FRANCE

Lettre des frères de Nyons
Après les funérailles de notre frère Alain


Alain
    Beaucoup de participants nous ont dit, après la cérémonie, qu’ils avaient apprécié le style des funérailles : simplicité, petitesse et chaleur humaine. En fait, la « petitesse » nous était inspirée par Alain lui-même : en particulier, dans les dernières années de sa vie, Alain était conscient, parfois même à l’excès, de ses difficultés dont il faisait humblement et simplement une offrande à Dieu. Il avait choisi lui-même les textes liturgiques, tous centrés sur les « petits », qu’il désirait pour cette messe de funérailles. Plusieurs personnes ont donné leur témoignage, mettant l’accent sur les richesses de la vie d’Alain : son attachement à la prière et à l’Eucharistie, son amitié pour les SDF, « personnes sans domiciles fixes » (plusieurs d’entre elles étaient présentes aux funérailles, et ont tenu à porter le cercueil), sa fidélité aux séjours en ermitage, sa vie de travail et de relations en Camargue, en Sardaigne, à l’hôpital de Nyons où il a travaillé comme aide-soignant, et enfin le sens qu’avait pour lui le diaconat dont il avait reçu l’ordination en 1969.

    Après l’évangile, nous avons lu une lettre qu’il nous avait écrite à Pâques 2006 depuis l’ermitage de Montmorin. En voici quelques passages, qui montrent bien ce qu’Alain voulait vivre en profondeur :


    « Pendant tout ce temps en ermitage, je chante beaucoup, et cela m’est bien égal que l’on m’entende, puisque je chante la gloire de Dieu. Mais il va sans dire que dans les périodes dépressives, le chant n’est plus le même : il devient parfois supplication… ou bien le plus souvent, comme le dit Isaïe : ‘je ne crie pas, je n’élève pas le ton, je ne fais pas entendre ma voix dans les rues’ (Is. 42,2).

    Une bonne partie de mon temps est consacrée à la lecture de la Parole de Dieu dans la Bible. Comme l’abeille butine de quoi faire son miel en passant d’une fleur à l’autre, je me nourris de la Parole de Dieu qui m’aide à vivre » (et de fait la Bible d’Alain est ‘butinée’, elle est bourrée de notes prises et accumulées au cours de ses lectures).

    Le matin, j’ai la joie de me nourrir du Pain eucharistique que Jésus appelle le Pain de Vie et qui me manque quand je ne peux le recevoir quotidiennement ».

    En ermitage, je me passionne aussi pour la broderie de canevas. Je reproduis des scènes de l’évangile à partir d’images très stylisées qui sont utilisées pour la catéchèse : travail manuel qui laisse l’esprit très libre pour la prière. Il me faut environ 120 heures pour en finir un » (nous en avions exposé un sur son cercueil).

    Mardi, je quitte la ‘sainte montagne’ pour retourner à Nyons. J’y retrouverai mes frères, je retrouverai aussi mes amis SDF et marginaux, sans oublier certains handicapés connus depuis longtemps. Récemment un jeune SDF m’a dit qu’ils étaient les ‘mal-aimés de Dieu’. Je lui ai répondu que c’était justement pour leur montrer le contraire que j’étais heureux de les rencontrer, de les fréquenter.

    L’équipe pastorale du secteur et aussi mes frères, Petits Frères de l’Évangile, m’ont fait comprendre que mes fonctions de diacre étaient de me mettre au service de ceux qui sont aux frontières de l’Église par le canal de l’amitié partagée, sans chercher plus loin. Quand le moment sera venu, peut-être pourrai-je leur annoncer spontanément la bonne nouvelle du Christ, mort et ressuscité ! Cela m’est arrivé une fois avec trois d’entre eux, assis sur un banc public. J’ai senti ce jour-là des oreilles qui écoutaient et des cœurs attentifs.

    Demain soir, lors de la veillée pascale, j’aurai la joie de chanter l’Exultet qui est un chant de victoire sur la mort. Dans les églises de toute la planète, c’est un cocorico de joie qui fait suite à l’horreur du supplice de Jésus en croix.
Il me vient à l’esprit ces versets de Jérémie (Jr 31,13) :

 " Jeunes et vieux se réjouiront ensemble,

les jeunes filles danseront de joie,

 je changerai leur deuil en allégresse et je les consolerai,

au lieu du chagrin je leur donnerai la joie."