Noviciat de Spello (Italie)

(Gabriele F. avec les novices Gabriel, Alexei et Jean-Baptiste)

de Gabriele :

C'est à 'El Monte', dans les montagnes qui entourent la ville de Murcia (située au sud de l'Espagne) qu'on est venu terminer la première étape du noviciat… une étape qui a commencé il y a tout juste un an, en octobre 2007, à Spello.

Une année où j'ai essayé de cheminer avec Alexei, Gabriel et Jean-Baptiste : en les accompagnant d'abord dans un discernement à faire et en approfondissant l'appel de Jésus à sa suite, et après dans la confrontation avec la spiritualité de frère Charles actualisée dans la Fraternité.

Cela dans des temps de silence et de prière, dans le travail et le partage de vie avec le paysans du coin, dans la vie fraternelle, dans l'approfondissement des différents thèmes liés à la vie religieuse et à notre spiritualité.

Nous avons vécu une longue période en partageant la même maison que les autres frères de la fraternité de Spello, et c'est seulement quand nous avons commencé l'accueil de l'été que nous avons déménagé à l'ermitage 'Santa Chiara'.

Maintenant on est venu terminer cette année de gratuité dans un lieu solitaire où nous essayons de vivre un aspect fondamental de notre spiritualité : celui du désert.

Pourquoi aller au désert ou bien pourquoi vivre des moments de solitude dans notre vie ?

Avec l'aide de Bernard, nous avons parcouru la Bible en découvrant, à travers quatre personnages (Moïse, Élie, Jean Baptiste et Jésus), différentes motivations pour aller au désert. Cela nous a lancé pour vivre notre temps de désert personnel : Bernard nous a proposé une lecture continue de l'Evangile de Marc en suivant le même chemin que Jésus a fait parcourir aux douze.

À la fin de ce temps de désert, le parcours du noviciat continuera d'une autre façon : les novices vont partir chacun dans une fraternité différente où ils vivront pendant une autre année la deuxième étape du noviciat, dans le but de continuer le discernement sur leur propre choix de vie… mais pendant cette année on se retrouvera encore pour des moments communs de formation.

Pour moi, c'est le retour à la fraternité de Spello… C'est ma première expérience comme responsable du noviciat, et je l'ai vécue comme une véritable re-découverte de ma vocation. Je me suis retrouvé compagnon de route avec des jeunes qui, même par des chemins différents ou avec d'autres façons de vivre leur foi, partagent le même désir de répondre à un appel qui un jour nous a bouleversé.

Gabriel, Jean-Baptiste et Alexei

de Gabriel :

Né en France il y a 29 ans au sein d’une communauté de l’Arche de Jean Vanier, j’ai été bercé au rythme de la vie communautaire, me comblant par ses célébrations, ses fêtes, ses rencontres. Entouré de l’amour de mes parents, de mon petit frère et de mes deux grandes sœurs, mon enfance s’est déroulée en Anjou dans une ferme viticole-agricole où la communauté de l'Arche était comme ma grande famille. Les personnes avec un handicap étaient pour moi des parents, des frères et des sœurs. Je découvrais la vie comme une aventure d’amour et de fête, dans une simplicité vraie. L’école m’a bien remis en face des réalités : un monde où je découvrais la compétition, la violence, le chacun pour soi… L’école aura toujours été pour moi un lieu de combat, un combat à la fois pour rencontrer l’autre et pour valider mes années scolaires. Péniblement, j’ai réussi à décrocher mon bac et faire quelques années d’études en comptabilité.

A 16 ans, les études signifiaient, pour moi, quitter la famille, la communauté et la ferme pour aller vivre en ville, et commencer une vie vers la responsabilité et l’autonomie. Cela m’attirait vraiment. Tout au long de ces années je me suis aussi engagé dans différents mouvements, tout en gardant des liens avec l’Arche, et en restant attaché à mes activités comme le foot et la guitare.

A 23 ans, je finissais mes études. L’aventure était alors possible. C’est ainsi que je suis parti pour vivre une année de coopération à Santiago du Chili dans une banque de micro-crédit. Une année d’engagement réel où j'étais plongé dans un bel idéal : supprimer la pauvreté sur terre ! J’y croyais jusqu’à mon dernier mois sur place, avant que tout s’écroule à cause d’un simple conflit interne entre responsables.

