Fraternité de Beni Abbès (Algérie)
(Henri, Bernard, Yvan [PFJ] )
Diaire de Bernard :
Comme un peintre compose son tableau avec des touches de couleur, je vais moi aussi vous dire des choses par touches.
Un an après
En avril
dernier il y avait un an que Xavier nous quittait lors d'un accident
tragique, et depuis ce temps à Beni Abbés, les gens ne nous saluent
plus de la même manière, car ici, une famille éprouvée par la mort d'un
proche est accompagnée par mille attentions, surtout quand le grand
départ a eu lieu dans des circonstances tragiques. En effet ce n'est
pas la même chose de mourir rassasié d'années et après une longue
maladie ou de partir brusquement dans un accident alors que on est
encore plein de force et de vie. Les gens nous saluent en chemin de
manière toute particulière… Même le simple du village qui, quand il me
croisait levait tout juste le bras en gardant ses distances, s'approche
maintenant et fait un bout de route avec moi avant de poursuivre son
chemin. Un matin, à la boulangerie, il y avait une queue interminable,
un homme, qui était devant, m'aperçoit, et voilà qu'il attend dehors
que mon tour arrive simplement pour me saluer et me demander si je vais
bien. La chaleur humaine de beaucoup est vraiment évangélique.
En avril
dernier, alors que nous pensions à Xavier, trois morts tragiques sont
arrivées à Beni Abbès. Un homme s'est perdu dans le désert… un ouvrier
de la commune, que nous connaissions bien, s'est renversé au travail
avec le tracteur et la benne… et un jeune voisin est mort en nettoyant
un puits : le manque d'oxygène au fond du puits l'a fait tomber au
moment où il remontait. Être invité aux repas de deuil n'est plus la
même chose depuis le grand départ de Xavier, il y a maintenant une
espèce de connivence, car nous aussi nous savons ce que cela veut dire
le deuil.
Je n'ai pas le temps de "faire quelque chose" !
La question que nous
posent souvent ceux qui passent (et ne nous connaissent pas) est la
suivante : "Mais qu'est ce que vous faites ici ?" Étant donné que nous
appartenons à la catégorie des ''missionnaires'', nous devons bien
avoir quelques œuvres, nous devons sûrement faire quelque chose dans le
domaine de la santé ou de l'éducation… Eh bien non ! En fait, en nous
contentant d'être là, disponibles, il ne nous reste plus de temps pour
"faire quelque chose". Bien sûr, on ne peut être ici sans donner un
coup de main à toute une population qui se trouve être avec toutes
sortes de besoins. Mais à cause de l'histoire de cette fraternité
marquée par le partage de la vie de travail (quand cela était
possible), nous affectionnons la relation "d'homme à homme" ! Mais au
fond, n'est-ce pas la manière "laïque" de dire ''Nazareth'' ?
Un
groupe vient visiter l'ermitage : l'un de nous se rend disponible pour
l'accueillir sans tomber dans le travers des guides de monuments… Un
voisin ou une voisine nous demande une aide en français avant de passer
un examen, et nous voilà parti pour quelques répétitions, surtout
l'après-midi… Les nomades, qui sont nos plus proches voisins, ont tous
encore leurs chameaux et s'aventurent régulièrement dans le désert. Les
maisons où ils habitent sont souvent organisées comme des tentes, avec
des tapis et des coussins par terre ; mais, petit à petit, ils
améliorent leur habitat : il faut donc installer des rideaux ou des
étagères ou des tuyauteries d'eau, des serrures… et me voilà parti pour
quelques bricolages. Quelqu'un veut-il venir passer un temps avec nous
pour faire une coupure dans sa vie ! Cela demande pas mal de démarches,
et nous voilà partis pour faire signer par le Maire le certificat
d'hébergement. Et puis il y a tout le "non-programmé" : voilà ce qui
arrive à longueur de journée.
Il faut vous
dire aussi que nous avons choisi de vivre simplement : nous ne
cherchons pas l'efficacité (en faisant intervenir des donateurs ou en
créant des projets), d'une part parce que nous ne sommes pas capables
de le faire, et d'autre part parce que (l'expérience nous le montre),
quand il y a des questions d'argent, la relation change… et le pays qui
nous accueille ne comprendrait pas des initiatives que nous pourrions
mettre en oeuvre. Nous désirons maintenir une relation simple avec les
gens. Nous avons bien une "caisse d'entraide", mais il m'est arrivé
parfois de décourager des gens qui voulaient y verser quelque chose.
La fraternité
Il y
a du nouveau chez nous. Après la mort de Xavier, nous sommes restés
tous les deux (Henri et moi), en vivant tant bien que mal l'absence de
notre frère. Et voilà que Yvan (petit frère de Jésus) a exprimé le
désir de nous rejoindre. Notre vie est tout à fait positive : chacun
reste lui-même, et nous vivons sans nous demander quelle est la
différence qui existe entre nous. Nous laissons cette question aux
commissions qui travaillent sur le sujet. Nous trouvons petit à petit
notre place avec ce qui fait notre vie : les visiteurs, le voisinage,
ceux qui séjournent pour une période avec nous, le tour de cuisine et
de liturgie, les jardins, le poulailler, la maison, les imprévus etc.
Le diocèse du Sahara
Notre diocèse est l'un des plus grands du monde, il s'étend sur tout le
désert algérien, c'est à dire 80% du territoire nationale : 2 millions
de Km² pour presque 4 millions d'habitants. Nous sommes une petite
église composée de permanents : 40 religieuses et 25 prêtres et
religieux, et puis il y a des coopérants volontaires et une douzaine
d'étudiants africains chrétiens de l'université de Ouargla. Nous nous
retrouvons (ceux qui le peuvent) tous les ans pour une session ou une
assemblée diocésaine. A la dernière rencontre, nous étions une
soixantaine. Nous nous connaissons presque tous et nous nous retrouvons
par secteur. Je ne vous dis pas le nombre de kilomètres que nous devons
faire pour nous retrouver.
Je me sens personnellement très à l'aise dans cette
église minoritaire qui n'a pas "pignon sur rue", car vous l'avez
compris, nous ne sommes pas assez nombreux pour pouvoir être considérés
comme une ''minorité''. En cela nous sommes peut-être l'église de
demain, si bien que ceux qui viennent nous visiter, venant d'ailleurs,
font ainsi un saut vers le futur.
A Beni Abbés
A Beni
Abbés la famille s'agrandit : nous vivons à côté d'une fraternité de
petites sœurs de Jésus, elles sont 4 permanentes pour le moment ; mais
voilà qu'elles ont réussi à accueillir 5 novices de 5 nationalités. Les
novices ne sont pas toujours ici, pour des raisons climatiques (comme
la chaleur de l'été), mais surtout parce qu'elle ont réussi à avoir des
papiers de séjour dans d'autres lieux où elles doivent se rendre de
temps en temps. La responsable des novices nous met à contribution.
Henri leur a animé la retraite d'ouverture, et je leur ferai une petite
session sur les psaumes.
Je trouve leur présence stimulante et complémentaire
dans les relations avec la population. Quand nous nous retrouvons le
soir à la prière, nous échangeons souvent les nouvelles du village.
A la prochaine
Voilà, je vous ai donné quelques nouvelles de notre coin de désert où
il fait chaud maintenant : 46° durant la journée, 40° pendant la nuit
et le matin au lever du jour 35°, et cela pendant tout le mois de
juillet.
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