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Homélie à l’occasion des vœux
définitifs de Andreas, 5.9.2010
Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens - Chapitre 4
Marc 14, 1-9 Onction de Béthanie
Partout où sera proclamé l’Evangile
on redira aussi ce que cette femme a fait. Partout ou sera annoncée
la bonne nouvelle de la bonté inouïe de Dieu on parlera de sa bonne
œuvre.
Par le choix de cet évangile, Andreas,
tu nous invites à nous laisser enseigner par ce texte en ce jour où
tu engages ta vie à la suite de Jésus et à cause de l’Evangile
dans la famille religieuse des Petits Frères de l’Evangile.
La mission d’un religieux est, je
pense, avant tout celle d’être au service d’une fraternité
universelle, celle d’être un frère, une sœur pour autrui. Non
pas celle de se déclarer soi-même frère, mais celle d’œuvrer
patiemment au nom de Dieu pour que l’autre reconnaisse en lui un
frère, en elle, une sœur. Le fr. Charles l’a bien compris quand
il se réjouissait tant quand les autres, à Beni Abbès, ont
commencé à appeler sa maison « la fraternité ».
Quand tu me disais, il y a bien des
années, que tu n’étais pas encore au bout de ta recherche, tu
m’avais dit que tu désirais trouver des frères avec qui partager
une même vision. Je me souviens surtout de cela, de ta recherche de
frères, compagnons de cordée dans la vie humaine et dans la
vocation chrétienne de devenir un frère pour les autres. Tu m’en
avais parlé à plusieurs reprises. Cela m’avait frappé. En y pensant, j’étais amenée alors
à lire dans l’Évangile proposé aujourd’hui surtout l’aspect
d’une fraternité manifeste entre la femme avec son petit trésor
de nard pur d’un grand prix et ce Jésus à l’orée de sa
passion, fraternité qui s’ouvre à tout homme qui viendra par la
suite en contact avec la Bonne Nouvelle, fraternité qui consiste à
désirer que tout être humain aie accès la promesse que la vie
contient.
Quand quelqu’un s’apprête à faire
des « vœux définitifs », nous pouvons nous demander
quels sont dans notre vie les actes « définitifs » qui
ont valeur d’éternité. Nous sommes à notre époque plus que
jamais conscients de la fragilité de nos décisions dans la durée. Pouvons-nous sérieusement mettre en
gage notre parole et l’assurer par nos propres forces dans la
durée, sachant que la vie est longue et que nous sommes fragiles et
exposés aux aléas de la vie dont nous ignorons absolument
l’étendue ? Il faut être naïf ou bénéficier du privilège
de la prime jeunesse pour le croire, et S. Paul nous le rappelle dans
la lecture : Si notre vie cache bien un trésor, nous le
portons dans des vases fragiles, qui peuvent se briser à
l’improviste mais que nous pouvons aussi briser par amour comme le
fit la femme.
Son vase fragile, elle le brisa
délibérément pour verser son contenu précieux sur la tête du
Christ. Drôle de casse...qui scandalise les disciples d’antan
comme elle peut étonner nos contemporains aujourd’hui. Poussons donc à notre tour la porte de
Simon le Lépreux pour nous laisser enseigner par le geste que cette
femme sans nom pose sur le corps de Jésus juste avant sa passion.
Car, il ne faut pas l’oublier, dans l’Evangile de Marc s’ouvre
ainsi, par cet événement apparemment si anodin et quotidien qu’est
un repas partagé entre amis, le récit de la Passion et de la
Résurrection de Jésus.
Dans ce texte nous rencontrons une
femme qui sait regarder au-delà de ce monde. Elle pose un geste
prophétique d’institution royale. Oindre la tête de l’Élu
c’est LE geste par excellence par lequel, dans l’Ancien
Testament les rois sont institués par les prophètes. C’est un
geste de bénédiction. Quand un prophète est invité à poser ce
geste sur celui que Dieu a choisi pour accompagner et faire vivre son
peuple, il sait bien que c'est une manifestation de la bonté divine.
Dieu envoie les prophètes pour sauver son peuple, c’est missionné
par Dieu que le prophète proclame la royauté d’un homme. Quand il
n’y a plus ni roi, ni prophète, c’est le désarroi pour le
peuple –
Dans ce texte les deux se côtoient ;
la prophète et le ROI. Jésus entre dans Jérusalem à dos d’âne
et est acclamé par la foule après avoir reçu l’onction royale
par cette femme. Elle, cette femme sans nom donne ici
une réponse à la fois prophétique et très personnelle à la
question que Pilate posera plus tard pour la résoudre à sa façon :
Es-tu le roi des juifs ?
OUI, la fille du peuple d’Israël a
su donner sa réponse et engager ce qu’elle avait de plus
précieux : le parfum de sa vie. Une réponse de foi, certes,
d’une foi qui écoute, qui regarde au-delà des apparences et qui
croit que Dieu même s’est manifesté en Jésus Christ. Elle
proclame silencieusement la royauté du Christ dans sa passion. Un Dieu de bonté inouïe présent dans
l’acte de la Passion qui va se nouer sous les yeux médusés des
disciples.
