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Visite en Inde de Giuliano ( frère Prieur )
 


Bangalore

       Je viens de rentrer d’Inde et j’aimerais vous donner quelques nouvelles de ce mois et demi que j’ai passé dans ce pays fascinant, hôte des familles de nos frères (Yesudas et Vishwas), et des Petits Frères de Jésus (PFJ). C'est vrai que nous n’avons plus de fraternité en Inde depuis une vingtaine d’années, mais quand j’ai su que Vishwas et Yesudas1 seraient dans leur pays en février (l’un pour visiter sa famille et ses amis, et l’autre pour une année sabbatique), j’ai pensé qu’il serait bon d’aller passer quelques semaines avec eux… et que cela s’imposait. Une fois la décision prise, les frères d’Afrique de l’Est ont proposé à Alex2 d’aller, lui aussi en Inde pour visiter la famille de Yesudas et pour entrer en contact avec les PFJ : en effet l'Inde et l'Afrique de l’Est sont deux régions qu’on peut dire relativement proches. En préparant ce voyage, j’ai vite réalisé  que c'était très intéressant de programmer mes dates de manière à pouvoir passer quelques jours avec Hervé (prieur des Petits Frères de Jésus), lui aussi en visite en Inde. Et je veux tout de suite dire combien nos frères ont été disponibles et accueillants pour nous qui sommes arrivés chez eux à quatre ! Je suis arrivé directement à Bangalore, et ainsi j’ai pu passer une semaine chez les PFJ qui ont deux fraternités dans cette grande ville : une dans le village de Mylasandra, avec Michael et Kumar, et l’autre dans le quartier de Ulsoor, avec Mani et Xavier. Ces premiers jours ont été importants pour échanger sur l’année sabbatique de Yesudas. 
        Ma dernière visite dans ce pays avait eu lieu quand on y avait encore une fraternité3. J’ai retrouvé l’Inde et les PFJ avec beaucoup de  joie, (sans oublier les Petites Soeurs qui ont à Bangalore leur fraternité régionale) : le seul frère que je ne connaissais pas c’était Xavier. Mais en 20 ans, l’Inde a beaucoup changé et s’est modernisée… et Bangalore est probablement la ville où cela se remarque le plus.
       Après cette première semaine, je suis allé à Goa dans la famille de
Vishwas et nous sommes restés chez sa sœur, qui, avec son mari, nous ont magnifiquement accueillis, tout en allant visiter des amis.
       Nous avons aussi passé deux jours chez les "Missionnaires de Pilar",
(nous étions hôtes dans l’ancien couvent franciscain qu’ils occupent), où nous avons visité leur musée archéologique et parlé avec le Père, professeur d’histoire, qui en est l'administrateur. En se basant sur des traditions très anciennes et des repères archéologiques, ce Père est certain que les apôtres Thomas et Bartholomé ont évangélisé cette côte de l’Inde et y ont fondé des communautés bien avant la naissance de la majorité des communautés d'Occident. Il affirme ainsi que, bien avant l’arrivée de François Xavier, il y avait une chrétienté indienne datant de l’âge apostolique. Le christianisme en Inde n’est donc pas "occidental" mais bien "asiatique". En l’écoutant,  j’ai pensé à un livre que j’avais lu seulement quelques mois auparavant, écrit justement par quelqu’un qui vit et enseigne en Inde depuis de nombreuses années, Lucien Legrand : « L’apôtre des Nations ? Paul et la stratégie missionnaire des Eglises apostoliques ». Cet auteur constate que Paul n’exerça son ministère qu’en Asie Mineure et en Europe. Or, il connaissait très bien Antioche, capitale de l’Orient, et Alexandrie, porte du monde nilotique. Ces deux villes donnaient accès à d’autres terres, à l’Asie et à l’Afrique, continents bien connus du peuple juif par ses exodes et ses exils. Comment se fait-il donc que Paul se soit tourné vers l’Occident plutôt que vers le Midi ou l’Orient ? Pourquoi ne dirigea-t-il pas ses pas vers le Soudan et l’Ethiopie, la Mésopotamie et la Perse, et même vers l’Inde ? En se penchant sur  ces problèmes, l’auteur met en question une perspective sous-jacente aux études pauliniennes qu’il juge excessivement occidentale.  