Fraternité de Beni Abbès (Algérie)
Henri, Bernard, Yvan PFJ
Diaire de visite de José Luis
J'ai passé 3 semaines avec Henri,
Bernard et Yvan à Beni Abbès, mais j'ai fait aussi plusieurs jours de
visites aux frères et aux soeurs d'El Abiodh et d'Alger.
L'accueil des trois frères a été chaleureux et fraternel.
Nos trois frères travaillent la terre. Les palmiers
qui sont actuellement en pleine floraison sont un de leurs travaux. Ils
ont également un jardin rempli de légumes qu'ils utilisent pour avoir
une alimentation saine ou pour la vente, comme pour les dattes. Je me
suis réjouis en ces jours d'avoir pu les aider en quelque chose qui me
plait : cultiver la terre et soigner les plantes.
Ce qui m'a le plus touché c'est leur capacité de
vivre dans un milieu musulman sans autre prétention que la pure
gratuité, parce qu'on reconnaît que "les autres" ont toute leur valeur
: non seulement sans la prétention de les convertir, mais bien au
contraire de les encourager à être ce qu'ils sont à cause de la
richesse que leur différence nous apporte. Cela vaut aussi pour nous :
être ce que nous sommes comme chrétiens, sans le déguiser, parce que la
différence bien vécue nous amène vers d'autres horizons : la tolérance,
le respect, le pluralisme, la convivialité, la confiance mutuelle,
l'amitié… Toutes ces valeurs du Royaume sont la vraie préoccupation de
Jésus et sont en elles-mêmes Bonne Nouvelle. J'ai vu les frères
participer à des célébrations de deuil, amener des légumes pour le
repas comme n'importe quel voisin, en étant coude à coude devant le
mystère de la mort, qui touche de la même manière les musulmans et les
chrétiens, en partageant la même foi devant la vie qui avance, au-delà
de la mort. J'ai vu aussi des garçons et des filles qui demandent une
aide pour les tâches de l'école, des femmes et des hommes qui demandent
un coup de main pour se sortir d'une panne électrique ou du mauvais
fonctionnement du gaz… N'est-ce pas cela la Bonne Nouvelle qui faisait
sauter de joie Jésus quand il voyait que les pauvres vivaient tout cela
sans le savoir, tandis que les scribes, les pharisiens et les prêtres
s'enfermaient dans leurs questions scolastiques? Bonne Nouvelle sans la
prétention de convertir! Présence gratuite dans la ligne des moines de
Tibhirine, de Charles de Foucauld, de René Voillaume, de petite soeur
Magdeleine et de tous ceux qui ont fécondé ces terres avec l'intuition
de Nazareth, c'est à dire en "criant l'Evangile par la vie", ce qui n'a
rien à voir ni avec le prosélytisme ni avec le pouvoir.
La ville de Beni Abbès, comme tout le peuple
algérien, se réveille de bon matin invitée par les imams depuis le
minaret des mosquées pour louer Dieu : parce que "c'est mieux de louer
Dieu que de continuer à dormir", crient les haut-parleurs. La foi des
musulmans marocains avait frappé Charles de Foucauld, de même pour moi,
la foi du peuple algérien m'a beaucoup frappé. J'ai vu des dizaines
d'hommes aller prier plusieurs fois par jour, j'ai vu comment les gens
s'arrêtent dans la rue, se tournent vers l'orient en se mettant à
genoux et prient. Ils m'ont fait me souvenir des scènes de mon enfance
: ma mère nous enseignait à prier tous les jours quand on se réveillait
ou quand on allait au lit ; on avait l'habitude d'aller faire la visite
au St Sacrement quand on sortait de l'école (il y avait pas mal de
personnes qui faisaient de même quand elles sortaient du travail). Dans
mon village, quand j'étais enfant, les cloches sonnaient plusieurs fois
par jour et dans ma famille comme dans la plupart des autres familles,
c'était le moment de prier l'angélus. Et le soir on priait le chapelet
en famille. Je crois que cette manière de semer dans la journée des
rappels pour se mettre en présence de Dieu, est quelque chose de commun
aux trois religions d'Abraham, même si beaucoup, avec la
sécularisation, ont perdu cette habitude.
J'ai vu qu'en Algérie les liens de la famille
"Foucauld", entre les laïcs, les petits frères et les petites soeurs,
sont particulièrement étroits : j'ai obtenu mon visa grâce à
l'invitation d'un couple de la Fraternité Séculière ; avec Yves nous
avons été accueilli à l'aéroport par un petit frère de Jésus (Jean) ;
nous avons logé à la fraternité de Jean et François et ils nous ont
accompagné au bus à l'aller et au retour… J'ai visité El Abiodh pendant
plusieurs jours, j'ai partagé la vie des frères et des soeurs et j'ai
pu vérifier que le Royaume de Dieu ressemble à la levure qu'une femme
met dans la pâte… et que le grain de moutarde, même s'il est petit,
arrive à grandir grâce au principe de vie qui est en lui. Est-ce qu'on
peut dire quelque chose des fruits ? Mais est-ce que le grain peut dire
quelque chose au sujet de l'épi ?
Et en parlant des fruits, cela saute aux yeux que
tous les frères et les soeurs d'Algérie sont des fruits d'automne, déjà
mûrs, admirables, pleins d'Evangile, discrets, significatifs, mais sans
relais. Je dis bien des "fruits déjà mûrs" et je dis aussi "d'automne".
Par là je veux exprimer que s'ils n'ont pas de succession, cela ne les
empêche pas d'être très engagés (pas du tout freinés par l'âge ou la
prudence). Voilà qu'ils vivent cette Pâque comme le soleil qui se cache
et qui renaît à l'aube. La voix secrète de l'espérance me dit que pour
la pluie qui approche l'oued encore sec est un "bon oued". J'aimerais
que nous nous posions les questions de "l'automne" et des "fruits" à un
niveau plus large et plus profond en fraternité. Il ne faut pas faire
un tabou de l'automne : ses entrailles sont pleines ! Il ne faut pas
non plus faire un tabou du "laisser tomber les fruits à terre" :
l'espérance joyeuse vient seulement
du "Seigneur des saisons" !
Je suis resté en extase devant le désert… les dunes,
les couleurs brillantes du soleil couchant, la pureté de l'horizon
ouvert au-delà de l'horizon où " Dieu Seul suffit !"… Et moi, dans ce
balcon ouvert à l'infini, je me suis trouvé nécessairement tout petit,
dépouillé de tout, abandonné… remerciant… avec une infinie confiance…
dans les mains du Père.
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