Tels sont peut-être les actes qui ont
valeur d’éternité, car ils engagent toute la vie et s’ancrent
bien au-delà, en faisant crédit à Jésus Christ et son message. Une mystérieuse communion, nous
pourrions dire une fraternité, a pu s’établir, car les
protagonistes, vous l’avez remarqué, n’échangent pas un seul
mot dans ce récit. Que des gestes ! Que cette offre de ce qu’une
personne a de plus précieux, le parfum de sa vie, comme réponse à
un Dieu qui a donné à son tour ce qu’il a de plus précieux :
son fils.
Son geste, quoique muet, est univoque,
Jésus sait le lire et j’ose croire qu’il a du en concevoir une
grande consolation. Quelqu’un engage une fortune, pour quelqu’un
d’autre qui apparemment va droit dans le mur, va mourir sur une
croix. A travers cette femme le Christ entend la voix qui désarme le
pouvoir de la mort en lui.
Ce geste le touche autant qu’il
déclare sa valeur d’éternité sur-le-champ : «
Partout ou on proclamera l’Evangile, on racontera ce qu’elle a
fait ». Jésus capte le sens profond, il sait lire le geste
dans le cadre de sa passion et au-delà de sa mort : « elle
a embaumé mon corps en vue de ma sépulture… », Il le lit
comme un geste de com- passion. Et les gestes de compassion, nous le
savons par expérience pour en avoir bénéficié à certains moments
de notre vie ou pour les avoir posés, ces gestes nous les posons sur
un corps et non dans l’air. St.Thomas
d’Aquin a appelé le toucher « le plus humain des sens ».
Il est certain que le faucon a une meilleure vue que nous, tout comme
le chien un bien meilleur odorat. Mais le fait de se relationner par
un toucher mutuel –le fait d’être révélé à soi-même dès
notre naissance par des gestes que d’autres posent sur notre corps,
c’est propre à l’homme. Et nous pouvons dire la même chose pour
notre relation à Dieu : dans l’Incarnation Dieu est venu nous
toucher et nous le touchons dans l’Eucharistie.
Or, nous disions que les gestes de
compassion, nous les posons un corps et dans le temps sur les
pauvres que nous sommes. « Les pauvres, vous les aurez toujours
avec vous, quand vous voudrez, vous pouvez les secourir. »
Étrange déclaration d’un Jésus qui dit aimer les pauvres et les
déclare bienheureux.
Le lecteur avisé de l’Évangile de
Marc aura lu juste quelques chapitres plus haut l’histoire du jeune
homme riche. Là, Jésus avait invité le jeune homme à vendre ce
qu’il a, à le donner aux pauvres en vue de le suivre.
A première vue, il semble bizarre que
Jésus ne semble pas se soucier des pauvres ici dans ce texte.
…qu’il se met lui-même au centre pour dire que les pauvres, on
pourra les servir plus tard. Çà lui ressemblerait si peu.
Peut-être qu’il saisit que c’est lui, le Pauvre, celui qui
n’a plus d’autre recours que Dieu même et ceux et celles qui lui
offrent une fraternité en acceptant de le suivre. C’est ça un
pauvre et Jésus se trouve dans cette situation. Il s’est fait
pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté, dit un autre texte. Ici,
tu es le Pauvre, Seigneur Jésus…tu es celui qui n’a plus d’autre
recours que Dieu même et ceux et celles qui dans la foi acceptent
de te choisir comme Maître et ami.
En tout cas, Jésus lie ce geste à sa
mort et nous livre ainsi un message résolument vivant. Il laisse
toucher son corps comme un pauvre, et la femme traverse ainsi avec
lui la vallée de sa mort et de sa résurrection.
Car le plus déroutant reste pour moi
que Jésus lie le geste de cette femme au temps de l’Église, il
étire ce geste posé sur son corps pour qu’il soit présent dans
son corps qui est l’Église.
Le geste de foi de la femme sans nom
traverse avec Jésus sa passion et sa résurrection et arrive jusqu’à
nous pour nous dire : Partout ou sera proclamé l’Évangile
on redira aussi ce qu’elle vient de faire. Ici ou nous proclamons
l’Évangile nous pouvons écouter un témoignage de foi d’une
femme pour donner, à notre tour, ce même témoignage de foi par ce
que nous célébrons aujourd’hui, comme à chaque fois que nous
célébrons l’Eucharistie pour que le « Seigneur fasse
de nous une éternelle offrande à sa gloire » comme le dit si
bien une des prières Eucharistiques
Car : la mort n’est pas le
dernier mot sur une vie. La vie n’est pas un cadeau empoisonné qui
tombe avec la mort dans le néant. Non, il reste l’Évangile, la
nouvelle d’une bonté radicale : Dieu est amour et… Jésus
Caritas.
En Dieu la vie c’est pour toujours,
voilà pourquoi il convient de nommer le geste de cette femme partout
ou on l’annonce l’Évangile. Avec toi, Andreas qui nous proposes
ce texte pour la célébration de tes vœux définitifs en ce jour,
nous sommes invités à faire crédit à Jésus Christ qui nous lance
à l’orée même de sa passion : OUI, la vie tient sa
promesse.
Sois, avec la grâce de Dieu, un frère
pour qui a besoin de l’entendre et de l’expérimenter dans son
corps pour pouvoir le croire.
Doris Broszeit Petite Soeur de l'Evangile
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