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Centre historique de Foligno (Italie)
Depuis 6 mois à Foligno
Depuis 6 mois je vis à Foligno, une petite ville de 57.000 habitants, à quelques 8 kilomètres
de Spello. Je suis dans un contexte urbain, en plein centre-ville. Je
vis dans un vieil immeuble qui est composé de 4 édifices reliés.
Il y a un nombre élevé de locataires : impossible de faire le
compte dans ce labyrinthe ! Il n’y a qu’une seule famille,
le reste ce n’est que des hommes ou des femmes seuls (à part une
femme polonaise qui a une fille adolescente). Aucun enfant.
Il
s’agit en grande partie d’immigrants : plusieurs d’Amérique
Latine, quelques-uns d’Afrique, et pas mal d’Europe de l’est.
Je n’ai pas encore de véritables relations avec personne, à part
la politesse d’un bonjour ou un bonsoir (ici on dit plutôt :
« Salve ! »). Quand je rencontre quelqu’un qui
rentre dans son appartement, je remarque qu’en me voyant on
accélère l’opération d’ouverture de la porte. On dirait que la
marque principale de la vie des gens c’est la solitude.
Mon
voisin, le visage très triste, sort parfois juste avant moi quand je
me mets en marche pour aller à la messe. Il rentre à l’Église et
allume une bougie face à une Pietà qui se trouve à l’arrière et
s’en va en vitesse. Je n’ai pas encore réussi à échanger un
mot avec lui.
On
dirait que les gens protègent leur solitude (bien que sûrement ils
en souffrent).
Retournant à vivre en Italie après 49 ans hors d'Italie, je suis frappé de voir
les effets concrets des grandes révolutions qui ont eu lieu en
occident dans le siècle passé : la transformation de la
famille traditionnelle, le nouveau rôle de la femme, la solitude
comme condition de vie normale. Mais ce n’est pas du nouveau, car
je retrouve pas mal de choses que j’avais connu dans le contexte
urbain de New York (au Mexique c’était autre chose…).
Quand
je fis mes vœux perpétuels, les frères avaient l’habitude de
mentionner un peuple ou un groupe humain auquel on voulait se
consacrer. Dans ma formule de consécration j’ai mis :
« par
cette vie de solitude, Seigneur, rends-moi toujours sensible au drame
humain de la solitude. Soutiens-moi pour que je puisse toujours
porter dans mon cœur, dans ma chair et dans ma prière tout le désir
profond que l’humanité ressent de vérité, de beauté… et d’un
amour éternel ».
J’éprouve
donc une certaine continuité dans le parcours de ma vocation et je
reprends contact avec un courant souterrain qui a traversé toute ma
vie.
Quand j'ai rencontré l’Évêque, qui m’a donné la
bienvenue avec une remarquable gentillesse. Il m’a dit qu’il y a
une tradition orientale selon laquelle il y a trois étapes qui se
suivent : vie monastique, vie de solitude et en dernier, vie de
ministère. Cela me frappait et je lui ai bien dit que je pensais que
ma prochaine étape serait la maison de repos... ! En tout cas
il s’agit d’un parcours théorique car dans la réalité la vie
se charge de mélanger les cartes. Yves, par exemple, me disait qu’il
faut entendre « ministère » dans le sens le plus large,
qui inclue : dialoguer avec des voisins ou écrire un article…
Cela me fit penser aussi à Mercy qui parlait de la prière comme de
son « ministère ». Mercy était une sœur de Maryknoll,
déjà très âgée. Avec deux autres sœurs, Eileen et Regina, elles
commencèrent à New York une petite fraternité dans un appartement
très proche du nôtre. Mercy avait été médecin et elle avait
initié des incroyables projets de santé en Bolivie et ensuite en
Corée. Elle devint un mythe et ils ont écrit un livre sur elle :
« Son nom est Mercy » (mercy voulant aussi dire
miséricorde en anglais). Elle avait un petit fauteuil proche de la
fenêtre et passait ses jours assis sur des coussins, en prière.
Beaucoup de gens, dans la congrégation même, questionnaient ce
genre d’option, car les Maryknoll sont une congrégation très
missionnaire, mais elle répondait que, après une vie entière de
mission active, son ministère actuel était la « simple
présence de prière parmi les pauvres ». Au bout de quelques
années elle mourut, et les deux autres la suivirent de près. Toute
ma vie j’ai gardé cette image de Mercy assise dans son fauteuil à
côté de la fenêtre, la tête courbée, un petit sourire ébauché
sur ses lèvres. Son insistance sur le ministère de la prière au
cœur d’une vie parmi les pauvres m’est souvent revenue à
l’esprit quand j’envisageais ce choix de vie ici à Foligno. Pour
elle cette présence de prière n’était pas une vie différente de
sa mission antérieure, mais elle en était comme l’achèvement, le
fruit mûr (au-delà de toutes les définitions statiques qui
divisent la vie religieuse en compartiments étanches).
