NICARAGUA

De Paziente, depuis la Garnacha
Paroisse de San Nicolas


 
 Paziente 
 
    Je profite d’un temps disponible, durant cette retraite d’ordination que je donne à cinq moines Albertiens et à deux autres religieux colombiens, pour vous écrire. J’ai du mal à m’exprimer par écrit. Un des moines, Ezéquiel se prépare à l’ordination sacerdotale et deux autres au diaconat. Ezéquiel est originaire d’un district bien proche de la Garnacha, il sera ordonné le 14 octobre, c’est le premier et le seul prêtre originaire de notre paroisse. La retraite dure du lundi au lundi et le thème de la retraite se centre sur Jésus, le grand don de Dieu, notre Père. Je me sens bien aride et pauvre, confiant en Lui qui peut m’inspirer ses paroles. Demain ce sera la journée de désert et je les enverrai dans la nature avec seulement un pain et la Bible.

    Malgré la situation actuelle du pays, la vie à la campagne suit son rythme normal. La grande partie de la population de la Garnacha est sandiniste, sans grande conscience de la réalité. Le plus douloureux de cette crise, ce sont la polarisation et la haine qui grandissent au jour le jour. Combien de temps faudra-t-il pour revenir à la paix ! En attendant, nous supplions le Seigneur que n’augmente pas la violence et que l’on puisse trouver une solution pacifique. Les paysans vivent un peu en marge de tout cela, mais je note de leur part, une certaine préoccupation. Après les premières pluies, ils ont commencé à semer leurs haricots.
 
 St Nocolas   Depuis deux ans, j’ai laissé la paroisse à un autre prêtre, cependant j’ai encore quelques engagements : la formation des délégués de la Parole, des retraites et la pharmacie paroissiale. Les réunions avec les délégués sont des moments très forts de rencontre. Depuis 24 ans, nous nous réunissons 2 ou 3 jours chaque mois, et une grande amitié nous unit. Avec un grand nombre d’entre eux (hommes et femmes), j’ai vécu des moments très forts, lors de mes visites dans les districts. Ils me demandent de continuer ces visites. Et malgré « l’âne moins vivace », je vais donc prendre plus de temps gratuit.

    La pharmacie de la paroisse vend des médicaments à un prix abordable. Nous assurons ce service depuis de nombreuses années. Le nouveau curé, Maximo, veut fermer la pharmacie qui n’est pas rentable et que nous devons subventionner. Avec la situation économique de crise que nous vivons maintenant, les pauvres n’ont pas d’argent pour la santé. Je ne me mets pas trop dans les affaires de la paroisse et j’ai une relation amicale avec Maximo. Il apprécie beaucoup notre manière de vivre. Il est originaire d’une communauté paysanne et fils d’un délégué de la Parole. Je me sens très libre avec lui et je l’aide quand il me le demande.

 
la Garnacha
   Dernièrement, j’alterne mon rythme de vie entre l’ermitage et la Garnacha. Je passe la plus grande partie de mon temps sur ce vaste terrain qui a besoin d’un entretien continu. L’ermitage en torchis a été totalement reconstruit, il était en très mauvais état et risquait, en s’écroulant, de m’ensevelir. Autour de l’ermitage je crée, peu à peu, mon paradis, semant des fleurs et des arbres fruitiers, orangers, citronniers, mandariniers, manguiers etc… Je suis enchanté par le travail des champs et c’est en même temps ma grande tentation, particulièrement lors de mes temps de retraite, c’est une lutte continue entre le travail et la prière. Il y a deux ou trois ans, après une journée de lutte, je suis resté complètement paralysé, suite à mon entêtement, et c’est ainsi qu’a commencé ma sciatique.
 
