(Henri,
Bernard)
de Bernard :
Étant donné que de moins en moins de monde de la Fraternité vient nous visiter et raconter ce qu'il a vu et entendu, j'ai pensé vous rejoindre par ce diaire de Beni Abbès. Je voudrais cette fois-ci vous raconter quelques aspects de la vie, la notre et la mienne.
L'ermitage
et les visiteurs
Une des caractéristiques
de notre fraternité est celle de vivre dans une ancienne oasis du
Sahara qui a vu arriver les militaires français en 1900 et Charles
de Foucauld en 1901. Surtout au moment des fêtes, l'ermitage (que
frère Charles appelait "Fraternité") est très visité. A
part quelques isolés, les visiteurs européens arrivent en groupe
organisé avec des agences religieuses (comme "La Procure")
et un tour opérateur algérien. Ces voyages sont en générale sur
les traces de Charles de Foucauld. Ils arrivent le matin (après
avoir dormi à l'hôtel) avec leur prêtre accompagnateur, ils
célèbrent l'eucharistie et repartent ou restent encore un peu pour
bavarder. Ces groupes d'une vingtaine de personnes sont très
escortés par la gendarmerie et la police, car notre zone, aux
dernières nouvelles, n'est peut-être pas si tranquille qu'elle ne
le paraît, et l'Algérie ne veut pas avoir de problèmes avec les
étrangers.
Cependant les visiteurs de l'ermitage sont surtout des Algériens qui viennent découvrir le sud de leur grand pays. La majorité des visiteurs ne connaissent pas l'existence de Charles de Foucauld et découvrent que là, dans le désert, vivent encore quelques chrétiens. Vers la fin de l'année scolaire il y a les voyages organisés des écoles, alors des ribambelles d'enfants débarquent avec leurs professeurs. Il y a aussi de temps en temps des universitaires qui viennent du nord, et en général les étudiants en architecture posent des questions de religion tandis que les autres, intrigués par cette construction en argile, qui est encore debout depuis 1901, posent des questions d'architecture.
En général, tout se passe bien. Quelques-uns uns jettent un regard indiscret à l'évangile en arabe, ouvert à côté de la "maida" (la petite table où nous célébrons l'eucharistie). Quand les groupes sont restreints les questions ne manquent pas.
Questions réponses (ne pas tout dire mais dire quelque chose quand-même)
« Comment vous priez ? Montrez-nous! » (il faut vous dire que les prières musulmanes sont accompagnées de gestes précis) : « Quand nous prions ensemble, nous adoptons une position commune, mais quand on prie seul, chacun trouve les positions et les gestes qu'il préfère. »
« Qu'est ce qu'il y a dans cette boite ? » : « Nous appelons cette boite 'tabernacle' et dedans nous conservons un peu de pain, parce que quand nous prions ensemble ici le soir nous mangeons un peu de pain et nous buvons un peu de vin et c'est pour cela que vous voyez la petite table. Oui cela peut vous sembler curieux, mais nous faisons mémoire du dernier repas que Jésus a pris avec ses amis avant de mourir sur la croix, comme nous le croyons. Il a pris du pain, il l'a partagé en disant ''comme je vous donne ce pain je vous donne ma vie, donnez-la vous aussi'' et de même avec la coupe de vin qu'il a fait passer en disant qu'il nous donne sa vie jusqu'à verser son sang, et il a invité ses amis à donner leur vie jusqu'au bout. Pour nous les chrétiens, nous croyons que quand nous répétons ses gestes, Jésus est là lui-même avec nous... » (et j'ajoute que c'est à travers ce geste symbolique (en arabe "remzi") que nous vivons réellement la présence de Jésus parmi nous.
« Et la croix qu'est ce que cela représente ? » (en général derrière cette question se cache le fameux "signe de croix"). : « La croix est d'abord et avant tout un instrument de mort torture de l'empire romain. Le condamné devait y mourir par asphyxie et nous croyons que Jésus y est mort comme tant d'autres de son temps, asphyxié. »
« Oui mais vous dites avec la croix "au nom du père du fils..." et alors il y a plusieurs dieux ? » : « Non, Dieu est unique et il n'y a pas de parole pour le définir. Il est toujours au-delà de ce que nous pouvons dire de lui. »
« Vous êtes mariés ? » : « Non nous ne sommes pas mariés, et la question que vous venez de me poser est une très bonne question, mais si je me mariais vous ne pourriez plus me la poser. »
« Il y a des gens de Beni Abbès qui viennent prier avec vous ? » : « Non parce qu'à Beni Abbès il n'y a pas de chrétiens, et nous ne faisons rien pour qu'il y en ait. La religion n'est pas seulement une question de croyance mais aussi une réalité culturelle. Il y a ici une cohésion sociale autour de la religion musulmane, et cela je ne veux pas y toucher. »
« Mais alors qu'est-ce que vous êtes venus faire ici ? » : « Nous sommes venus continuer le projet de Charles de Foucauld qui disait : ''Je suis venu pour construire la Fraternité sur la terre''… Il faudrait quand-même que quelque part, on puisse vivre ensemble comme des frères et des sœurs même si on n'a pas la même religion ou la même couleur de peau. »
Charles de Foucauld
Après la chapelle et ses questions nous passons à la sacristie où un frère, lors d'un passage, nous a élaboré un itinéraire avec textes et photos : cela facilite la tâche pour présenter le frère Charles. Les photos sont parlantes, mais les textes qui les accompagnent, peut-être encore plus. Deux phrases affichées retiennent particulièrement l'attention de nos visiteurs : "Il faut passer par le désert et y séjourner pour recevoir la grâce de Dieu : c'est là qu'on se vide, qu'on chasse de soi tout ce qui n'est pas Dieu." Et la phrase de l'évangile selon saint Jean "Si le grain de blé ne tombe en terre...".
Parmi ceux qui passent il y a aussi de temps en temps des travailleurs chinois (il y en a en Algérie), des personnes liées aux ambassades de différents pays, comme le Japon, ou des touristes isolés d'un peu partout. Le fait d'avoir la brève présentation de la vie de Charles de Foucauld en plusieurs langues aide beaucoup. Mais ce qui provoque l'admiration de tous c'est la copie du dictionnaire touareg français de frère Charles et là, quand même, je me permets de souligner l'importance de ce travail en disant : "Il faut manger beaucoup de soupe avec les gens pour avoir tous ces renseignements".
Dans la sacristie se trouve aussi un cahier où ceux qui veulent peuvent laisser un mot dans la langue qu'ils préfèrent. A part des sentences comme : "A chacun sa religion." ou bien : "Après avoir visité ce lieu je suis heureux d'être musulman." (et nous avec lui)… on trouve quand même pas mal de compliments, d'encouragements à continuer ou de remerciements pour l'accueil. Je voudrais vous partager la toute dernière pensée écrite sur le livre de la sacristie : "Bonjour, je suis déçu par ce lieu, car il y a beaucoup de croix, et je suis désolé pour le 'père' qui brûle en enfer, j'aimerais bien danser avec lui". Je trouve ce mot touchant ainsi que ce désir de danser avec l'impie que je suis.
Heureusement
Heureusement nous ne sommes pas à Beni Abbès pour faire les visites guidées à ceux qui passent.