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Deuxième partie : Diaires des frères

La Garnacha, San Nicolas (Nicaragua)

Diaire de Patricio
Patricio
Je vous écris du Mexique, de Ciudad Hidalgo*.Je suis arrivé ici après trois jours et trois nuits d'autobus en parcourant la même route que tant d'émigrants centraméricains, parmi lesquels beaucoup de San Nicolas même, qui cherchent une vie meilleure au Nord.

    Retrouver les frères m'a donné beaucoup de joie : un bain de vie fraternelle et de prière ; en effet le "monastère", comme les gens l'appellent maintenant, se prête bien pour les deux choses.

    Le dimanche, j'ai été ému de voir la participation des gens à la messe dans une des deux chapelles desservies par les frères : femmes, hommes, jeunes et enfants avec une foi si simple et si profonde. Je n'ai pu m'empêcher de faire une comparaison avec ma paroisse de San Nicolas avec sa pauvre participation, avec une absence presque totale d'hommes et de jeunes. J'ai été envahi par un sentiment de tristesse, et un nœud se forma dans ma gorge. Cela exprime bien le moment actuel de ma vie : d'un côté je sens fortement le poids de ma faiblesse, de ma misère, à tel point que cela me coûte parfois de l'accepter ; d'un autre côté je sens une grande joie en admirant le don de Dieu !

    Quand j'étais adolescent, je désirais devenir saint et je m'efforçais d'agir avec toute ma volonté. Maintenant, je suis convaincu que seulement Lui peut me changer.

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    Après le départ de José pour retourner à Santo Domingo et de Jorge, je suis resté seul comme frère à La Garnacha. Je n'aurais pas pu vivre ainsi et je ne pourrai pas vivre ainsi sans l'appui et la confiance de mes frères.

    Si parfois je suis resté seul comme frère, je n'ai jamais vécu seul. La fraternité est remplie de jeunes : travailleurs, étudiants et autres qui ont désiré faire une expérience de vie. L'année passée on m'a confié un séminariste "mesquito" de la cote Atlantique, pour un discernement vocationnel. Depuis un an, Carmencita (une ancienne Petite Sœur de Jésus du Salvador) est venue se réfugier à La Garnacha. Pour moi, c'est une nouvelle expérience assez exigeante.

    Au Nicaragua, nous restons 3 frères : Chepito au sud à Managua, Miguelito (PFJ) au nord à San Bartolo, et moi-même à San Nicolas, entre les deux. Notre présence veut exprimer notre fidélité à ce peuple, pauvre et marginalisé. Que nous puissions nous aider mutuellement !

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    Il y a 2 ans, je demandais à mon évêque de me remplacer comme curé : je n'ai pas encore eu sa réponse. En août, j'ai accompli 17 ans de travail pastoral en cette paroisse.

    La municipalité de San Nicolas s'étend sur un diamètre de 30 km, dans une région montagneuse. Les 24 communautés sont bien éloignées l'une de l'autre (la plus lointaine est à 6 heures de marche). Le "frère âne" commence à sentir le poids des années, malgré ce que me disait un vieux : "Ces animaux endurent bien !" Mais ce n'est pas cette fatigue qui est la raison d'avoir demandé ma démission : je désire plutôt vivre les derniers temps de ma vie plus gratuitement, avec des périodes plus longues en ermitage et une présence plus simple avec les gens. Cet appel naît aussi en face d'une Église toujours plus cléricale et légaliste. C'est un rêve qui mûrit depuis un certain temps, mais comme on dit ici : "Tout dépend de celui qui est en haut !" La réalité de la municipalité de San Nicolas est très dure, aussi bien au niveau économique qu'au niveau social et religieux. Pour tout le Nicaragua, notre région est "en compétition" avec une autre municipalité pour "la première place" en ce qui concerne les suicides ! Dernièrement, à La Garnacha, don Julio, un homme de 65 ans, pacifique, travailleur, s'est suicidé. Depuis quelque temps il souffrait de dérangement mental, peut-être à cause des conséquences de la guerre. A présent, nous devons faire face à une violence explosive contre soi-même et contre les autres. Malgré tout, j'aime beaucoup ce peuple et je fais partie du panorama.

    Avec les délégués de la Parole et les catéchistes s'est établie, durantces 17 années, une amitié plus intime et directe. Je me sens encouragé par toute cette affection. Nous nous rencontrons chaque mois pour une formation continue. Nous sommes en train d'étudier en ce moment l'Histoire de l'Eglise. Nous nous rencontrons aussi lors de retraites régulières à La Garnacha ou dans leur communauté, lors des célébrations. Plus que tout, j'apprécie beaucoup l'intimité de leur maison. Dernièrement il y a eu comme un réveil visible de la paroisse : surtout depuis que nous avons commencé à organiser des retraites avec l'aide d'une équipe de laïcs d'Esteli (du genre cursillos).

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    Je dois aussi parler du "programme agricole" qui autrefois était un programme de la paroisse. En l'an 2000 le Programme agricole a acquis sa personnalité juridique devenant une Association légalement constituée. Les biens de la Fraternité (terre, animaux, voitures) hérités de la coopérative, sont passés au Programme agricole, pour fournir du travail aux gens et pouvoir soutenir d'autres projets dans d'autres communautés plus pauvres. Le Programme agricole, qui s'identifie souvent avec La Garnacha, a acquis une bonne réputation tout au long des années. ONG, organismes, universités, groupements des paysans ont visité la Garnacha. La zone a été déclarée "réserve naturelle du Tisey", et à cause de cela l'éco-tourisme s'est développé rapidement. Le fromage (type suisse), le café, les légumes organiques sont des produits de qualité. La Garnacha est devenue un point constant de référence pour beaucoup de personnes. Un jour je me suis retrouvé dans la cour de la maison avec Miss Nicaragua entouré de 20 autres jeunes filles ; un autre jour c'était le tour de 5 ambassadeurs, et à un autre moment ce fut l'évêque auxiliaire de la cote atlantique, Mgr David, un capucin, véritable frère et ami. La Garnacha est aussi un lieu de retraite pour notre paroisse, et aussi reste à la disposition de beaucoup de congrégations de l'Eglise du Nicaragua.

    J'ai accompagné le Programme agricole pendant de longues années. Même s'ils m'ont nommé membre honoraire de la direction, je sens qu'il est temps que je laisse les rênes et la conduite à d'autres. Douze années de vie comme Association c'est déjà un succès en lui-même. Je dois faire confiance. Pour le moment je m'occupe un peu du magasin d'artisanat et de la comptabilité touristique du Programme agricole. Les visites et le jardin occupent le reste de mon temps libre.

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    Quand je suis arrivé à San Nicolas les gens avaient la coutume de dire : "Dieu te punit." Dans leurs sermons, les délégués de la Parole parlaient aussi beaucoup de châtiment. Aujourd'hui je me réjouis d'entendre parler surtout de l'amour de Dieu.

    Finalement c'est toute l'expérience de ma vie : la découverte, ou mieux la révélation progressive de l'amour inconditionnel de Dieu, un Dieu qui "envoie le soleil et la pluie sur les justes et les injustes". Le plus important c'est que les derniers mots viennent de Dieu et ont un nom : Amour et Miséricorde. Comme le disait Isaac de Ninive (un ermite oriental), cette Miséricorde amènera Jésus à chercher comment convertir... même le démon !

*Ville du Mexique où se trouve une autre fraternité.

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