Fraternité de La Roque d'Anthéron ( Provence )
( Yves, Paul André, Christian )
de Yves :
La fraternité de La Roque,
démarrée fin novembre 2001, est née pour essayer de répondre à une
demande perçue dans l’ensemble de la famille spirituelle Charles de
Foucauld : qu’il y ait des fraternités où l’on puisse s’arrêter et
vivre à leur contact les grandes lignes de sa quête : la relation à
Dieu dans la prière quotidienne, l’adoration, la lecture et la
méditation de l’Évangile ; la relation à l’autre comme à un frère ou
une sœur bien aimé(e) ; la relation à soi-même dans la condition des
gens simples (l’humilité de Nazareth), se traduisant par la
participation aux travaux quotidiens, ménagers ou autres, se traduisant
aussi par la fidélité au travail salarié pour les frères.
Chacun de nous vient d’horizons très
divers, marqué par une expérience de vie en fraternité insérée.
Françoise, qui était propriétaire
de cette maison et qui attendait depuis 38 ans de pouvoir donner cette
maison à une communauté religieuse qui prie et accueille, avait
baptisé ces lieux «Les Adrets », ce qui veut dire tourné vers les
rayons : en effet, situé un peu en hauteur sur la colline, ce lieu est
baigné par le soleil du matin, du midi et du soir ; et il nous rappelle
cet autre soleil qui nous enveloppe de sa tendresse à toute heure du
jour et de la nuit ! La maison, en partie "préfabriquée" et en
partie œuvre de maçonnerie, offre une capacité d’accueil de 5 chambres
réparties en 2 appartements indépendants, chacun avec un séjour, une
cuisine et une salle de bains, et respectivement 2 ou 3 chambres.
Sur le terrain environnant (5 ha), nous avons placé 4 caravanes
destinées plutôt à des personnes venant faire des temps de solitude. Il
faut dire qu’une des grâces de ce lieu, c’est qu’il est porteur d’une
forte dimension de silence et de solitude, c'est donc un endroit
rêvé pour quelqu’un qui veut se retirer. Les occasions de promenade
sont multiples : il suffit de monter dans les bois !
Nous nous retrouvons tous les
jours à 6h30 pour la louange du matin ; et à nouveau à 19h pour
l’action de grâce du soir. En langage liturgique ces deux pôles de la
journée sont appelés Laudes et Vêpres. Dans la journée chacun de nous
choisit avec son Seigneur une heure d’adoration : la chapelle établie
dans l’ancien cabanon de paysan, qui date d’avant le tremblement de
terre de 1909, est ouverte jour et nuit comme une invitation permanente
à entrer, à s’exposer aux rayons du feu et de la grâce de Dieu. Qu’il
est bon de venir se reposer aux pieds du Seigneur, de lui remettre nos
vies, nos soucis et nos joies. Qu’il est bon de se retrouver en frères
autour de lui ! Comme me disait un grand ami prêtre à qui je dois tant
: la prière, on n’en sort jamais comme on y
est entré ! Comme c’est vrai ! Le lundi matin nous célébrons
l’Eucharistie à 6h15 ; le mardi soir, c’est encore l’Eucharistie qui
nous réunit, ainsi que le jeudi soir. Le mercredi je vais porter le «
divin banquet » chez les petites sœurs ou à la maison de
retraite, et le vendredi quelquefois chez les Voyageurs de Lançon de
Provence, à une trentaine de kilomètres d’ici. Il y a aussi la paroisse
où nous aimons aller le dimanche.
Tout au long de l’année, beaucoup
de membres de la famille spirituelle Charles de Foucauld viennent
pour des temps de ressourcement, soit une journée de récollection ou de
désert, ou pour une retraite en solitude d’une semaine. Nous avons
ainsi accueilli cette année plusieurs petites sœurs de Jésus, mais
aussi l’une ou l’autre personne en quête de solitude et de prière
silencieuse : pour ces
personnes nous offrons aussi la possibilité d’un accompagnement quotidien par l’un de nous.