Son
exemple, comme aussi le témoignage de Dominique Voillaume, et des
dialogues avec Simonne (PSE) sont les phares qui guident ma
navigation à cette époque de ma vie. Et je porte le sentiment que
finalement au bout du chemin toutes les expériences et les
rencontres accumulées passent par un alambic qui les distille en
prière.
Dans
ce contexte urbain je sens parfois le manque de la nature et du
silence. Les frères de Spello m’ont donné les clefs de l’ermitage
Béni-Abbès. Mon projet est de passer un jour par semaine à
l’ermitage, profitant de mon vélo, qui me sert bien et qui
respecte la prothèse de mon genou gauche. L’Evêque m’a dit que,
quand il a de la difficulté à se concentrer dans la prière, il se
tait et il écoute le vent. Je lui ai dit que moi j’écoute ma
respiration, mais au fond c’est la même chose. On sait bien qu’en
hébreux il y a un seul mot pour : souffle, respiration, esprit,
vie. Enfin, je pense aller là-bas pour écouter le vent.
Je
me dédie aussi à l’étude des Écritures. J’essaye d’avancer
dans l’étude de l’hébreu, me concentrant surtout sur les
Psaumes (un grand défi pour des neurones aussi abîmées que les
miennes !). Je le fais pour une simple raison : cela me
donne de la joie. Retrouver la simplicité et le caractère primitif,
concret du langage originaire des Écritures m’oblige aussi à
simplifier ma foi. Vraiment le chemin de la foi va du compliqué au
plus simple et non à l’envers.
Sinon
je me suis concentré (pendant 6 mois !) sur la lecture et l’étude
détaillé du livre de Job. Je me sens si proche de ce personnage
tellement humain ! Ce n’est pas parce que j’ai souffert
comme lui (au contraire, le Satan m’a bien épargné pendant ses
vols de reconnaissance !) mais j’ai senti en moi l’écho des
souffrances de tellement de gens dans les fraternités où j’ai
vécu (surtout à New York, mais aussi au Mexique). Job a un visage
familier, connu ; il a souvent vécu à mes côtés !
Dans
le livre il n’est pas question d’alliance, d’élection, de
temple, de sacrifices… au point que certains doutent qu’il ait
été écrit par un juif. Vrai ou faux, il est clair que Job
appartient à l’humanité ; à tous les temps et à tous les
lieux. Il est toutefois inutile de chercher dans ce livre une réponse
à la question du mal et de la souffrance. C’est un livre de
poésie, et non de spéculation. Job lance son cris, son
« pourquoi ? » et Dieu le remets à sa place, mais
ne donne aucune réponse claire. Je trouve que même Jésus a repris
le cri de Job quand sur la croix il s’est écrié « pourquoi
m’a tu abandonné ? ». Jésus aussi est frère de Job ;
comme tous ceux qui sont troublés par le silence de Dieu.
On
dit que la religion est née quand l’homme primitif a découvert le
corps de son premier ami qui venait de mourir. Alors, de parmi
les arbres de la forêt, il a élevé les yeux vers le ciel et a dit
« pourquoi ? ». Avec ce « pourquoi ? »
la religion est née. Cela veut dire que ce « pourquoi ? »
est au cœur même de notre vie de foi. Pas question de trouver une
réponse autre que l’abandon confiant aux dessins de Dieu. Mais il
faut continuer à formuler la question, en particulier face à une
société qui banalise la mort et anesthésie la souffrance. La
question est plus importante que la réponse. Il nous
faut porter ce « pourquoi ?» comme un feu sacré qui nous
est confié et que nous ne pouvons pas laisser s’éteindre.
A
part cela, je me promène pas mal le long du fleuve Topino, qui relie
Foligno avec Assise et dont les eaux me font sentir en lien avec
Saint-François. Des castors vivent sur les bords du fleuve et me
font penser à ceux du Vermont, tellement de fois observés pendant
mes randonnées. Eux aussi sont des immigrés, amenés ici d’Amérique
au lendemain de la Conquête pour en faire des fourrures. Certains
ont échappé à la captivité et les voilà....
Je
vais périodiquement manger avec les frères de Spello, qui me
traitent avec une générosité remarquable, me donnant leur amitié,
leur beau témoignage de vie, mais aussi de l’huile d’olive et de
la marmelade… Les Petits Frères de Jesus-Caritas m’invitent
souvent à Sassovivo, où ils ont maintenant une intéressante
exposition de photos de la vie de Carlo Carretto.
Enfin,
mon contexte est urbain, mais la vie me fait cadeau de pas mal de
belles fleurs.
Et
beaucoup de fils se croisent.
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