<< Retour

LA FRATERNITE AU MEXIQUE


Diaire de Chema ( Guadalajara, Mexique) 1

Chema

Dans mon dernier diaire je vous partageais que mon travail, dans un grand hôpital, consiste à accompagner les malades et leur famille en tout ce qui est le déroulement de la maladie, l'opération et parfois la mort.

La plus grande partie des malades ne sont pas originaires de Guadalajara. Beaucoup viennent des villages voisins ou même d'autres Etats de la République, loin de l'Etat de Jalisco dont Guadalajara est la capitale. Un grand pourcentage sont des gens humbles, pauvres qui n'ont pas où aller pour être soignés pour des raisons économiques. Beaucoup ont fait très peu d'études et "l'espagnol" qu'ils parlent est simple, et je pourrais dire même qu'ils ne le parlent pas correctement, mais on arrive à les comprendre très bien. Mais quand les médecins discutent de leur cas et de l'évolution de leur maladie devant eux (l'hôpital est un hôpital universitaire) ils comprennent encore moins, car les médecins utilisent un vocabulaire totalement étrange ! C'est alors que commence mon travail : essayer de leur expliquer ce que les médecins ont dit et que les malades n'ont pas pu comprendre. Presque toujours leur imagination leur fait penser que ce que les docteurs ont dit est quelque chose de très grave, parce que les paroles qu'ils ont employées sont compliquées et méconnues par les malades.

Pour les malades et leur famille, l'imagination est le principal "ennemi" parce que elle les conduit à penser toujours au pire; c'est là que j'essaie de les amener à mettre de côté cette "madame imagination" qui leur fait tant de mal. J'essaie de leur montrer que c'est mieux de ne pas laisser cette "dame" voler en toute liberté, mais qu'il vaut mieux la mettre à sa place pour qu'elle ne domine pas leur esprit et leurs sentiments.

Comme c'est un hôpital avec beaucoup de services et de spécialités médicales, cela fait que je rencontre beaucoup de malades avec toute sorte de maladies : malades de tous les âges et des deux sexes. Beaucoup doivent passer par la chirurgie ou par des traitements qui nécessitent un long séjour hospitalier parce qu'il faut faire des examens, des analyses et obtenir, avant l'opération, du sang, des médicaments et des équipements… et après l'opération, de longs traitements.

Tout ce temps me permet de dialoguer, d'échanger, de parler jour après jour avec chacun d'eux, ce qui fait croître la relation avec les malades et leur famille qui les accompagne. Parfois la relation est très profonde, mais dans d'autres cas, beaucoup moins, parce qu'il y a des blocages ou parce que simplement ils ne peuvent pas entrer dans cette relation d'amitié, de compagnonnage ou de proximité.

Mon premier désir est de me mettre à leur service, d'essayer d'être proche, de leur manifester un peu de tendresse et de compassion comme si j'étais ou faisais partie de leur famille, de leur entourage ; leur faire voir que leur souffrance ne m'est pas indifférente, me cause de la douleur. Là j'essaie de faire un peu l'équilibre entre ma sphère rationnelle et mon émotion pour cheminer avec eux, pour pouvoir donner la bonne réponse et ainsi pouvoir aider : sinon cela devient un problème pour eux et non une possibilité d'aide.

C'est vraiment tout un art : comment accepter d'utiliser ses émotions en laissant en même temps la raison dominer le champ de l'action ! On dit que les médecins doivent apprendre à se mouvoir dans le domaine rationnel pour pouvoir servir et aider le patient. C'est bien certain pour le médecin que je suis (j'ai appris tout cela depuis mes premières années de médecine), mais maintenant comme compagnon de voyage, comme quelqu'un de proche qui a des sentiments comme chacun des patients, je ne peux rester indifférent. Je ne peux m'empêcher de m'engager émotionnellement : je touche beaucoup les malades (leur bras, leur dos, leur visage)… : je sais que je suis très expressif et cela me sert beaucoup pour montrer que je suis proche, pour qu'ils voient que je suis compagnon de voyage et non simple observateur étranger.

Il est curieux de voir la réaction des malades que je rencontre plus tard dans la rue : quand un malade, que j'ai suivi un temps à l'hôpital, me croise dans la rue, il court et m'embrasse avec beaucoup d'affection et beaucoup de remerciements : il me surprend car je ne me souviens généralement pas quand j'ai rencontré cette personne; et ce sont eux qui me disent leur histoire et l'événement qui nous a rapprochés dans la vie. Ils le font avec tant de remerciements et de tendresse qu'ils me laissent avec les yeux humides et le cœur palpitant.

Il n'y a pas de doute que la maladie permet une communion impressionnante comme si la douleur et la souffrance réalisaient une greffe de vie, une union que difficilement on peut rompre et qui dure presque toute la vie.