De retour au pays, je m’obstine à chercher du travail dans le micro-crédit en France. Je fis dès lors l’expérience du chômage (6 mois) que j’ai vécu très péniblement et qui brisa l'élan de mon retour. J’acceptai alors la première occasion de travail qui s’offrait à moi : un poste de comptable à Paris au sein de la Communauté charismatique de l’Emmanuel. Je pensais n'y rester que quelques mois… je vais passer là presque 3 ans. Au niveau formation et carrière professionnelle, ce travail était loin de me satisfaire, mais j’ai trouvé bien d’autres intérêts : découverte de l’adoration eucharistique quotidienne, relations d’amitiés très intenses, mois d'été vécus à Paray-le-Monial dans le cadre de sessions pour retraitants organisées par la communauté…

Durant ces deux années, j'ai vécues avec ma sœur et avec son fils Jonathan (entre ses 3 ans et 5 ans) : j’ai joué le rôle d’un tonton paternel, me sentant engagé vis-à-vis de lui, comme lui l’a été envers moi. Je l’aime beaucoup. Il m’a tellement porté et je me suis senti si proche de lui. La paternité est vraiment un grand bonheur ! Le mariage et la vie de famille ont pour moi tout leur sens… et j’aspirais profondément à cela.

Et pourtant, mystérieusement, mon regard s’est porté ailleurs. C’est ainsi que j'ai décidé de vivre une année de discernement en allant un week-end par mois à la rencontre des différentes communautés qui m’attiraient. Dans la liste, il y a eu la rencontre avec les frères de l'Evangile à Villeneuve-la-Garenne. Et en septembre 2006, j'ai commencé le postulat.

Une année de postulat bien remplie : je me sens poussé par l'élan de vivre pleinement cette aventure, de prier, de rencontrer les frères et les gens du quartier. Quelle joie de pouvoir faire ce chemin avec Alexei et Jean-Baptiste ! Je fais alors l’expérience de la vie fraternelle rythmée par les offices, et les partages sur nos vies et sur la parole de Dieu. Je choisis aussi de quitter mon travail de comptable pour une expérience de 6 mois en tant que manoeuvre au sein de la société Colas (travaux publics). Je m’investis aussi dans l’aumônerie de la paroisse. A la fin de mon postulat je réalise combien j’ai besoin de m’arrêter et souffler pour prendre du recul … le noviciat arrive au bon moment.

Spello (à côté d'Assise)… que désirer de mieux pour un noviciat ! Quelle beauté, quelle douceur… Mais derrière tout cela les questions se précipitent. La vie fraternelle se fait pesante, je perds mes repères liés à ma langue, mon travail, mes relations… et plus que tout cela j’ai la sensation de perdre le contrôle de ma vie. Cette année aura été un moment intense d’intimité avec le Seigneur, vécue dans un combat et un cri intérieur, mais aussi dans le réconfort et la réconciliation. Ce noviciat m’a conduit sur un chemin nouveau dont je suis curieux de connaître le prochain paysage.

J’ai maintenant la joie de rejoindre mes frères de Villeneuve en étant accueilli par Michel et Gilles, et de retrouver tous les amis laissés lors de mon postulat… pour vivre une nouvelle aventure !

 

de Alexei :

Je suis maltais, né dans un village pas loin de La Valette, la capitale de Malte. Je viens d’un pays et d’une famille catholiques. Nous sommes une petite famille, je suis le cadet d'un frère de 6 ans plus âgé que moi.

Apres l’école secondaire j’ai commencé à travailler dans des magasins comme vendeur (bricolage, vêtements, chaussures), ensuite j’ai fait une période dans une usine allemande, et mon dernier travail à Malte a été comme « éducateur » dans une maison d’accueil pour des immigrés mineurs. C’est un « métier » que j’ai appris à travers des stages et des expériences de vie. Personnellement, plus qu’un métier ça a été une opportunité pour approfondir ma connaissance d’autres cultures. Là, dans la maison d’accueil, j’ai vécu des amitiés que j’apprécie beaucoup et qui m’ont aidé à ouvrir mon regard vers l’autre.

