ma vie : depuis tout petit j'avais une santé  très fragile. Comme Mauricio cassait souvent ses chaussures en jouant au foot, ma mère se lamentait beaucoup quand nous revenions de l'école !

mauricio-2Quand je suis parti au séminaire, je me suis senti un peu privé de sa protection ; lui se sentait un peu orphelin de ma présence. Je suis entré au séminaire le 18 mai et lui est venu dans ce même séminaire le 16 octobre... mais il est passé directement dans une division supérieure, tandis que moi je suis resté dans la division des plus petits. Ainsi nous ne pouvions nous voir que très rarement, mais nous pensions beaucoup l'un à l'autre... Le dimanche, nous nous retrouvions avec grande joie, nous passions l'après midi ensemble, nous promenant dans les terrains près du séminaire (terrains d'une école d'agriculture tenue par les Salésiens, terrains immenses avec beaucoup d'hectares de champs). Nous les parcourions, nous parlions, nous échangions des idées : je suivais ce qu'il rêvait et proposait.

Au début de mes études de philosophie, il a été choisi et envoyé dans une mission salésienne en Argentine, dans le sud de la Patagonie. Il me laissa avec la nostalgie de sa présence, mais avec l'attrait de ce qui faisait le fond de sa vie : cela me paraissait une aventure magnifique de foi, de foi contagieuse et joyeuse. Des nouvelles de ce qu'il faisait dans le sud de la Patagonie m'arrivaient. Elles me soutenaient beaucoup pendant ces années d'études.

Quand nous nous sommes retrouvés, au moment des études de théologie, nous avons renouvelé notre amitié fraternelle si profonde. Nous nous sommes mis à rêver de nouveau… Tous les dimanches, il allait participer à un "oratoire", comme l'appelaient les Salésiens, pour des après-midis de jeux et de préparation religieuse avec des enfants et des jeunes... Les religieux et les jeunes l'aimaient beaucoup. Chaque dimanche, à son retour, Mauricio me racontait ce qui s'était passé. J'allais à sa rencontre : la maison du théologat se trouvait à plusieurs kilomètres de la ville de Cordoba...

mauricio-3Mauricio était plein d'ardeur. Il me stimulait, ses idéaux de vie sacerdotale et de travail apostolique étaient magnifiques. C'était pour moi un "grand" frère plein de foi et de piété sincère ; c'était un homme de prière, de vie intérieure. Il fut ordonné prêtre le 2 décembre 1951...

Il retourna comme prêtre dans la même mission salésienne du Sud Patagonie, à Puerto San Julián. Moi, je fus ordonné en 1954. Dès lors sa figure fut un exemple qui me poussait à aller de l'avant. Il m'écrivait fréquemment, ses lettres me remplissaient d'enthousiasme.

En 1959, Mauricio est revenu à Montevideo après avoir laissé beaucoup de souvenirs dans les endroits où il avait travaillé. Il resta à Montevideo parce que la santé de notre mère était fragile... Nous avons quitté la communauté salésienne pour pouvoir accompagner notre mère.

Après quelques années, quand tous les problèmes furent solutionnés à la maison maternelle, nous avons pensé revenir à la vie religieuse. Mais le Concile venait de passer. Le Concile avait ouvert beaucoup de fenêtres… beaucoup de portes… et même de nouveaux horizons.

Mauricio fit alors la connaissance d'Arturo, [régional d'Amérique Latine qui a beaucoup aidé les frères à se situer dans le continent].

Nous étions prêtres diocésains à Montevideo : moi j'étais curé dans une paroisse de la capitale. Et Mauricio me dit un jour : "Je ne vais pas rester longtemps près de toi, je pense rentrer dans une Fraternité, une Fraternité des Frères de Foucauld". Pour moi, c'était nouveau… mais j'avais tout de même lu, beaucoup de temps auparavant, une très courte vie de Charles de Foucauld, et sa figure m'avait marqué...

Effectivement Mauricio partit et me laissa seul !

Mais je l'ai suivi pour voir sur place là où il vivait. Je savais que c'était une vie nouvelle qui pouvait comporter des difficultés !

fortin-olmosJe connus ainsi la fraternité de Fortin Olmos, la fraternité de la Rioja et le noviciat de Suriyaco (dans le diocèse de Mgr Angelelli).

Quand Mauricio est parti à Buenos Aires et qu'il a commencé à travailler au nettoyage de la ville, j'ai demandé une permission à mon évêque pour pouvoir l'accompagner. Je suis resté avec lui pendant trois ans et j'ai appris à connaître beaucoup de frères. La répression commença dès l'année 1974, et nous avons passé des moments durs ensemble…

Quand François (alors prieur) est venu nous visiter à Buenos Aires, il m'invita à aller en Colombie, en janvier 1977, pour participer à la réunion régionale de Cartagena. Puis je suis parti au Venezuela pour commencer mon noviciat.

Après cette réunion de Cartagena, Mauricio est revenu à Buenos Aires… Et le 14 juin, il a disparu...

De longues années de silence et de douleurs!

Mais maintenant, je sens que le souvenir de Mauricio commence à fleurir dans la Fraternité du Frère Charles comme il fleurit dans mon cœur. Mauricio a donné son témoignage : il m'a aidé à me donner à Dieu avec toutes mes forces, et à engager ma vie avec le Grand Frère Jésus qui nous appelle à accompagner les pauvres. Il me semble que d'autres aussi ont été aidés par lui !