Diaire
de Gustavo (
fraternité de Mlangareni, Tanzanie)
En
2008, les frères m'ont demandé de venir à la fraternité de
Mlangareni (en zone rurale), à une quinzaine de kilomètres de la
ville d'Arusha (où se trouve une autre fraternité, dans le
quartier d'Olorien).
Aussi
il m'a fallu quitter Nairobi. Dans cette ville, j'avais été
fortement engagé avec les AA (Alcooliques Anonymes) et cela a changé
beaucoup de choses dans ma vie, aussi bien au niveau de la prière
qu'au niveau de mon regard sur le monde. Je me rappelle encore bien
d'une dame dont le mari buvait comme l'enfer. Le mari travaillait,
mais à la fin de chaque mois il disparaissait pour quelques jours et
revenait les mains vides, sale et rempli de poussière. Il passait
tout son temps dans les cafés et tout son argent disparaissait.
Alors un jour j'ai demandé à cette femme pourquoi elle restait
encore avec cet homme alors qu'il continuait à boire. Elle m'a
répondu : "Si je pars, il vendra la maison… et les enfants et
moi-même nous ne saurons pas où habiter… C'est pourquoi je reste
avec lui à cause de mes enfants, tout en sachant qu'il a fondé un
nouveau foyer avec "sa bière". Après tant d'années de
mariage, je ne reste pas avec lui parce que je l'aime ou parce qu'il
s'occupe de notre foyer, mais c'est surtout à cause des enfants, je
suis fortement concernée par l'avenir de mes enfants. Que
deviendront-ils si je quitte mon mari ?"
Il
y a beaucoup de personnes qui sont dans des situations semblables…
Cela me fait penser aussi à ce que je vis moi-même, à mes propres
convictions, à mes choix de vie… Quand je vois des jeunes qui
restent avec nous quelques années et qui ensuite disparaissent, j'ai
comme l'impression qu'on abuse de moi… Même les gens disent :
"Vous vivez avec
ces jeunes et vous essayez de partager tout ce que vous êtes avec
eux… mais voilà qu'un jour, un par un ils disent : je pars".
Une situation de ce genre, à laquelle je suis confronté, me fait
penser à mon propre choix de la Fraternité, et à ce qui me fait
rester à la Fraternité.
La
première chose qui me vient à la tête (un peu comme un genre
d'évaluation de ma vie, un certain regard sur ma vie), c'est que
finalement la chose dont je suis certain c'est que je suis devenu
amoureux de Jésus de Nazareth, ce Jésus qui marche sur les routes
de Galilée, comme tous les galiléens. Je m'excuse, mais je ne suis
pas capable d'expliquer pourquoi je suis amoureux de cet homme
étrange. Petit à petit j'ai découvert combien sa vie est cohérente
avec ses actes et avec ses choix qui sont source de conflits et de
polémiques parce qu'ils vont à l'encontre des pratiques et des
conceptions de son temps.
La
Fraternité m'a aidé, et année après année j'ai réalisé que si
mon amour pour ce Jésus ne s'approfondissait pas, je ne pourrai
rester. Cette histoire d'amour n'est pas vécue en solitude, mais
avec d'autres frères, et cela m'aide énormément. Chaque jour, tôt
le matin, ou au début de l'après-midi, à Mlangareni, nous nous
rencontrons à la chapelle pour l'adoration et en action de grâce
pour nos vies vécues avec nos voisins auprès desquels nous sommes
envoyés et par lesquels nous sommes évangélisés. Notre vie avec
les voisins façonne notre mission, et ensemble, dans le contexte de
notre vie, nous cherchons comment répondre à l'appel de Dieu. J'ai
découvert que la seule chose qui me soutient sur cette route c'est
l'Esprit de Jésus. C'est à travers une rencontre personnelle, une
expérience personnelle avec Jésus que chacun doit vivre. Je suis
peut-être un peu naïf, mais je pense que chacun d'entre nous doit
être enraciné dans cette expérience d'une manière ou d'une autre,
pour rester attaché à Jésus tout au long de notre vie.
Oui,
c'est toujours difficile de voir des frères avec lesquels tu as
vécu, de les voir partir sans savoir pourquoi ils partent… et
peut-être eux-mêmes ne le savent pas !
Je
suis venu à Mlangareni sans avoir aucune connaissance agricole. J'ai
appris beaucoup grâce à l'aide des frères, mais aussi à travers
les voisins. A plusieurs reprises je suis allé travailler avec les
voisins et ce fut un grand enrichissement pour moi. La vie au village
est faite de simples partages : par exemple, on travaille ensemble
pour nettoyer le petit canal d'eau qui traverse le village… ou bien
on participe à des célébrations ou à des services de funérailles
(en passant de longues soirées avec ceux qui pleurent leurs
morts)... ou bien on va aux réunions du village… Je suis vraiment
content qu'à Mlangareni notre vie soit fortement reliée avec la vie
des voisins. Pour moi, tous ces petits événements dans toute la
banalité de la vie, c'est mon Nazareth comme j'ai toujours voulu le
vivre, et je suis heureux.
***