Dans le domaine spirituel aussi il y a beaucoup de travail à faire. Le Mexique est un pays qui a une grande culture religieuse : la religiosité populaire est très forte, mais malheureusement la spiritualité est très ancienne, de plusieurs siècles… (du temps de l'inquisition). La croyance en un Dieu très dur, justicier, qui châtie, qui passe sont temps à voir les fautes que font les gens pour les punir, est quelque chose de très fréquent. Dans les confessions ils répètent tous leurs péchés avec un grand luxe de détails, et avec l'angoisse de ne rien oublier. S'ils se rappellent d'un péché qui n'a pas été pardonné, ils ne vont plus à la communion… car s'ils le faisaient, ce serait commettre alors un péché très grave.

C'est certain que la hiérarchie de l'Eglise mexicaine a beaucoup de responsabilité dans tout cela, parce qu'au lieu d'aider les gens à croître, on les maintient soumis en maniant la peur. On peut ainsi manipuler les gens, les contrôler et même en tirer un profit économique !

Il n'y a pas si longtemps qu'une jeune dame, avec une tumeur dans la moelle épinière, me demandait si je pouvais la confesser. Elle avait essayé de se confesser il y a quelques jours plus tôt, mais le prêtre en apprenant qu'elle avait dû avorter pour des raisons de santé, lui a dit que son péché n'avait pas de pardon et donc qu'elle se lève et qu'elle parte !… J'ai parlé avec cette femme, et elle a pu découvrir que son péché ne pouvait être plus grand que la vie offerte par Jésus. Cela lui a rendu la paix et lui a permis d'affronter la maladie d'une manière totalement différente, car, avec ce que le curé lui avait dit, elle se sentait châtiée par Dieu.

Dans le service de cancer du sang, les infirmières me demandèrent un jour de parler à un jeune malade qui était très agressif (avec le personnel et même avec sa propre famille). Parlant avec lui, j'ai découvert que son problème était qu'il n'avait jamais été aimé par personne, et que tout le monde disait qu'il ne valait rien : personne ne s'intéressait à lui ! On lui répétait toujours qu'il était mauvais, et cela lui causait beaucoup de souffrance. J'ai passé de longs moments avec lui. Je lui commentais comment nous sommes tous mauvais, et que seulement Dieu est Bon… qu'il nous aime tendrement, et que pour Lui nous sommes tous importants, malgré nos erreurs. Dieu nous aimait tellement qu'il n'a pas voulu nous perdre, et qu'il est venu nous sauver car Dieu est vraiment l'unique Bon. Je mettais ma tête à côté de la sienne, et durant la conversation, je lui caressais les bras et la tête. Je lui ai dit "au revoir", en lui faisant un baiser sur le front, et il m'a répondu avec un grand sourire ! Ce fut suffisant pour qu'il change sa conduite et devienne un enfant plein de tendresse et pacifique avec tous. Il s'approcha de la mort avec un cœur plein de paix avec lui-même et avec tous.

Il n'y a pas de doute que si on n'est pas équilibré émotionnellement, devant la maladie ou bien durant un moment de grande fragilité, nos problèmes émergent et sautent de telle manière que nous n'arrivons plus à contrôler notre conduite. C'est pour cela qu'en ces moments difficiles, il est tout à fait valable qu'on puisse aider non seulement les malades et tous ceux qui les entourent, mais aussi le personnel.

Quotidiennement je reçois beaucoup des malades et cela m'impressionne de voir que c'est le "plus faible" qui se transforme en "maître". Je vous partage un cas concret.

Un jour entra à l'hôpital un malade avec une tumeur à la tête : un homme de 32 ans, marié, avec plusieurs enfants. Les jours passaient et pour une raison ou pour une autre, l'opération ne se faisait pas. On était proche de la Semaine Sainte et il n'avait toujours pas été opéré. La tumeur croissait et commençait à sortir… et cela nous préoccupait parce qu'il pouvait perdre l'œil gauche comme il avait déjà perdu le droit. Durant la semaine sainte, on opère seulement du lundi au mercredi ! La chef des infirmières me dit le lundi que Ramon (ainsi s'appelait le malade) serait opéré le lendemain. Quand j'ai eu la nouvelle, je suis allé le voir, et lui dis que j'étais heureux de savoir qu'on allait l'opérer le lendemain. Mais le jour suivant, l'infirmière m'a dit qu'on n'avait pas pu l'opérer parce qu'il n'y avait pas de sang de son groupe dans la banque du sang. Je suis allé en courant au pied de son lit et je lui ai dit : "Ramon, on ne vous a pas opéré aujourd'hui, mais j'espère qu'on le fera demain." A cela il me répondit : "Mais quelle est l'urgence, si je suis dans les mains de Dieu ?" J'ai senti qu'il me mettait à ma place. J'ai reçu une grande leçon en constatant comment quelqu'un peut vivre l'abandon dans les mains de Dieu. C'est ainsi que j'ai rencontré quelqu'un qui vit profondément la prière d'abandon que chaque soir je prie et essaie de vivre !

Ramon a été opéré et actuellement il vit avec les siens sans avoir perdu la vue. Comme Ramon, beaucoup de malades m'instruisent chaque jour avec leur richesse de vie, leur simplicité et leur humilité. C'est bien vrai ce que Jésus a dit : "Père je te rends grâce et je te bénis parce que ces choses-là tu les as révélées aux petits et aux humbles".

***

1 Chema, tout en étant le Régional vit depuis longtemps à Guadalajara.