Il élargit l’horizon  néo-testamentaire et montre sous un autre jour le riche pluralisme des Eglises apostoliques, de leurs missions, de leurs divers modes d’acculturation. Les Eglises apostoliques témoignent d’une riche diversité plurielle. Le nouveau testament (de Jacques à Paul en passant par Pierre et Jean et les autres apôtres), présente la Mission sous des formes variées qui transmettent la Bonne Nouvelle de Jésus Christ dans tous les azimuts, avec des accents théologiques, des disciplines, des options missionnaires et des structures communautaires bien différentes. Je trouve personnellement très inspirant cette pluralité des Missions dans l’Eglise Apostolique, cette pluralité de théologies et de sensibilités dans la manière d’envisager la Mission et de la vivre. Je pense que dans l’Eglise d’aujourd’hui, comme aussi dans la Fraternité, la manière paulinienne (devenue occidentale) de vivre la Mission tend à être considérée comme la plus significative sinon comme l’unique manière. Or, revaloriser cette pluralité des origines pourrait nous aider à comprendre mieux la réalité de nos différentes insertions, sensibilités, manières de vivre la Mission en privilégiant l’une  ou l’autre des différentes traditions, selon les contextes.
       Avec l’arrivée d’Alex à Goa nous étions 4 frères de l'Evangile en
Inde ! Assez vite j’ai rejoint Yesudas dans sa maison familiale, pour célébrer le baptême du dernier-né de la famille et le retour de Yesudas : 150 personnes, entre parents et amis, ont rempli la maison avec joie et chants, beaucoup en portugais. Les jours suivants, avec le grand-frère de Yesudas et son épouse, nous avons parcouru la région, riche en histoire, et pris connaissance d’initiatives locales bien intéressantes. Puis, tous les quatre ensemble, nous sommes partis  en train, chez les PFJ de Mylasandra. Nous avons pu nous rencontrer avec tous les frères de Bangalore et partager les nouvelles de nos fraternités respectives. Assez vite nous avons réalisé que tous nous arrivions de fraternités similaires : Mylasandra, Mlangareni et Ciudad Hidalgo sont en effet des fraternités fondées, et même construites, pour  répondre à des besoins semblables : être plus présents et visibles dans les églises locales, avoir des communautés plus étoffées pour pouvoir accueillir aussi bien des jeunes candidats, des frères plus âgés ou des gens désirant partager notre vie pour un temps. Ces fraternités rencontrent les mêmes défis. Nous n’avons pas trouvé de réponses miracles, mais l’échange a été très intéressant.
        Pendant le temps passé à Bangalore j’ai visité deux fois un sanctuaire très populaire dédié à la Vierge : la basilique de  Notre Dame de la Santé de Shivajinagar. Ce lieu est visité, du matin au soir, par une foule de gens, de toutes religions, qui viennent demander à la Vierge son intercession et lui ouvrir leur cœur dans la peine  et la souffrance. On peut y voir des gens s’approcher de la Vierge à genoux : un peu comme dans la basilique de la Guadalupe au Mexique, ou bien comme dans le sanctuaire de la Vierge du Pilar à Goa où chaque jeudi l’église se remplit de fidèles. Je dois dire que depuis que j’ai pu participer, avec nos voisins de Ciudad Hidalgo, au pèlerinage à pied à la basilique de la Guadalupe ou aux 46 rosaires qui conduisent à la fête de cette même Vierge, je suis de plus en plus sensible à la foi qui s’exprime dans ces actes de piété populaire. J’y retrouve facilement ce même "cri des pauvres" qui est aussi au cœur des psaumes et de la foi d’Israël exprimée dans les Ecritures : cri poussé vers Dieu  à partir de l’expérience tragique de la vie et de l’interrogation qu'elle suscite… Exigence de se souvenir des souffrances et des injustices qui sont le lot d’une large part de l’humanité… J’ai appris