Des membres des fraternités "jeunes" qui ont cheminé longtemps avec Henri Le Masne1,
nous ont fait la joie de venir partager le long WE de l’Ascension, en
famille avec leurs enfants… vécu très riche qui nous donne envie de
répéter aussi avec les couples jeunes que nous connaissons autour
de nous.
Nous avons aussi eu la joie
d’accueillir en début d’année les frères novices et leur responsable de
noviciat pour une session sur la vie affective. La dame qui devaient
intervenir pour guider cette session était restée bloquée dans le train
qui venait de l’Italie par la neige qui était tombée abondante ces
jours-là ; alors Christian, Paul André et moi nous nous sommes prêtés à
tour de rôle aux questionnements de nos jeunes frères.
Nous organisons aussi des temps de
prière et de convivialité autour de la Parole de Dieu, écoutée,
méditée, partagée et célébrée. Ces rencontres se passent soit en fin de
semaine, soit durant une semaine, dans un climat de silence ; ainsi
nous ne parlons pas pendant les repas, et même dans la journée nous
cherchons à garder ce silence intérieur propice à laisser
entendre le murmure de l’Autre. En général ce sont 4 à 5 personnes qui
arrivent à trouver le chemin des Adrets et à faire fraternité ensemble
et avec nous autour de la Parole de Dieu. Ce sont toujours des temps
forts de reprise, de retour à la Source de Vie.
Nous recevons aussi des groupes
pour une journée autour de la Parole ; c’est ainsi que depuis deux ans
nous avons la joie d’accueillir de temps en temps un groupe de
"Voyageurs" avec lesquels des liens d’amitié se sont tissés. Lors de
ces journées, Dédé, délégué diocésain pour les gens du voyage et
voyageur lui-même, vient avec ce petit groupe pour prier, louer le
Seigneur, partager l’Évangile, partager un repas toujours festif et
généreux (ce sont eux qui amènent tout !), et dans la soirée
célébrer l’Eucharistie avant de repartir chacun vers son terrain. Lors
de ces journées sont présentes aussi les petites sœurs de
Mallemort dont la fraternité a été fondée pour permettre aux petites
sœurs "nomades" de continuer à vivre les liens tissés principalement
avec le monde "gitan". Grâce aux petites sœurs, nous avons été amenés à
mieux connaître quelques manouches et sinté 2.
J’ai eu la joie d’en baptiser plusieurs, dont un père de famille.
Plusieurs jeunes ont fait la première communion, d’autres se préparent
au baptême et à la première communion ; tous se retrouvent une fois par
mois chez les petites sœurs de Mallemort pour un temps de prière et de
partage d’Evangile avec Dédé et moi-même : c’est avec grande joie que
je rends ce service à ces "derniers" qui m’ont accueilli et qui ont
fait la joie de mes premières années de fraternité…
Mais ce n’est pas parce que
mon cœur penche vers ce monde que nous ne sommes ouverts qu’à ces
populations… loin de là. Nous avons la chance de vivre dans une époque
et dans un diocèse en mouvement. Après l’assemblée presbytérale, lancée
par Mgr Claude Feidt, qui a poursuivi sa réflexion durant deux ans, nos
évêques envoient maintenant tout le peuple de Dieu, les pasteurs avec
les fidèles laïcs à être attentifs à vivre les ministères autrement,
à susciter des communautés chrétiennes neuves où ensemble se
vivent la prière, la vie fraternelle et les sacrements… Ce qui manque
le plus, bien souvent, c’est un réel tissu humain capable de rassembler
une communauté chrétienne. C’est peut-être aussi le moyen de redonner
valeur à nos églises paroissiales, capables de regrouper régulièrement
ces communautés dans une communauté élargie. C’est ainsi que Paul André
est particulièrement engagé dans un mouvement appelé "Transhumance", où
se retrouvent des personnes du monde rural qui renouent avec la
pratique de foi, après des années d’éloignement suite à un sentiment
d’abandon de la part des structures d’Église. Ce sont les Frères
Missionnaires des Campagnes, longtemps présents dans la région, qui ont
lancé ce mouvement voilà bien des années. Peu à peu, des liens solides
se sont établis entre les gens qui se rassemblent régulièrement pour
partager et célébrer leur foi, et aussi pour être attentifs aux
questions et aux détresses de notre monde : ainsi plusieurs participent
régulièrement aux "cercles du silence", mis en place par des frères
franciscains et qui entendent soutenir l’espérance des sans-papiers
menacés d’expulsion. Paul André anime aussi mensuellement un groupe
biblique qui draine de plus en plus de personnes, signe de la
soif réelle d’entendre et de manger la Parole de Dieu.
