Fraternité Curighem
Bruxelles
Partage de Giuliano
À
la Réunion régionale, qui s’est tenue à Paris du 30 juillet au 6
août 2022, PFJ et PFE ensemble, chacun était invité à partager
brièvement sur une chose qui l’habite et le fait vivre en ce
moment de sa vie. Chacun avait seulement 5 minutes pour s’exprimer.
Malgré cela, ce fut très enrichissant de nous écouter les uns les
autres, parfois même émouvant. Au point qu’à la fin de la
réunion, quelqu’un a invité ceux qui le voulaient bien à écrire
un diaire à partir de ce qu’ils avaient partagé. Voici donc…
Ces
derniers mois à Bruxelles, (je suis arrivé ici en juin de l’année
passée) ont été marqués, localement, par les célébrations
autour de la canonisation du père de Foucauld et par le chemin
synodal. Ce furent aussi des moments propices pour regarder un peu à
ma vie et à mes motivations. Je me suis souvenu, en particulier,
d’un partage fait avec un groupe d’amis quelque temps
auparavant : chacun avait été invité à dire la « source »
de sa spiritualité. J’ai pensé alors que l’image de la
« source » pourrait peut-être m’aider à dire quelque
chose sur ce qui m’habite et me fait vivre.
Je
ne me rappelle pas tous les détails de ce que j’avais alors
partagé, mais je me rappelle que le mot « source » avait
résonné fortement en moi et mes yeux s’étaient remplis d’images.
La source… la source qui coule et devient torrent, rivière, puis
mer et océan, tout est trop petit alors pour la contenir, comme on
le dit dans les Écritures, dès les débuts, puis dans plusieurs
psaumes, ou chez les prophètes, et dans les évangiles et jusqu’à
l’Apocalypse… La source coule, donne vie et guérit, et il y a
les arbres, les poissons et les animaux, les humains, les assoiffés…
Et
voilà, pour moi, François d’Assise et Charles de Foucauld, et la
Fraternité, et surtout celui qui est pour tous le frère bien aimé :
« un certain Jésus qui est mort mais que certains disent
vivant… »
Et
puis la vie m’a donné de découvrir d’autres assoiffé ;
oui, l’océan touche beaucoup d’autres terres…, et j’ai
voyagé, j’ai changé plusieurs fois de pays, de lieu de vie.
J’ai
fait de mon mieux, je l’espère, pour apprendre de chaque
situation, en admiration de chaque lieu, en me laissant
pénétrer et changer par chaque culture, par les rencontres, les
nombreuses amitiés. Ému devant la beauté, indignée devant
l’injustice, ressentant la peur devant la violence, déçu par ma
tiédeur, reconnaissant pour l’hospitalité reçue…
Il
y a aussi les temps de sécheresse, quand on se demande si la source
coule encore, si nous ne poursuivons pas un mirage, comme une eau
incertaine. Comment alors aider Dieu, le défendre, le dire, dans ce
temps, qui semble sans fin, de la sécheresse… Ou quand l’eau est
amère, avec quel bois l’adoucir… ?
On
entrevoit certes des chemins possibles: surtout devenir humain, être
humain envers les humains, et la pitié dans la douleur, et pourquoi
pas : le devoir rendre des comptes un jour...
Ce
qui a fait ma vie à Bruxelles, durant cette première année, est
étonnamment en continuation avec ce que j’ai vécu dans le passé.
J’ai repris des engagements avec la communauté catholique
japonaise (8 ans de ma vie, je les ai vécus au Japon). Je fais
du bénévolat dans la banque alimentaire de notre unité pastorale
(cela me fait penser au travail que j’ai fait pendant 7 ans à
New-York). Je me suis engagé avec les Latino-américains de notre
paroisse (7 années vécues aussi au Mexique). Nous essayions que
notre maison reste disponible à l’accueil (les 7 années à Spello
m’en ont donné le goût).
