François arrive le 1er novembre 1976 à Buenos Aires et il nous partage ses impressions :
J'arrive à Buenos Aires et Chiche me conduit à la fraternité de Mauricio et de Jesus Silva. La fraternité de ces 2 frères est en pleine ville et au fond d'une petite cour très sympathique par le contact étroit avec les familles voisines de la cour. Deux jeunes filles sont là aussi dans une pièce voulant vivre consacrées et pauvres, en lien d'amitié et de prière avec les frères. Je suis donc accueilli par ce groupe de 4 (Mauricio, Jésus, Marta et Carmenita). On parle évidemment beaucoup de Patricio et de Enrique.
Le lendemain, nous allons voir le Cardinal qui nous reçoit gentiment, mais nous dit : "J'accepte votre vocation parce que l'Eglise l'accepte et bien plus, j'admire votre courage de vouloir vivre pauvre parmi les pauvres. Mais je ne comprends pas : car selon moi, plutôt que de travailler comme un pauvre, il vaudrait mieux évangéliser".
C'est vraiment étrange comment, sous le même mot 'évangéliser' on peut mettre des réalités si différentes. Comment cet évêque ne comprend-il pas que c'est justement pour évangéliser que nous voulons faire comme St Paul, 'travailler de nos mains' et partager la vie des pauvres.
Le 5 novembre, nous partons (le groupe des 4, Chiche et 2 postulants) à la campagne, pour passer le week-end ensemble, pour prier et échanger sur ce que chacun vit. La discussion est simple et franche, chacun donnant sa manière de voir son engagement en faveur des pauvres. J'apprends beaucoup de cet échange mais découvre aussi combien cette réalité de la libération est complexe et perçue par chacun d'une manière bien différente.
Je voudrais dire combien j'ai énormément aimé ce continent, vivant, bouillonnant, effervescent de tas d'idées et de découvertes de grande valeur, (en particulier, découvertes progressives de l'homme, de ce qui l'aliène et de ce qui peut le libérer), et ce genre de découverte est d'un autre poids, a une autre valeur que les découvertes techniques.
Dans ce continent, j'ai senti une authentique recherche de la libération de l'homme. Je crois que l'Amérique Latine a beaucoup à apporter au monde et à l'Eglise sur ce sujet capital de la libération, car elle est nettement en avance. Elle a donc aussi beaucoup à apporter à chacune de nos fraternités, à chacun de nous.
Ce n'est donc qu'à la fin de 1976, qu'est reconnu comme très positif le chemin qu'a fait Mauricio avec son frère Jesús, dans l'esprit de la Fraternité.
C'est aussi au passage de François qu'est décidé la participation de Mauricio à la réunion de Région en janvier 1977 (à Cartagena en Colombie) où il sera admis à faire ses promesses dans la Fraternité. Son frère Jesús partira à ce moment-là pour commencer une année de noviciat au Venezuela.
Intervention de Mauricio lors de la réunion de Cartagena :
C'est d'expérience que je parle et je voudrais le faire avec clarté et sincérité. Il ne faut pas se laisser attraper par une admiration béate pour l'engagement dans un mouvement politique. Notre défi est un défi de vie religieuse, et il faut avoir le courage de la vivre. Pour une même personne, à mon avis, il est impossible de vivre 2 défis en même temps : une vie religieuse et un mouvement politique. Les 2 sont nécessaires, les 2 sont au service du peuple… Mais il faut opter pour l'un, ce qui ne signifie pas refuser l'autre, mais le relativiser.
Au point de vue de l'objectif, le mouvement cherche à prendre le pouvoir; la vie religieuse cherche à être ferment du peuple par une radicalisation des béatitudes. On a critiqué la chrétienté quand elle veut être un pouvoir, il faut être logique !
Du côté des moyens, le mouvement cherche l'efficacité… Pour la vie religieuse c'est plutôt la gratuité (les moyens pauvres non efficaces d'une violence prophétique).
Le mouvement oblige à une clandestinité systématique. Pour la vie religieuse, la clarté fraternelle est nécessaire.