En arrivant en Argentine en 1970, Mauricio retrouve un pays connu. A 20 ans, comme jeune Salésien, il était resté 3 ans dans le sud de la Patagonie. Il avait fait ensuite 4 ans de théologie à Córdoba puis il est retourné en Patagonie comme jeune prêtre pendant presque 10 ans. Mais Mauricio était uruguayen, et jamais il n'a changé de nationalité. Il venait d'une famille pauvre… il était fils d'ouvriers et était marqué par une mère qui avait élevé 5 enfants avec beaucoup de sacrifices. Aussi Mauricio ne supportait pas l'injustice et il était heureux quand il sentait que les gens commençaient à prendre la parole.
A Fortin Olmos, Mauricio vit avec les frères dans ce hameau loin de la ville. Il attend des nouvelles de sa vieille maman… mais rien ne vient. Il pense au service de la censure, et il écrit alors une lettre pleine d'humour qui nous révèle son caractère.
Voici la lettre de Mauricio à celui qui a la charge de censurer sa correspondance :
Cher ami,
Comme cela fait déjà un bon moment que tu lis mes lettres, et que tu dois être ennuyé de ne rien y comprendre, j'ai envie de t'écrire directement afin de clarifier deux choses avec toi :
La première : Ne perds pas ton temps ! Il n'y a rien de subversif : ce sont des lettres à ma famille, et mes sentiments sont propres et tout simples. Je suppose que tu as comme moi, une maman, des frères et des amis. Est-ce que tu leur écris parfois ? Alors tu as dû rapidement te rendre compte, en lisant mes lettres, que je leur écris ce que toi-même écrirais; je demande des nouvelles de la maison, je leur envoie mes salutations, je leur parle du lieu où je vis, je me rappelle au souvenir de ceux que j'aime, etc. Dis-moi où tu vois qu'il y a révolution, subversion ou complot ?
La deuxième : Va voir dans la Constitution. Je pense que le texte doit être sur ta table car ce genre de choses ne traîne pas au fond d'un tiroir ! Va voir si dans ton texte il y a l'article 14. Si par hasard il n'y a pas cet article, demande immédiatement un texte officiel, non-censuré, et tu vas te rendre compte comment la Constitution protège les droits des citoyens et ne permet pas que la correspondance soit violée.
D'un autre côté, une fois que tu as lu mes lettres… qu'est-ce que tu fais avec ? Pardon, envoie-les moi… Fais-le pour ma mère : c'est une vieille femme, bien malade et cela fait deux mois que je n'ai pas reçu de ses nouvelles.
Je termine ici. Je pourrai te dire beaucoup d'autres choses. Si cela t'intéresse, tu peux me répondre, et nous pourrions avoir une correspondance loyale et amicale… bien que cela ne m'étonnerait pas que quelqu'un, au-dessus de toi, censure tes lettres !
Fais attention, car j'imagine que cela doit être terrible de vivre tous les jours dans le soupçon et la peur, du matin jusqu'au soir !
J'attends ta réponse,
Mauricio Silva, prêtre uruguayen, Fortin Olmos (Santa Fe).
* * *
Diaire d'Enrique
Nous vivons Mario et moi avec Maurice, un prêtre Uruguayen désireux d'entrer à la fraternité et de rester à Olmos. Maurice cuisine, conduit l'ambulance et fait des tournées de vaccination. Il lui est impossible, vu son âge et le problème du travail à Olmos, de faire un travail ouvrier.
Quant à moi, je fais de la mécanique et aussi d'autres travaux (hache, construction...) car il est difficile d'avoir un seul travail fixe. Au fond cette solution me convient car je peux faire des journées de travail d'un autre côté quand le mécanicien d'Olmos n'a pas de travail pour deux.
Sous un certain aspect, la vie du pauvre à Olmos est très dure, dramatique par l'insécurité du lendemain, mais sous un autre aspect elle est belle, ouverte aux autres et libre, libre de faux besoins et de préoccupations inutiles. A cause de cela je suis tiraillé par le désir de lutter pour la justice d'une part, et de l'autre, de me contenter de partager simplement la vie de ces hommes avec ses valeurs simples, de les aimer, d'être avec eux libre et joyeux en toute situation, témoin de Jésus-Christ et des béatitudes. La synthèse de ces deux aspects se fera probablement au plan de la fraternité.