J’avais vécu 8 mois en Haïti avec les Missionnaires de la Charité en travaillant dans un hôpital comme aide-infirmier dans le but de répondre à la rencontre que j’ai eue avec Jésus, Dieu-Amour, et aussi à discerner si le charisme des Missionnaires de la Charité était bien ma vocation. Chemin faisant, au cours de cette période en Haïti, un frère indien m’a prêté un livre de Carlo Carretto « lettres au désert ». En lisant ce livre j’ai vu des proximités possibles et une profonde vie contemplative et simple. J’ai été touché ! C’était bien quelque chose qui était proche de ce que je cherchais. La première rencontre que j'ai eue avec un membre de la famille Charles de Foucauld (toujours en Haïti), a été avec une Petite sœur de Jésus, et elle a bien su me témoigner de ce qu’elle vivait.

A mon retour à Malte, j’ai pris trois autres années de discernement, en contact avec les petits frères de Spello; j’ai vécu une expérience en Afrique de l’Est, et après je suis parti à Villeneuve-la-Garenne en France pour commencer le postulat.

J’ai vécu une période de 4 mois à apprendre le français à l’Alliance Française de Paris, et ensuite j’ai travaillé dans une petite épicerie. Les rencontres spontanées que j’ai eues en cette période au postulat ont été des occasions pour approfondir la beauté de "Nazareth". Entre les amis que j’ai eus à l’école, d’autres que j’ai eus au travail et à Villeneuve, des amitiés très belles sont nées et qui m’ont bien marqué. Des rencontres extraordinaires parce qu’elles sont très ordinaires et simples.

La 1ère année de noviciat a pris place à Spello, où j’ai trouvé aussi des frères que j’avais déjà eus l’occasion de connaître. Nous avons bien partagé ensemble au cours de cette année nos réflexions et nos expériences… nous avons bien réfléchi sur des thèmes particuliers comme Nazareth, Charles de Foucauld, introduction à l’histoire de l’Eglise, et la Bible… Le travail avec les paysans nous a donné l’occasion d’avoir une petite insertion. Le rythme de vie en campagne n'est pas facile… les relations en campagne sont réduites… et un grand silence tombe très vite le soir… Mais voilà qu'après quelques mois de noviciat j’ai eu la grâce de reconnaître que Dieu voulait être "le protagoniste" (l'acteur principal) de ma vie. Il fallait que cette période du noviciat, vécue à la campagne, soit un moment de désert où Jésus s'est fait "le protagoniste".

Après cette petite période en Espagne (à Murcia), vous me trouverez à La Roque d’Anthéron pour la deuxième année de noviciat, en compagnie d'autres frères.

 

de Jean-Baptiste :

Fin octobre 2008, j’aurai 40 ans ; il était temps de faire le point et relire quelques étapes de ma vie jusqu’ici.

Mes parents étaient installés à Paris, j’y suis resté grosso modo vingt ans. Notre famille s’enracine de toutes parts dans la foi catholique. Enfant, je présentais des signes d'une vocation précoce. Mais j’ai manqué d’un accompagnement adapté. J’espérais en l’amour, j’étais naïf et rêveur, j’ai eu du mal à m’affirmer. Aussi, vers 16 ans, n’en pouvant plus de réclamer un signe à Dieu, j’ai quitté la religion parentale en accusant l’Église d’hypocrisie. Dès lors, j’ai expérimenté la vie en suivant besoins et opportunités.

À partir de l’été 1986, motivé par la perspective de pouvoir changer le monde, je me suis attaché à un artiste sculpteur qui mobilisait autour de lui un bon groupe de jeunes hommes en recherche. Nous nous sommes impliqués dans un projet original de vie communautaire, artistique et spirituelle, qui s’est concrétisé en 1991 dans une campagne du Puy de Dôme. Mais, polarisés par un fondateur très charismatique, "gourou", malade d’omnipotence et déstabilisant, nous ne pouvions formuler une pensée critique autonome..

Déjà en 1995, malheureux, ne trouvant pas ma place dans cette communauté, je vivais à l’écart, chez une amie de Dijon. Comme d’habitude quand je souffrais de mal-être, je fuyais le monde réel et son actualité, soit dans un amour complexe, soit dans l’imaginaire des romans, du cinéma, de la chanson poétique ou contestataire.