Et,
comme j’ai vécu aussi deux fois 6 ans ici à Bruxelles, j’y
ai retrouvé de vieux amis et en particulier ceux du dialogue
inter-religieux et de la pratique du Zen.
Parfois
je me demande si je ne me répète pas…, un instable se répétant…
Mais j’ai tellement reçu dans tous les endroits où j’ai vécu
qu’il me vient normal de partager quelque peu. Enfin et surtout la
vie en communauté fraternelle avec Joji et Sandro. Et pour de temps,
brefs mais réguliers, la présence d’Andreas et de Daniel.
Mais
je reviens à la source. On est comme des pèlerins qui recherchent
la source. J’ai beaucoup marché dans les pays où j’ai vécu ou
que j’ai visités1. On recherche la source et on ne la trouve pas,
mais on la cherche quand même et on continue à la chercher. Quand
on part en pèlerinage on se donne quand même un point d’arrivée,
même si le poète a raison de dire : « Caminante, no hay
camino, se hace camino al andar. »2 Mais beaucoup,
arrivés à Santiago de Compostela, ne s’arrêtent plus, ils vont
jusqu’à la mer…
Peut-être
n’est-on jamais vraiment à sa place. Voyageurs ballottés entre
nostalgie et espoir. Et d’ailleurs n’y a-t-il qu’une seule
place ou plusieurs possibles.
On
veut rejoindre la source, même si beaucoup d’eau a coulé depuis,
mais on la cherche quand même, mais les jambes sont trop courtes,
mais on continue de la chercher, et on peut découvrir que la source
est aussi au dedans de soi, comme la sève qui monte en l’arbre,
comme la grâce, et elle peut jaillir…
Pour
cela j’aime aussi de plus en plus rester assis, immobile, attentif,
conscient de la source qui respire en nous, conscient du cri de tant
de personnes, essayant de recevoir la vie d’une manière neuve et
de traverser les eaux, traverser l’invisible…
Et
même si on se répète, voilà ce n’est jamais pareil.
* * *
-1- Assisi, le secret du bonheur parfait. Roma,
la grande beauté et l’épreuve de la foi. Beni-Abbes et Tam,
la fraternité. Lourdes, où Bernadette disait « la
source n’est pas pour moi ». Les 34 temples bouddhistes
de la compassion à Chichibu et l’ancien chemin
Kumano avec les sources de la purification ;
Hiroshima, Nagasaki et les iles
Goto, les martyrs anciens et récents. Varanasi,
le grand fleuve. Bodh Gaya, où Gautama a atteint
l’éveil et est devenu Bouddha, Sarnath où il a
enseigné le chemin de la libération. Tiruvannamalai,
la montagne. Compostela, pour voir les étoiles. El
Toboso,Dulcinea. Ground Zero, un trou large
plus de 6hectares et profond de 21 mètres, il y a maintenant une
source et des noms inscrits, ceux des victimes. Urkupiña,
la mamita y el niño. El Señor de los milagros, Cristo
moreno de los esclavos. Et au Mexique la Guadalupe, “no
estoy yo aquí que soy tu madre”, j’ai participé à ce
pèlerinage diocésain 6 fois en marchant avec plus de mille
compagnons, et on était 16 mille à l’arrivée.
-2- Caminante, son tus huellas el camino y nada más; Caminante, no hay
camino, Se hace camino al andar. Al andar se hace
camino Y al volver la vista atrás Se ve la senda que nunca Se ha de
volver a pisar. Caminante no hay camino Sino estelas en la mar...
Marcheur, ce sont
tes traces le chemin et rien de plus, Marcheur, il n'y a pas de
chemin, Le chemin se crée en marchant. En marchant se crée le
chemin Et en tournant les yeux derrière On voit le sentier qui
jamaisNe doit de nouveau
être foulé. Marcheur, il n'y a pas de chemin Sinon des sillages
dans la mer....