Homélie
d’Andreas
Aux
obsèques de Charlie le 12 juillet 2022
(12 Juillet 1932 - 07 juillet 2022)
Un
poète russe a écrit :
« Et quand une personne meurt, son
premier combat et son premier baiser meurent avec lui.
Tout un
univers périt. Et à chaque fois, j'ai envie de pleurer cette perte
irréversible. »
C’est
vrai : chaque personne est un univers unique, tout un monde
original et irremplaçable. Toute personne est unique, et certaines
le sont plus que d’autres. Charlie était très certainement tout à
fait unique. Quand il parlait de sa vie, il disait souvent :
“J’ai eu une vie extraordinaire !”
Dans
notre Fraternité des Petits Frères de l’Évangile, des étapes
importantes de sa vie ont été vécues en Angola ou au Botswana avec
les Bushmen. Il a appris des langues “extraordinaires”. Et il
n'arrêtait pas de raconter des rencontres toujours
“extraordinaires”, par exemple à Naples ou au Vietnam. On peut
appeler ces évènements accidentels, ou du pur hasard. Mais on peut
aussi les lire comme guidés par la Providence.
Homme
de foi profonde, Charlie a reconnu la main de Dieu qui l’a guidé
et protégé. Et la main de Dieu a vraiment eu quelque chose à faire
dans ses nombreux voyages. Et les anges gardiens n’étaient pas au
chômage lorsqu’il sortait avec sa moto bien-aimée.
Parfois,
comme dans l’Évangile, nous frères, nous nous sommes souvent
demandé : « Mais…, nous ne savons même pas où tu
vas ? Comment pourrions-nous en connaître le chemin ? »
Mais nous sommes confiants parce que, avec Charlie, nous croyons que
Jésus lui-même est le chemin et que nous marchons
avec lui.
Dans
notre fraternité, Charlie était un électron libre : il aimait
son « auto-nomie », on peut peut-être dire sa
« moto-nomie » ! C’était un aventurier qui a
traversé l'Afrique sur sa moto. C’était un nomade, un homme libre
et indépendant. En même temps, il avait des liens intérieurs
profonds. Une poétesse allemande écrit : « Il faut
pouvoir bouger et voyager, et en même temps être comme un arbre
avec des racines. » Charlie a pu voyager parce qu’il avait
des racines intérieures : sa foi en Dieu, son amour pour Jésus
et l’Évangile. Et c’est pourquoi il était petit frère de Jésus
et petit frère de l’Évangile. Une autre racine de sa stabilité
intérieure était son amitié spirituelle avec la petite Thérèse
de Lisieux. D’elle vient la phrase : « Mon ciel est de
rester toujours en présence de Dieu, de l'appeler mon Père et
d’être son enfant. Plus vous êtes pauvre, plus Jésus vous
aimera. »
Charlie
a choisi une vie avec les pauvres, avec les gens éloignés. Au
Botswana, il a creusé des puits à la dynamite. Il a étudié la
mécanique et la médecine et travaillé comme infirmier. Il
s’occupait des enfants abandonnés. Après sa retraite au Botswana,
il s’est intéressé à l’Asie. Il a voyagé dans ces pays et, de
nouveau, il a vécu des situations “extraordinaires”. Il a aidé
les gens à sortir de la misère et a maintenu des contacts jusqu’à
maintenant.
Pour
notre fraternité, c’est un petit miracle ou même un grand
miracle, qu’un frère qui a vécu seul pendant 40 ans ait pu
se réintégrer dans une communauté à Nyons. Ce n’était pas
toujours facile. Mais Charlie s’est aussi lancé dans cette
aventure, et ici, il a bien trouvé sa place. Il était fidèle à la
prière, à la célébration de l’Eucharistie. Il était très
disponible pour accueillir les gens qui venaient à la fraternité.
Il a partagé la vie quotidienne avec les frères. Des amitiés
profondes se sont nouées, avec une famille irakienne, qu’il a
aidée à apprendre le français, avec Noël avec qui il a fait un
pèlerinage à Lisieux, et avec beaucoup d’autres.
Charlie
avait choisi de suivre Jésus en s’approchant des plus pauvres.
Mais quand nos forces diminuent, quand nous ne pouvons plus tout
contrôler, quand nous devenons de plus en plus dépendant, à la
fin, nous découvrons que nous aussi, nous faisons partie de ces
pauvres gens. Charlie a de nouveau été transformé de cette façon.
Il a réalisé, de plus en plus, la prière de notre Fraternité dont
les paroles sont attribuées à Charles de Foucauld : « Mon
Père, je m’abandonne à toi. J’accepte tout. »
La
vraie pauvreté à la suite de Jésus n’est pas celle que l’on
cherche, mais celle qui s’impose, à travers la maladie, et
l’impuissance. Charlie a grandi peu à peu dans une attitude de
lâcher prise. Et cela dans l’espoir de
se rapprocher de Jésus, comme le disait la petite Thérèse :
« Plus tu es pauvre, plus Jésus t’aimera. »
Notre
frère Yves M. a récemment demandé à Charlie : « On m’a
demandé de parler de Charles de Foucauld aux détenus de la prison
de Salon-de-Provence, dis-moi qu’est-ce que je vais leur dire ? »
« Dis-leur que Charles de Foucauld était un homme vrai, qui
n’a pas joué au saint ! » Je pense qu’on peut dire la
même chose de Charlie : “Il était un homme Charlie (à
droite) avec Philippe St. Vrai, qui n’a pas joué au saint !”
Mais
c’est précisément dans notre humanité, dans ce en quoi nous
sommes uniques, que nous sommes précieux aux yeux de Dieu. C’est
le mystère de l’incarnation : On trouve Dieu dans la réalité
de l’homme. Nous sommes des originaux. Ce n’est pas toujours
facile de vivre avec des originaux. Quelquefois on se côtoie.
Certaines choses restent difficiles et incompréhensibles. Mais c’est
exactement ce qui fait de nous des enfants uniques de Dieu. Et quand
nous pouvons nous accepter comme frères et sœurs avec ces
différences, c’est là que commence le Royaume de Dieu.
Jésus
promet dans l’Évangile qu’il nous préparera une place. Un
endroit où nous sommes chez nous. Où nous pouvons vivre avec tout
ce qui nous a façonnés. Quand une personne meurt, son histoire
meurt avec elle, et sa personnalité unique. Mais nous n’avons pas
à pleurer cette irréversibilité, comme l’a écrit le poète
russe. Au contraire, nous croyons que nous vivons et mourons avec le
Christ et que nous trouvons notre demeure en Dieu. Hier, Noël nous a
présenté une chanson exprimant l’espoir : Nous nous
reverrons !
Aujourd’hui
Charlie fête ses 90 ans. Il célèbre son anniversaire dans un
autre monde, plus joyeux que nous ne le pourrions jamais.
Anniversaire, en anglais ou en allemand, on dit « birthday »,
« Geburtstag » ça signifie : ‘jour de naissance’.
Oui,
Charlie est en fête d’une nouvelle naissance : Le Christ lui
a préparé une demeure, une nouvelle vie. Une vie en abondance. »
Et c’est là, où un jour nous ferons la fête tous ensemble.
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Photos:
Portrait de Charlie à Nyons,
Fraternité de Chamavéré en Anglola - Charlie et François - avec les vilageois de Chamavéré
Fraternité de Nyons - Charlie avec Jean-Claude, à table avec Roger - en célébration avec Philippe