En été 96, je suis revenu vivre en Auvergne, dont j´aimais le cadre de vie, en m´installant à Clermont-Ferrand. Je me suis restructuré au niveau professionnel : je fournissais un travail de qualité, prenais des risques payants, et j’ai vu grandir mes responsabilités. Après le bac, j’avais étudié le commerce et la gestion. Entre autres, j’ai travaillé plus de dix ans comme commercial en prestations de services pour les entreprises. Je me suis spécialisé dans les projets de formation pour l’encadrement, le management. N´empêche qu´avec ce business, mes troubles personnels, et mes déceptions amoureuses, je finissais par croire que les relations humaines se limitaient à des jeux d’intérêts complémentaires, ou à la satisfaction de besoins individuels plus ou moins obscurs.

Plus tard, les apports de la psychologie m’ont éclairé : j’ai approfondi une méthode thérapeutique, basée sur une écoute très respectueuse de la personne. J’ai découvert que chaque cœur humain bat avec le poids de sa propre histoire et selon son incomparable sensibilité.

Ces résultats positifs m’ont encouragé à prendre des engagements associatifs : je voulais proposer ne serait-ce qu’une écoute apaisante à des personnes en souffrance. Cependant, constatant mon impuissance à soulager autant d’angoisse, de solitude et d’injustice, je me suis remis à prier.

En février 2005, lors d’une visite "en touriste" dans la cathédrale Saint Jean-Baptiste de La Valette, alors que je ne l’espérais plus depuis déjà vingt ans, Dieu m’a fait vivre sa Présence, et mon cœur fou de joie s’est enflammé pour Lui.

J’ai changé de vie avec passion. Touché par Jésus, j’entrepris de vivre l’Evangile à la lettre. Je m’inspirais de la lecture de mystiques et de saints. Quand j’ai vu Charles de Foucauld debout, les bras le long du corps, démuni de puissance, donné, le regard bon, j’ai dit « c’est ça que je veux » : il faisait la couverture d’un ouvrage sur la Fraternité. Je suis entré dans la Fraternité Séculière. J’en ai aimé l’accueil, l’esprit de service, la relecture de vie en vérité. À distance, notre amitié demeure, fidèle, vivante. Simultanément, une petite sœur m’a orienté sur la fraternité de la Roque d’Anthéron. J´y ai aimé l´ambiance de prière.

À Clermont, je me suis mis à vivre dans une réalité nouvelle. Je logeais dans un foyer pour jeunes travailleurs ; faisais des heures impossibles avec l´excellente équipe d´un Mc Donald´s ; concrétisais, côté marketing, les projets associatifs d'un copain musicien, génial et non-voyant ; restaurais l’église du quartier avec deux voisins atypiques; donnais du soutien scolaire aux enfants d´une famille de Guinéens en HLM ; partais en balade le week-end avec un ami bouddhiste, et une joyeuse bande de l´hôpital de jour : je n’en revenais pas combien toutes ces rencontres providentielles m’enrichissaient. Enfin la soeur qui m’accompagnait avec compétence, m’a confirmé sur les traces du frère Charles. Et mi-2006, à Villeneuve-la-Garenne, Jean-Claude m’a proposé spontanément de commencer un postulat.

L´année de postulat fut surchargée, avec un travail de magasinier à l´autre bout de Paris et des réunions chaque soirée. Au contraire, Gabriele au noviciat de Spello, dans le calme contemplatif des paysages de la Chiona, nous a ouverts à l´expérience du temps qui fait son œuvre et à la gratuité. Ce fut précieux aussi de vivre sous le même toit que la fraternité.

Or voici que les frères me proposent de partager la vie ordinaire de la plupart des hommes et des femmes de notre temps. Sagesse de Nazareth… Bientôt je serai à Leipzig, en ex-Allemagne de l´Est. Une soirée à Villeneuve, Michael, en peu de mots, avait éveillé en moi le désir de participer à l’initiative de cette fraternité nouvelle, avec Gotthard et Andreas. Puis-je devenir solidaire d´une petite parcelle de l´incroyable humanité? Croître avec elle ? M´émerveiller des autres ? Puis-je à mon tour apprendre combien chaque personne est si intimement vivante, si infiniment précieuse aux yeux de Dieu ?