à lire  et à apprécier ces prières comme étant le plus impressionnant et le plus émouvant document du langage humain qui parvient à exprimer la souffrance, la crise, la contestation, la lamentation… Pendant ce séjour à Bangalore, Vishwas nous a quittés pour retourner à Goa et y passer quelques jours encore avec sa famille et ses amis avant de repartir pour New York et le Mexique. Avec Yesudas et Alex nous sommes partis à Alampoondi pour aller passer quelques jours avec les PFJ, Shanti et Visu. Ici aussi nous avons  été accueillis magnifiquement par les frères et nous avons pu nous rendre compte de la beauté des relations avec les gens de ce village qui se sont créées tout au long des 40 années de travail et de présence des frères. Nos
journées ont été bien remplies par le dialogue avec les frères et les nombreuses visites. Nous avons bien sûr visité le "Centre rural Gandhien de réhabilitation"4 avec le centre pour handicapés, la clinique des herbes, le tissage et la production de spiruline10. Nous avons visité deux anciens noviciats (Yesudas a fait son noviciat dans l'un des deux), et l’ermitage des frères. Une journée a été consacrée à la visite du grand temple hindou de Tiruvanamalay, à moins d’une heure de bus. Shanti nous a aidés à en découvrir la beauté, la signification des symboles et celle des offices qui y sont célébrés.  On y a aussi découvert la manière libre et affectueuse avec laquelle les fidèles utilisent le temple, comme s’ils étaient chez eux : on y prie, parfois de manière très spontanée, on y médite en silence, on  y vient pour des offrandes, on y lit, on y passe un moment de dialogue ensemble, on y dort, on s’y relaxe… chacun, hommes et animaux, selon sa sensibilité et ses besoins. Comme Shanti nous le disait : que cela est bien différent de la manière, souvent assez formelle, que nous avons d'utiliser l’espace de nos églises !
         Pendant ce séjour à Alampoondi j’ai visité Anand qui vit dans un village de Dalits6 et collabore activement dans un centre pour leur libération. Dans ce centre, il y a aussi différentes activités : école primaire, classes de formation technique, services  pour handicapés…
une petite clinique est aussi en construction. Si c’est vrai qu’en revenant en Inde après 20 ans j’ai trouvé le pays changé, c’est vrai aussi que quand on visite les campagnes (et en particulier les villages des Dalits), on a l’impression que rien n'a changé  pour les pauvres (plus de 60 % de la population), et en particulier  pour les Dalits qui sont victimes encore de discrimination
     Il me faudrait écrire plusieurs pages pour rendre compte de toutes les choses intéressantes échangées avec les frères : sur l’Inde, sur ses religions, sur la politique, sur l’acculturation et le dialogue interreligieux, sur la Fraternité en ce pays, etc. Une interrogation est revenue souvent : Pourquoi, même avec tous les efforts faits, nous n’y avons pas plus de vocations ? Je pense à ce que nous a dit un père jésuite à Mylasandra : « Peut-être il vous faudrait plus de 'glamour' (prestige, séduction) pour attirer les jeunes ». Mais comment concilier prestige et Nazareth ? L’interrogation reste ouverte.

1 -Vishwas est en fraternité à Ciudad Hidalgo (Mexique), et Yesudas à Mlangareni (Tanzanie)
2 -Alex vit en Tanzanie avec Yesudas.
3 -Nous avons ouvert la fraternité de Varanasi en 1975 (Première insertion des PFE en Inde) avec Vishwas et avec Francis-Dînbandhu (Jean François L.). La
     fraternité de Bombay a commencé en mai 1988 (avec Vishwas et Yesudas) et on a dû fermer en juillet 1994.
4 -Les frères ont participés activement à la formation et au developpement de ce centre
5 -La Spiruline est un micro organisme aquatique parfaitement comestible qui peut être utilisé comme complément alimentaire à haute valeur nutritive.
6 -Ont appelle aujourd'hui Dalit les intouchables; Le mot Dalit signifie littéralement écrasé