    La vie à la Garnacha est routinière avec ses temps de travail, de prière et d’accueil. Le vendredi, je vais au marché sur la place centrale d’Esteli, profitant de la camionnette du programme agricole, pour faire les commissions : achats, la poste, la banque et j’aide aussi un peu à la vente sur le marché. Sur le marché, nous vendons principalement du fromage suisse tilsit, du café et des légumes écologiques etc… - « Comment ça va Patricio ? – Très bien et vous ? – Et bien je t'embrasse ». Je me demande qui c’est ? Avec les cireurs de chaussures qui se trouvent juste derrière notre stand, se crée peu à peu une amitié, des personnes avec des problèmes d’alcoolisme et de drogues qui ne trouvent par d’autres travaux. Si je vivais à Esteli, j’aimerais faire le cordonnier. A côté du parc, il y a la cathédrale très belle, à l’intérieur comme à l’extérieur, et je vais parfois faire une visite au St Sacrement où il y a toujours des personnes qui font l’adoration.

  Ecole
   
Ces derniers mois à la fraternité, nous avons eu un candidat, Dimas qui est maintenant à la fraternité de Cochabamba en Bolivie. D’accueillir un jeune en recherche de vocation est toujours un défi, surtout que je vis seul comme frère, et qu’il y a une grande différence de génération. Bientôt, j’aurai 75 ans ! Comment inculquer les valeurs de l’Évangile et de la Fraternité ? Personnellement, je n’ai ni recette, ni méthode ! Je vis simplement avec eux le quotidien. Il y a eu toujours des jeunes à la fraternité et certainement que cela m’a aidé à rester jeune. Depuis 12 ans, Denis un travailleur du programme agricole, est avec moi. Il est très discret et disponible, et en plus sourd comme moi. Il travaille comme menuisier, électricien, plombier et nourrit aussi les lombrics pour fabriquer du compost organique. Comme il est aussi un bon cuisinier, il nous fait de temps à autre une bonne pasta italienne. Dernièrement, il s’est marié avec une fille d’Esteli, c’est un ménage de « fin de semaine », lui travaillant ici à la Garnacha et elle à Esteli, dans une fabrique de cigares.

    A la Garnacha, nous vivons de nombreux moments de joie. Dernièrement nous avons fêté l’anniversaire de deux jeunes filles de quinze ans, l’un en grande pompe et l’autre simplement. Ces jeunes filles, je les ai vues naître et grandir : Comme passe le temps !

    Il y a aussi des moments de tristesse, tel que l’accident de Pablo ou le suicide d’Hector, un jeune de 25 ans sérieusement schizophrène. Je le connaissais bien pour l’avoir accueilli deux ans à la fraternité. J’avais été alors témoin d’une tentative de suicide. Je l’avais conduit à l’hôpital où j’avais passé une nuit d’angoisse auprès de lui. Dernièrement, il vivait chez lui. Il semblait en pleine forme. Il y a une semaine, je l’avais rencontré à la maison de sa grand-mère, lors de la fête patronale de son hameau. Nous avions bien partagé tous les deux, et il m’exprimait son désir de s’en sortir. J’avais apporté la communion pour sa grand-mère, et il avait voulu lui aussi se confesser et communier. Une semaine après, il se jetait dans un ravin… J’ai célébré la messe des funérailles et, accompagné d’un bon groupe de personnes, nous l’avons porté en terre dans le petit cimetière. Parmi cette multitude, je vis sa grand-mère, presque centenaire, sans chaussures et avec son bâton. Je lui ai demandé : « Où vas-tu ainsi grand-mère ? Ce n’est pas nécessaire d’aller au cimetière, il vaut mieux rester tranquillement à la maison ». – Avec un sourire, elle est rentrée chez elle en me disant : « Ma seule plainte, c’est de dire : Pourquoi le Seigneur ne m’emporte pas ? ». Avec elle, je me sens comme chez moi.

    Les retraitants étaient satisfaits. Nous avons fait la retraite ensemble, une expérience communautaire avec l’office chanté selon le style monastique, des coupures, des temps de silence et la nuit, une heure silencieuse d’adoration.

    Le jour de désert, en plein champ, un bel orage les a surpris, et avec leur tunique blanche ils sont revenus, on aurait dit des pingouins. C’est la vie !