Diaire de Chema (Guadalajara, Mexique)
Pour une fois je voudrais vous partager non pas ce que je vis à l'hôpital, mais plutôt ce que, depuis longtemps déjà, mon cœur "porte" comme un poids… et qui me pèse beaucoup.
Il y a déjà bien longtemps que je reçois les commentaires de personnes que je rencontre (la majorité sont des malades de l'hôpital). La proximité avec le malade, avec celui qui souffre te donne souvent l'occasion de pouvoir contempler son cœur quand il s'ouvre à toi ! Cela te permet d'être uni avec un patient qui parfois te confie les secrets les plus profonds qui sont en lui, surtout si la mort se fait plus proche.
Durant tous ces instants que j'ai partagé avec des malades ou avec d'autres personnes, j'ai pu capter le regard que les gens portent sur l'Eglise (et il se pourrait que ce soit réellement la majorité) : j'ai pu constater que le nombre de personnes qui est en train de perdre toute confiance dans l'Eglise ne fait que croître… Une "Eglise" et une "Mère" qui semble de plus en plus lointaine ! telle est l'image que bien des gens perçoivent.
Cela me déplaît, me pèse, me fait souffrir et me préoccupe beaucoup parce que, en ce temps de désolation et de crise profonde, l'humanité entière est désemparée et pleine de confusion. Affrontée à une multitude de contre-valeurs et très peu de vertus, l'humanité a besoin d'être accompagnée avec beaucoup de tendresse et de délicatesse, elle a besoin d'être appuyée et soutenue parce qu'elle a le sentiment d'être abandonnée. Les gens vivent comme des brebis sans berger, car l'Eglise est lointaine alors que la réalité est si difficile à porter. C'est pourquoi je comprends que beaucoup s'éloignent et entrent dans des sectes, principalement dans ces groupes qui se donnent le nom de "chrétiens".
Il n'y a pas longtemps qu'un patient, en phase terminale, m'a demandé de le réconcilier avec Dieu 6; cela faisait beaucoup d'années qu'il ne s'était pas confessé car il avait promis de ne plus jamais entrer dans une église ni de s'approcher d'un prêtre ! Il m'a tout simplement expliqué que je lui donnais une autre "image" de l'Eglise, et que à cause cela, il se sentait prêt à me parler. Il m'a alors raconté toute son histoire (qui expliquait son attitude face à l'Eglise et face aux prêtres) : "Un jour que je partais au travail, je suis passé devant une église et je suis entré. Alors que j'étais à genoux en train de réciter le Notre Père, j'entends tout à coup la voix d'un prêtre (et je l'aperçois avec le micro dans les mains) qui disait : "Que celui qui est à l'entrée de l'église ne reste pas comme ça à la porte, mais qu'il entre ou qu'il sorte!" Je fis la sourde oreille car j'avais bien l'intention de m'en aller dès que ma prière serait terminée. Mais voilà que le prêtre arrive à toute vitesse, m'attrape par les cheveux, me lève et me pousse dehors… J'ai vraiment eu envie de le frapper, mais je ne l'ai pas fait car il était habillé avec les habits pour dire la messe… J'ai préféré le laisser et je suis parti."
Quand cet homme m'a raconté son histoire, on avait l'impression que cela s'était passé récemment, tellement sa souffrance était encore forte.
C'est impressionnant de voir le mal qu'un prêtre peut occasionner à cause de l'autorité qu'il a en face des gens. En réalité je vois que la majorité des prêtres ne se situent pas au niveau du peuple… Je vois que les séminaristes sont endoctrinés de telle manière qu'ils pensent être des "padrecitos", des êtres qui ont quelque chose d'angélique, de supérieur, qui sortent du séminaire remplis de connaissances et qui se sentent propriétaires de la vérité… Aussi, à cause de cela, ils ne se sentent plus au même niveau que le peuple, alors qu'ils sont justement envoyés pour le servir.
C'est sûr que bien des gens d'Eglise (prêtres, évêques, communautés religieuses) sont entourés de beaucoup de luxe et de confort, dans des situations très semblables à ce que vivent les riches. Tout cela est de plus en plus scandaleux face à l'appauvrissement du peuple, surtout pour ceux qui survivent et meurent dans des situations de pauvreté extrême. J'entends souvent ces paroles dans la bouche des gens : "Pourquoi les prêtres ont si souvent des voitures de luxe ? - Pourquoi le cardinal a besoin de circuler dans un véhicule blindé avec chauffeur et gardes de corps ?"
