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Alain R Noël 2013
Les anges existent,
j’en ai rencontré UNE.
Les anges aiment se déguiser (Gn 18; 22), on peut vivre longtemps
auprès d’eux sans les reconnaitre. C’est chez Rose, une voisine, que
j’ai rencontré pour la première fois Malaika (Ange en Swahili) il y a
une dizaine d’années. Pas de signe particulier si ce n’est son large
sourire. Comme beaucoup de voisines elle était veuve et faisait du
petit commerce pour nourrir ses enfants. Je visitais souvent Rose. A
Kangemi c’est la première que j’ai vue emportée par le Sida. Alitée
dans une pièce de planches, elle y vivait avec Joy, sa ravissante
fille, qui étudiait à l’école secondaire des moines indous. La malade
n’était pas facile, souvent acariâtre, et la fille ainée avait trouvé
un jeune avec qui aller vivre ailleurs. Mais Joy rentrait vite de
l’école pour prendre soin de sa maman, préparer sa nourriture, lui
donner ses médicaments, la laver, nettoyer la pièce et lui tenir
compagnie dans ses longues nuits sans sommeil. Tâches bien pesantes
pour une adolescente qui n’avait jamais senti la mort roder si près.
Pour la soutenir, elle avait la visite quotidienne de Malaika qui
amenait un petit plat, lavait la malade avant que Joy revienne de
l’école, accueillait ses confidences. La fille ainée était soupçonneuse
et se demandait bien ce que cachait cet intérêt pour sa mère d’une
voisine qui n’était ni une parente, ni originaire du même village. Le
virus du soupçon infecta Rose qui commença à se plaindre, ou parce que
de l’argent avait ‘disparu’ ou parce que Malaika l’abandonnait et ne la
visitait plus depuis deux jours…
Malaika ne perdit pas son sourire pour si peu, fit ponctuellement ses
apparitions pendant des mois jusqu’à ce que Rose prit le chemin des
étoiles. Elle resta un ange gardien pour Joy, réconciliant les deux
soeurs. Pourtant, elle aussi avait ses soucis familiaux : le petit
renvoyé de l’école quand la scolarité n’était pas payée à temps, la
fille ainée « enceintée » avant l’heure et un fils tué dans des
circonstances jamais bien éclaircies. Mais Malaika gardait son sourire
derrière son étale et répétait à chaque nouvelle épreuve qui me
laissait sans voix : « Dieu montrera le chemin. »
Les anges aiment se promener avec les enfants et les chiens (Tobit 6;
2) et c’est habituellement dans la rue que je rencontre Malaika.
L’année dernière elle me parla longuement de Wanjiku, une simple
d’esprit qui trainait sur le marché de Kangemi depuis quelques mois.
Comme elle était enceinte les gens lui donnait à manger et elle faisait
bien 15 kilos de plus que moi. Les femmes observèrent qu’elle était
toujours bien propre mais ne portait pas de sousvêtements. «Pourquoi en
porter, réponditelle un jour, puisque la nuit ‘ils’ viendront les
déchirer.» Elles comprirent qu’elle était régulièrement violée dans les
rues où elle passait la nuit et que sa résistance devait être la cause
de son bras et sa jambe cassés. Elles firent passer une annonce à la
radio pour essayer de contacter des parents. En vain.
Les semaines passaient, la saison des pluies avait commencé et la
grossesse arrivait à son terme. Comme m’expliqua Malaika : «J’ai donné
naissance à un de mes enfants sous la pluie, je sais ce que c’est ;
alors nous avons fait monter Wanjiku dans une voiture et je l’ai amenée
à l’hôpital des Femmes, pensant que c’était un hôpital publique. Mais
c’est une clinique privée. Devant l’urgence et mon insistance ils l’ont
finalement admise. Il était temps : elle a donné naissance à deux
merveilles, des jumelles. Dans la rue elle serait morte, on a dû lui
faire une césarienne. Il faut que tu ailles les voir». Je consultais
mon agenda et deux jours plus tard nous étions dans la chambre
d’hôpital. Vous aurez compris que moi, je ne suis pas un ange, j’ai des
obligations et des horaires.
Wanjiku était souriante mais son discours en Kikuyu était incohérent.