Chacun de nous a une activité
salariée, non seulement par nécessité de gagner sa vie, mais aussi
comme moyen de garder nos pieds bien plantés à "Nazareth".
Nazareth, cher au cœur de Charles de Foucauld, une dimension de
laquelle nous ne pouvons nous couper sans être déséquilibrés… Nous
avions pensé, imaginé d’autres moyens de vivre que ce travail salarié,
afin d’être plus disponibles à l’accueil… mais nous nous sommes rendus
compte que cette dimension de Nazareth était nécessaire à notre
équilibre.
Christian travaille à temps plein dans
une maison de retraite de Mallemort ; sontravail, concentré dans des
journées de 11h ½ lui donne pas mal de journées libres qui lui
permettent donc aussi d’être présent ici. Le monde qui lui colle à la
peau, ce sont les personnes âgées, avec tout ce qui est lié au grand
âge : beaucoup de merveilles empreintes de simplicité, mais aussi
beaucoup de misères et de souffrances, avec des angoisses, des
abandons, des solitudes…
Paul André est auxiliaire de vie,
fidèle au poste depuis maintenant huit ans auprès d’un jeune qui, après
un accident de voiture, était resté dans le coma pendant 7 mois !
Embauché par le papa qui avait décidé de reprendre son fils à la
maison, il est devenu peu à peu l’ami de la maison sur lequel on peut
compter en toute circonstance ; et pour lui, il a trouvé une deuxième
famille, un lieu aimé de travail, mais aussi de repos et de fête ! Il
faut dire que Paul André a eu ce privilège d’accompagner Sébastien dans
son réveil : le veillant alors qu’il était encore dans le coma, il a
surpris ses réactions et l’a appelé en lui fixant un code très simple
de pression correspondant à OUI et NON. Paul André se fait toujours une
joie de nous entretenir longuement du miracle de la vie et de
l’amour !
Moi-même enfin, je travaille actuellement un
tiers temps comme jardinier, principalement auprès d’une dame
âgée pour l’entretien du terrain et de la maison ; mon travail est
rémunéré sous le régime des chèques emploi-service. J’aime ce
travail au contact de la nature où je vois, saison après saison, les
changements de la végétation, la croissance et l’hibernation des arbres
et des fleurs… mais ce qui me passionne le plus sur cette terre de
Provence, ce sont les Oliviers (voyez, je les écris avec une majuscule)
; j’en ai planté une bonne vingtaine ; ils étaient tout petits
et, saison après saison, je les guette pour leur voir mettre de
nouvelles feuilles d’un vert tendre… Au printemps ils se revêtent de
fleurs et alors j’attends la formation des premiers petits fruits,
tremblantavec eux de voir arriver une grosse pluie qui risquerait
de faire couler les fleurs… et puis durant les grosses chaleurs je les
veille afin de leur donner l’eau manquante aux premiers signes de
dessèchement, lorsque les olives se mettent à se friper comme une
vielle peau déshydratée !
Il y aurait encore beaucoup à dire
!… Ces 8 ans passés ici ont été un creuset pour la vie fraternelle qui
n’est pas un long fleuve tranquille ! Mais Jésus ne nous a pas promis
cela, il nous emmène plus loin dans SA Pâque, qui est passage vers le
Royaume de son Père où règne la Fraternité. Nous ne pouvons réaliser
cela par nos forces… mais à Dieu rien n’est impossible.
1 Prêtre de la fraternité sacerdotale de Lyon, décédé depuis peu
2 Ce sont des groupes Tziganes
|