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Fraternité de Leipzig (Allemagne)
Michael, Gotthard, Andreas, Gianluca

Diaire de Michaël

  Michael 
    Grâce à mon travail comme assistant dans un foyer pour handicapés mentaux et psychiques, j'obtiens parfois 3 ou 4 jours libres : joie et soulagement d'avoir pu vivre l'arrivée du printemps pendant 4 jours à notre ermitage, en pleine nature avec le soleil et le dégel.

    Le silence, la lumière qui est revenue, le chant des oiseaux, le feu dans la cheminée tout cela m'aide à deviner et à ressentir cette bénédiction, ce "grand oui" qui est prononcé sur la nature, sur le monde tel qu'il est et sur
ma propre vie.

    Dans le quotidien, avec les multiples occupations et préoccupations, il m'est difficile de rester en contact avec ce grand "oui" : depuis des années j’apprécie cette demande du Psaume 85 : "Unifie mon coeur pour qu'il craigne ton nom", en faisant le tri et en laissant certaines choses de côté.

    Dans cette ligne, il serait bien utile d'arranger ma chambre en triant tout ce qui s'est accumulé depuis 7 ans que nous vivons à Leipzig (journaux, papiers, lettres, dossiers et livres auxquels je n'ai pratiquement jamais touchés).

    "Garder les choses" n'est pas seulement une habitude héritée de la vie quotidienne dans l'ancienne RDA, avec le manque de matériel typique des pays socialistes qui a facilité la tendance à devenir des collecteurs maniaques (pendant 23 ans j'ai vécu dans cette ambiance), mais je devine que "garder les choses" exprime aussi un manque de confiance dans la vie…

    Dans le fond, je n'ai pas besoin de tellement de choses pour être à l'aise et bien dans ma peau. Les chambres de nos handicapés me servent de miroir : les unes bourrées de disques, de DVD, d'animaux en peluche, de jouets et de je ne sais quoi encore : tout cela prend de la place et prend la poussière. Par contre, d'autres chambres reflètent que leurs habitants ne s'accrochent pas à de tels objets et qu'ils se contentent de très peu.

    Mais je me rends compte que vous n'avez guère eu de nouvelles de mon parcours qui m'a amené dans ce monde particulier des personnes qui portent un handicap. Il me faut donc vous parler un peu de ma métamorphose : "l'électricien" intérimaire travaillant incognito s'est transformé en "assistant" dans un foyer lié à la Caritas du diocèse.

    A notre arrivée à Leipzig, il y a 7 ans, j'avais tenté ma chance auprès des agences "intérim" : mais la pression et les exigences professionnelles sur les chantiers me pesaient trop. En plus, les affectations sur tel ou tel chantier se terminaient brusquement, parfois sans même pouvoir saluer les collègues avec qui on avait travaillé pendant des mois.

    Mes frères ne restaient pas muets en me voyant m'enfoncer dans une fatigue quasi structurelle : aussi j'ai démissionné fin 2006 et j'ai cherché un poste à temps partiel.

    Par chance, en mars 2007, un petite entreprise d'éclairage m'embauchait pour 30 heures par semaine comme polyvalent : il me fallait programmer des appareils électroniques, tester des lampes, gérer le dépôt, préparer et expédier des palettes de matériel pour les différents chantiers (en Allemagne, en Autriche et dans les Balkans). Il s'agissait d'une entreprise naissante, dans des locaux provisoires, avec un style d'improvisation ; le chiffre d'affaires avait bientôt triplé, mais on n'était pas équipé ni formé pour cela. C'était un poste intéressant, mais la manière chaotique de gérer les commandes et ma responsabilité rongeaient mon sommeil. Le temps était donc venu de laisser le métier d'électricien que j'avais appris à l'âge de 32 ans.

    Heureusement j'étais bien épaulé par la fraternité. Ainsi on a décidé de ne pas m'inscrire à l'agence du chômage pour pouvoir chercher plus librement dans le secteur social. Finalement après plus d'un an de candidature et de stages dans 3 différents établissements pour handicapés, j'ai été embauché en avril 2009 dans ce foyer St Raphaël, qui loge 4 groupes d'handicapés mentaux et psychiques. C'est tout un autre monde bien différent de la contrainte exercée par la production où domine "le temps c'est de l'argent " !

    C'est vrai que par moment il nous faut avoir des nerfs de fer pour supporter et apaiser les conflits, mais il y a aussi des moments où j'ai un chant sur les lèvres, ce qui m'a valu parmi les résidents le surnom de "Michael, le chantre".

    Désormais, je me sens bien accepté et apprécié par les collègues et les handicapés et j'aurais bien des moments drôles et denses à vous raconter… mais dans un autre diaire.

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