Un jour que je commentais l'évangile de la Samaritaine, une femme me demanda que je lui accorde une minute pour qu'elle puisse m'expliquer quelque chose. Et voici ce qu'elle me dit : "Père, je vois que Jésus n'est pas intéressé par nos péchés… ce qui l'intéresse c'est que nous, les pécheurs, nous nous laissions aimer par lui; mais voilà que les prêtres sont très intéressés par nos péchés… et tout leur intérêt est de faire ce que Jésus n'a jamais fait : nous juger et nous condamner! Ce n'est pas étonnant que l'Eglise, avec son dogmatisme et son moralisme, s'éloigne du peuple de Dieu !"
Quand cette femme a fini de faire son commentaire, j'ai baissé la tête, car j'avais honte… et ensuite je lui ai répondu qu'elle avait tout à fait raison, et que nous devions prier pour demander la conversion de cette Eglise. Certainement qu'en parlant d'Eglise, elle se référait surtout à la hiérarchie. C'est bien certain que cela me pèse de parler de hiérarchie, et je sens cela même comme anti-évangélique, parce que tout ce que les évêques sont et vivent en tant que membre de la hiérarchie est le plus souvent en contradiction avec leur mission d'être "des bergers qui donnent leur vie pour les brebis" ou d'être "les imitateurs du Christ", Lui qui, tout en étant le Maître, s'est fait le dernier et le serviteur de tous. C'est bien vrai que le Concile a défini l'Eglise comme étant "le Peuple de Dieu" (en une seule session)… mais le peuple de Dieu ne se sent pas "être" cette Eglise. Ensuite les évêques ont eu besoin de plusieurs sessions pour arriver à définir ce qu'ils sont : "Les serviteurs de ce Peuple de Dieu". Mais de fait, ils sont très peu ceux qui se situent comme "serviteurs"… On peut dire au moins que les gens ne les perçoivent pas comme cela.
Aujourd'hui, j'ai parlé avec un jeune de 17 ans : il est hospitalisé parce qu'il a une insuffisance rénale chronique. Il m'a confié qu'il est homosexuel depuis l'âge de 13 ans, et que dès qu'il a compris qu'il était ainsi, il en a parlé à ses parents. Ensuite il m'a énuméré les humiliations, le mépris, les mauvais traitements et toutes les formes de marginalisation qu'il a subis. Il m'a dit aussi que le plus grave s'est passé quand il est entré dans une église avec un de ses amis et qu'un prêtre en les voyant, les a chassés en leur disant que les "pédés" n'avaient pas le droit d'entrer dans la maison de Dieu.
Très souvent je rencontre des personnes qui ont été jugées et condamnées par des prêtres pendant la confession. Ces personnes me partagent leur douleur et la terrible humiliation qu'ils ont subie.
Cela ne fait pas longtemps qu'un employé de l'hôpital m'a demandé de le confesser car il ne savait pas avec qui le faire, parce que la dernière fois qu'il s'était adressé à un prêtre, celui-ci s'était fâché, en disant qu'il ne pouvait recevoir le pardon de Dieu… qu'il devait se lever et sortir du confessionnal. Il me disait que ceci s'était passé parce qu'il avait dit au prêtre qu'il ne vivait plus avec son épouse, parce qu'elle était partie avec un autre homme. Et le prêtre alors lui aurait dit d'aller demander pardon à son épouse, et que seulement après il pouvait venir se confesser. Mais comme il lui avait répondu qu'il ne voyait pas pourquoi lui demander pardon car jamais il ne l'avait offensée… qu'elle avait simplement rencontré un autre homme qui l'intéressait plus et qu'elle était partie avec lui… et que de toute façon il ne savait pas où elle vivait : en voyant qu'il était contredit, le prêtre s'est vexé et l'a renvoyé en refusant de lui donner le pardon de Dieu.
Rencontrer des gens que le prêtre ne veut pas confesser, parce qu'ils ont un fils qui n'est pas marié ou bien parce qu'ils utilisent des contraceptifs, fait partie du pain quotidien, c'est quelque chose qui se fait fréquemment, et beaucoup de malades (surtout des femmes) me le disent et me le redisent. Cela fait à peine une semaine que je parlais avec une femme extraordinaire qui fait partie de l'équipe qui porte la Communion aux malades… Elle m'a partagé quelques unes des expériences qu'elle a pu faire au Congrès Eucharistique qui a eu lieu en juin 2008, au Canada. Elle me disait qu'elle a vu comment le cardinal de Guadalajara avait réprimandé un de ses prêtres, en criant publiquement : il le montrait du doigt en lui interdisant de sortir une autre fois sans sa permission ! Elle me disait qu'elle s'était approchée du cardinal en lui disant ceci : "Monsieur le Cardinal, je sais que vous ne me demandez pas de vous donner des conseils et probablement vous n'en avez pas besoin, mais de toutes manières, je veux tout de même vous partager un peu ce que moi-même je vis : je suis mariée et je suis veuve… J'ai plusieurs fils qui sont déjà majeurs et tous mariés. Maintenant je ne les réprimande plus ni ne leur donne des conseils, à moins qu'ils ne me le demandent. L'unique chose que j'essaie de faire c'est de les aimer et d'être toujours à leur disposition quand ils ont besoin de moi… Mais le plus important c'est que je les aime ! J'ai l'impression que cela pourrait vous être utile de faire la même chose !" Le cardinal a remercié cette femme, mais il continue d'agir de la même manière avec ses prêtres et avec les gens.
