Fraternité de Villeneuve-la-Garenne (Île de France)
(Gilles, Michel, Gabriel)
Gabriel
avec José Luis lors de sa
profession
de Gabriel
Le 1er novembre 2009, jour
des Saints, j'ai prononcé mes premiers vœux au sein de la Fraternité.
Un jour vécu intensément comme vous pouvez l'imaginer, signifiant ce
désir et cet accord pour avancer avec des frères sur ce long chemin à
la suite du Christ. Ma petite expérience me montre combien la vie est
faite de petits pas, et que c'est en avançant que l'on trouve
sens à ce que l'on est. Cela me fait penser aux premiers pas dans la
vie d'un enfant, qui s'élance pour se jeter dans les bras de ses
parents. Il est totalement absorbé par ces mains qui l'attendent et la
voix qui l'encourage – ce passage de l'Evangile de Mathieu raisonne en
moi : « heureux sont vos yeux, parce qu'ils voient, et vos
oreilles, parce qu' elles entendent ! ».
Une fois saisi dans les bras de ses parents il peut alors les regarder
dans les yeux et contempler le chemin parcouru.
Ces trois
premières années de formation au sein de la fraternité auront été
cet apprentissage à me laisser saisir en confiance par le Père pour
pouvoir Le regarder et contempler mon histoire. Les enfants ont vite
compris cela, mais moi quand je repense à ces trois années dans la
fraternité, je constate que j'ai été, bien souvent, pris de vertige.
*
J'aimerais vous parler de la place de notre fraternité insérée dans la
banlieue parisienne.
Pour moi, ce phénomène des
banlieues est une question bien préoccupante pour notre société, et
chez nous à Villeneuve, cela se résume à : sans-papiers, chômage et
travail précaire (19% de chômage), population jeune, souvent en
difficulté scolaire et influencée par des réseaux de drogues et autres
(38% de la population a moins de 25 ans), famille décomposée (une
famille sur cinq est monoparentale), religion musulmane de plus en plus
marquée (nouvelle mosquée en construction), problème de logement (78%
de logement social) pour une population dont la moitié est sous le
seuil de pauvreté...
Je suis de plus en plus persuadé que
nous sommes au cœur d'un phénomène incontrôlé qui éclatera sûrement un
jour. Et malheureusement les initiatives pour essayer de résorber ce
problème sont rares. Pourtant, tellement de personnes ont du mal à
faire face à cette précarité toujours plus oppressante. Et un des
dangers vient de ce que ces populations s'enfoncent de plus en plus
dans un radicalisme identitaire et religieux.
Dans mon travail dans
une grande surface, je suis souvent révolté par l'attitude de mes
patrons (100% français) envers les salariés (environ une centaine de
salariés à 95% issus de l'immigration, dont près de la moitié sont
algériens ou marocains). Bien souvent le patron s'autorise à remplacer
comme bon lui semble ses salariés en fonction uniquement d'un moindre
coût et les menaces de licenciement permettent de maintenir une
certaine pression au travail. Pour certains, la pression est telle
qu'ils tombent en dépression ou en maladie. Mais sans vouloir défendre
mon directeur, il faut comprendre que lui-même est soumis à une
pression folle faite par le propriétaire du magasin. Cette France qui
se vante d'être une nation garante des Droits de l'Homme pourrait bien
se remettre elle-même en cause (tant certaines injustices sont
criantes), avant de donner des leçons aux autres !
C'est vrai que tout n'est
pas rose, mais je voudrais vous témoigner combien j'aime mon quartier,
ma fraternité, mon travail. Je me sens vraiment chez moi à Villeneuve
et je suis persuadé que Dieu est bien présent là dedans. C'est
magnifique d'être au beau milieu de ce brassage de cultures,
d'être au cœur d'une nouvelle société qui se crée et se recherche. Cela
me semble être un beau défi pour ce siècle. Dans notre petite banlieue,
finalement assez tranquille, nous assistons chaque jour à un vrai
miracle de voir cohabiter en paix des gens d'origines si différentes.
Bien évidemment il y a des scènes de violences et de mépris, mais les
occasions de contemplation de la vie qui jaillit ne manquent pas. Je
pense à tous ces enfants qui jouent ensemble au pied de l'immeuble sans
distinction de la couleur de peau. Il y a aussi notre petit groupe de
chant de la paroisse animé par un cœur multiculturel et au rythme
parfois bien congolais avec Franck et Dédé. Notre quartier est aussi
rythmé par les différents appels à la prière avec les différentes
processions de fidèles vers l'église, le temple évangélique, la
mosquée, la synagogue, et même la salle des Témoins de Jéhovah. Au
travail, je suis témoins de nombreux élans de solidarités et d'amitiés
entre
collègues de nationalités très différentes. Il n'y a pas longtemps
encore, tous les frères nous étions invités au mariage d'Hélène et
Amar. Hélène, membre actif de la petite fraternité jeune que
Gilles accompagne, a rencontré Amar venu tout droit de Tunisie avec
toute sa tradition musulmane. Et comment ne pas évoquer nos voisins et
leurs filles, avec qui nous nous sommes liés d'amitiés, et qui
proposent régulièrement leurs services.
Derrière chaque situation se cachent bien
évidemment des réalités complexes, mais qui témoignent que la vie
ensemble est possible et que le Royaume de Dieu est pour aujourd'hui.
*
Notre
monde bouge... et même très vite. Les crises et les sujets de
préoccupations ne manquent pas. Il y a tant à faire et je me sens bien
démuni.
Ce temps nous encourage à rester
en éveil et attentif aux signes que le Seigneur nous envoie. Malgré ce
mystérieux silence de Dieu sur des situations qui semblent si
inexplicables et injustes, il nous redit son amour et son désir que
nous soyons « heureux... ». C'est accompagné du texte des béatitudes
que j'ai prononcé mes premiers vœux en novembre dernier... un beau
programme !
|