Elle allaitait une jumelle, Malaika berçait l’autre et m’expliquait :
«Les médecins infirmières et matrones m’ont interrogée tous ensemble
pour savoir qui était Wanjiku. Je leur ai dit que je l’ignorais. Ils
avaient peine à croire que je n’étais pas une parente. Je leur ai dit
que mon Dieu m’avait demandé de prendre soin d’elle. –‘Pourquoi, tu as
un Dieu différent du notre’, me demandèrent ils. Je leur ai dit –oh,
sagesse des coeurs simples! –je ne sais pas quel est votre Dieu mais
le mien ne pouvait pas la laisser dans la rue comme ça.» Le personnel
soignant voulait préparer l’avenir et ils lui demandèrent de rechercher
sa famille. Elle promit une réponse une semaine plus tard sans bien
savoir comment l’obtenir.
En attendant, elle récoltait des habits pour les bébés. La visite
suivante, sous l’effet des médicaments du psychiatre et de la joie de
voir tous ces beaux habits pour ses petites, Wanjiku s’est mise à
parler de façon sensée pour la première fois depuis des mois ou des
années. Elle expliqua où vivaient ses beauxparents et ses trois
enfants, qu’elle avait été chassée par son mari et que depuis quatre
ans elle errait d’abord dans un camp de refugiés, puis dans les rues.
Malaika visita la belle famille et les enfants et rapporta aux
médecins, comme promis, l’adresse et le numéro de téléphone des
parents, en ajoutant : «Maintenant j’ai fini mon travail» «Attends,
attends si les parents ne la prennent pas en charge il faudra bien
quelqu’un pour l’accueillir au sortir de l‘hôpital» répondirent les
autorités, non sans raison car la famille ne s’est jamais montrée.
A ma seconde visite chez Wanjiku, oh surprise, elle parlait même en
anglais. Les médecins avaient jugé plus sage de chercher un foyer pour
enfants où elle pourrait visiter ses filles et avaient demandé à
Malaika de lui trouver une chambre à Kangemi; ils étaient prêts à
payer trois mois de loyer. Il ne fallut pas longtemps à Malaika pour
faire le tour de ses amis, trouver chambre, lit et ustensiles de
cuisine. Et quand Wanjiku est revenue, elle aurait pu facilement se
nourrir auprès des amies du marché mais Malaika l’a encouragée à
commencer un petit commerce. Le virus du doute a infecté un moment
l’esprit de Wanjiku : «Si Malaika en fait tant pour moi, c’est qu’elle
doit recevoir de l’argent pour çà.» Malaika a su être ferme en la
laissant se débrouiller toute seule. Puis la confiance est revenue et
elle s’assure que Wanjiku va bien chez le psychiatre prendre ses
médicaments, visite le médecin pour son goitre, fait marcher son
commerce de papier hygiénique et visite les jumelles, elle a même
réussi à l’emmener visiter ses autres enfants.
Je suis mis au courant des derniers événements lors de nos rencontres
le long des rues et j’avoue que moi, pauvre humain, je ne pourrais pas
faire la moitié de tout ce que fait Malaika. Où trouvetelle toute cette
énergie? «Son» Dieu doit y être pour quelque chose. Je connais aussi
mal les hiérarchies angélique que militaire mais Malaika n’est pas un
petit ange gardien limité à une personne, ce doit être au moins un
archange vue l’étendue de ses missions. Car tout en accompagnant
Wanjiku elle a dû aussi s’occuper d’une femme qu'elle a trouvée
accouchant dans les WC publics, elle a offert son pagne pour couvrir le
nouveauné, a accompagné cette inconnue à la Maternité où on lui a dit
qu’ils manquaient de désinfectant… et c’est elle qui a dû allé
l’acheter! Et puis il y a ce jeune employé qui s’est mis à boire, s’est
retrouvé à la rue… et qu’elle a relogé, meublé, habillé en demandant
l’aide de ses nombreux amis.
Je ne sais à quelle église appartient mon archange ni même si elle va à
l’église mais, si Jésus dit vrai (Mt 25), elle me précédera de loin
dans le Royaume. Je me suis souvent demandé combien d’anges sillonnent
les rues de Kangemi, quelle sainteté se cache derrière les tôles
ondulées de nos maisons ? Le Royaume est parmi nous (Lc 17). «Maître,
donne moi de voir.» (Mc 10 ; 51).
Alain |
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