Dans ce même Congrès eucharistique, la déléguée du Rwanda s'est levée, a pris le micro et s'est adressée aux cardinaux et aux évêques en leur disant : "Pardon, arrêtez d'écrire des documents et des encycliques parce que cela n'est d'aucune utilité pour le peuple… Vous êtes loin des gens et vous ne savez pas ce dont ils ont besoin. Sortez dehors, allez dans les rues et partagez un peu quelque chose de la vie des gens pour vous rendre compte de ce que le peuple a vraiment besoin. Alors vous pourrez recommencer à écrire." Cette femme fut ovationnée longuement par toute l'assistance.
Pas plus tard qu'hier, une infirmière me racontait combien elle avait eu envie de participer à une réunion des "chrétiens", parce qu'une de ses collègues, qui faisait partie de ce groupe, était heureuse et épanouie. Pour pouvoir accompagner sa mère veuve et malade, la collègue ne s'était pas mariée. Mais après la mort de sa mère elle se trouva à moitié perdue : elle allait à l'église, mais elle n'y trouvait pas sa place! Elle était chaque jour plus déprimée et plus désillusionnée de la vie… Et voici que quelqu'un lui a conseillé d'aller à la réunion des "chrétiens". Le pasteur lui a donné tout le temps dont elle avait besoin pour s'occuper d'elle, pour lui apprendre comment lire la Bible… Elle s'est sentie appréciée et valorisée, et a retrouvé ce sens de l'appartenance qui est tellement important et essentiel pour l'être humain, et qu'elle n'avait pu le trouver chez nous autres catholiques… C'était pourtant le coeur de l'Eglise naissante : "Regardez-les comme ils s'aiment !"
Tout cela pour dire dans quelle situation le peuple de Dieu se trouve, ce que les gens ressentent et ce qu'ils vivent : Que l'Eglise se situe loin d'eux… Que les prêtres attendent qu'on les serve… Qu'on les voit en train de lutter pour obtenir plus de pouvoir et plus d'argent… Que l'Eglise ne leur donne plus, comme avant, ce sentiment d'appartenance… Qu'ils se sentent durement jugés par l'Eglise et par ses ministres… Ils sentent que l'Eglise fait bloc dans une incroyable institution enfermée dans son dogmatisme, son moralisme et son légalisme… C'est bien évident que tous les ministres de l'Eglise ne se comportent pas de cette façon, mais ceux qui vivent autrement sont malheureusement les moins nombreux, et à cause de cela ils sont perdus dans la grande géographie du monde.
Si quelqu'un te partage sa souffrance, sa douleur, ses déceptions, c'est parce qu'il sent qu'on l'écoute, qu'on tient compte de lui. Et c'est justement ce qui manque à l'Eglise ! Qu'elle redevienne ce petit troupeau, simple, proche, humble, pauvre… Qu'elle récupère la capacité du service, de la simplicité… Qu'elle perde cette terrible sécurité de croire qu'elle est propriétaire de la vérité, car c'est cela qui lui a donné cette fausse sécurité et cette fausse humilité.
On sent le besoin d'un nouveau Concile qui puisse secouer tout cet impérialisme dont l'Eglise s'est laissée contaminer par des siècles de cohabitation et de connivence avec les royaumes et les empires de ce monde. C'est nécessaire que l'Eglise ne se sépare pas du monde, mais qu'elle se libère du mal, parce que actuellement elle vit et agit exactement en sens opposé.
Chacun de nous plante certainement une petite semence de cette Eglise proche et servante, pauvre et simple, mais combien il manque pour que ce bloc se laisse questionner profondément par l'Evangile et par les pauvres, eux qui furent et continuent à être les privilégiés de Jésus. Combien il manque pour qu'on soit vraiment le ferment et le sel dans la masse de notre chère Eglise pour que celle-ci puisse être véritablement une Mère, humble, pleine de tendresse et proche du Peuple de Dieu !
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6 Chema est médecin et aussi prêtre.