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Diaire de Alain
( Nyons, France )



Alain
    Me voici rentré de notre ermitage de
Montmorin où je viens de passer huit jours. Depuis que je suis retraité, j'essaie d'y passer huit jours tous les trois mois, et j'en reviens chaque fois très heureux. Hier soir, à Complies, j'ai lu cette parole du Deutéronome : "Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l'Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta force". Cette parole, reprise par Jésus avec son complément: "Tu aimeras ton prochain comme toi-même", est pour moi lumière et vie.

Le temps que je consacre à Dieu est plus important que le temps donné à mon prochain le plus pauvre. Mais cela ne paraît pas toujours audehors.

    Mes activités se résument en trois points : personnes sans domicile
fixe et marginaux, handicapés psychiques, et victimes de toutes les violations des droits humains dans le cadre d'Amnesty International.

    J'ai repris contact à la salle à manger de la maison de retraite avec
mes trois voisins de table: deux agnostiques au coeur droit et un juif croyant. Dans un climat d'amitié, j'ai été amené à rendre compte de mon séjour en solitude.

    Je sens que nous petits frères, dans l'esprit de Nazareth, nous avons
notre place différente de ceux qui ont des responsabilités de pasteurs dans l'Eglise. Dans sa première encyclique "Dieu est Amour", Benoît XVI oriente les fidèles vers le témoignage de l'amour qui se vit déjà dans les relations d'amitié : "Le chrétien sait quand le temps est venu de parler de Dieu et quand il est juste de le taire et de ne laisser parler que l'amour. Il sait que Dieu est Amour". Il n'y a pas que les homélies pour annoncer la Bonne Nouvelle de l'Evangile.
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    Le 18 décembre dernier, c'était la fête de Noël au Point Accueil de Jour : quelques invités de marque mais surtout une bonne vingtaine d'habitués, certains avec des chiens, qui étaient tout heureux de se retrouver pour déguster des friandises. Une des trois animatrices m'attendait pour une communication confidentielle : l'aumônier de la prison de Saint-Étienne avait téléphoné pour signaler qu'un détenu originaire de Nyons était désireux de reprendre contact avec moi. Après échange des coordonnées, j'ai pu lui écrire une carte. Joie de toucher du doigt qu'une présence d'amitié discrète pendant des années peut toucher le coeur d'un condamné à l'heure de l'épreuve. Avec l'aumônier aussi j'ai pu nouer un contact sympathique et il viendra me voir ici, car il est originaire de la région de Nyons.

    Le 24 au soir, réveillon au Point Accueil de Nuit ; nous étions neuf personnes de quatre nationalités : un couple d'Arméniens qui ne parlaient pas un mot de français, mais très attentifs aux autres, un Afghan qui parle un peu et s'acharne à étudier une grammaire française adaptée à ses possibilités, un Espagnol d'origine marocaine et cinq Français dont Guillaume, l'animateur, qui avait préparé le repas, et moi-même qui avais apporté une tarte aux pommes de ma fabrication. Loin des guerres et conflits de Syrie, du Mali et d'ailleurs, nous étions un petit échantillon d'une humanité internationale qui se retrouvait, à l'occasion de Noël, dans un climat de paix, de partage et d'amitié, dans la joie et la bonne humeur. Nicolas, de faible santé, a su dire tout cela avec ses mots à lui où perçait l'émotion.

    Notre amie arménienne a pu écrire son prénom et celui de son
compagnon. Sur le même petit papier, elle a écrit "mersi" (merci) avec la traduction arménienne. Quelques jours plus tard, l'un et l'autre m'ont appelé en ville, comme je passais avec mon vélo : pour qu'il y ait réciprocité dans l'amitié, je leur ai donné moi-même un autre petit papier où j'avais écrit mon prénom.

Le 1er janvier, Ali, le jeune afghan errait dans la ville pendant les heures de fermeture de l'Accueil de Nuit. Il avait froid et ne trouvait aucune porte ouverte en ce jour de fête. Finalement il s'est réfugié dans l'église à l'heure de la messe. À la sortie, je l'ai emmené chez moi dans mon studio. À la salle à manger collective pour laquelle je m'étais inscrit, pas question d'accepter un invité de dernière heure. Heureusement le cuisinier, compréhensif, a accepté de me faire porter dans mon studio mon propre repas sur un plateau : tout à fait suffisant pour deux personnes avec ce qu'il y avait dans mon frigo.

    Nous avons passé plus de deux heures ensemble. Il est en France
depuis août 2010 et doit renouveler tous les trois mois son document de demande d'asile. Avec de faibles revenus, il n'était pas vêtu décemment. Heureusement j'avais du surplus dans mon placard, en plus du nécessaire. Il a tenu à faire lui-même la vaisselle. Joie de ce partage dans la simplicité avec un étranger.

    J'ai eu aussi un bon contact avec mes amis handicapés psychiques de
l'OASIS, association qui se retrouve tous les mardis soir dans un local appartenant à la Mairie. Nous étions treize personnes le soir du 29 décembre. Patricia était sortie de l'hôpital trois jours plus tôt, toute heureuse d'être avec nous malgré ses limites. C'est Patrick qui s'était chargé de la cuisine, en lien avec un restaurateur ami qui lui avait fourni des plats au rabais. Quelques jours plus tôt, on s'était retrouvé pour décorer la salle. Malgré le manque d'animatrice salariée, un petit groupe, scellé par des liens d'amitié réciproque, continue de vivre en espérant des jours meilleurs.

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