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Récit
de mon voyage au Nicaragua
Andreas
K. (Octobre 2022)
Quand
j'étais étudiant, la révolution au Nicaragua était très
populaire, surtout parmi les étudiants. La lutte des sandinistes
contre le dictateur Somoza et les grands propriétaires terriens
(aidés par les États-Unis !) étaient une révolution à la
mode. Elle était soutenue par les États socialistes du bloc de
l’Est, ainsi que par les mouvements de gauche de l'Ouest. Il y
avait aussi des groupes paroissiaux qui travaillaient en faveur de ce
combat, notamment parce que le célèbre prêtre et poète Ernesto
Cardenal a combattu aux côtés des sandinistes et est devenu
ministre de l'Éducation du Nicaragua après la victoire en 1979.
J'ai reçu les Psaumes d’Ernesto Cardenal comme cadeau
d'anniversaire d'un ami en 1978. Ces psaumes sont (encore !)
d’actualité.
Psaume
1
Bienheureux
l'homme
qui
ne suit pas les slogans du parti
et
n'assiste pas à leurs réunions,
qui
ne s'assoit pas à table avec des gangsters
ni
avec les généraux de la cour martiale.
Heureux
l'homme qui n'espionne pas son frère
et
ne dénonce pas ses camarades de classe.
Heureux
l'homme qui ne lit pas
Le
cours de la bourse
et
qui n'écoute pas la publicité
et
qui se méfie de ses slogans.
Il
sera comme un arbre planté près d'une source.
Après
la révolution, le Nicaragua est devenu un pays modèle pour les
groupes engagés pour le Tiers-Monde : dans de nombreuses
églises en Allemagne, après la messe, on vendait du café du
Nicaragua, produit par les petits agriculteurs. Un symbole d’espoir :
les agriculteurs ne sont plus exploités par de grandes entreprises
internationales, mais reçoivent un juste prix pour leur travail.
Donc “Nicaragua” avait une résonance spéciale à mes oreilles
et j'étais content de rendre visite aux frères là-bas.
Quand
je suis arrivé à l'aéroport, j’étais attendu par Paziente.
C’était ma première rencontre avec lui et j'étais content qu’il
soit venu me chercher avec Javier (ex-novice à Cochabamba) et
quelques amis. Nous avons d’abord traversé les basses terres,
passé de grandes rizières qui promettaient une riche récolte. La
célèbre artère qui traverse l'Amérique (La Panamericana) était
bordée de nombreuses croix à droite et à gauche. Même la mort a
fait ici une riche moisson… Combien de jeunes Nicaraguayens se sont
dirigés vers le nord sur cette route pour trouver du travail et du
pain au Honduras, au Mexique ou aux États-Unis. Surtout ces
dernières années, cette émigration a de nouveau augmenté en
raison de la situation difficile dans le pays. Les femmes s'en vont
également, notamment en Espagne pour travailler comme domestiques.
Mais plus que cela, les femmes au Nicaragua sont laissées pour
compte, parfois même peu de temps après le mariage et tout juste
enceintes… Comme les hommes sont alors à l'étranger pendant des
années, de nombreuses relations se rompent et les enfants
grandissent sans père. Certains des “hijos” de Paziente ont
également émigré entre-temps. Pendant mon séjour, Paziente était
surpris de la nouvelle qu’un de ses ‘‘hijos’’, Ariel, est
aussi parti. Parfois les familles demandent au prêtre de célébrer
une messe d'action de grâce quand quelqu’un est arrivé sain et
sauf aux États-Unis, dans la terre promise où coulent lait et
dollars…
A
près
plusieurs heures de route, nous atteignons La Garnacha, un village à
environ 1 300 m. d’altitude, dont le développement a été
accompagné par les frères : José Alvarez, Fernando et Mario,
puis Chepito, Paziente... Après la révolution sandiniste, les
frères ont créé ici une coopérative avec les campesinos.
Les gens parlent encore des frères et de ce beau projet avec des
yeux pétillants. La terre cultivée en commun, la structure
démocratique de cogestion, le partage solidaire des revenus :
tout cela est devenu un projet modèle d’une autre forme d'économie
et de société. Le principe de l'agriculture biologique et le
développement d’un tourisme doux et respectueux de la nature
étaient également révolutionnaires.
Même
si la coopérative d’origine n’existe plus, le dit “programme”
fonctionne toujours : environ 15 familles y participent et ont
ainsi des moyens sûrs de subsistance. Paziente travaille encore
beaucoup et très habilement dans le grand potager. Et il vend les
produits au marché lorsque le “programme” se rend à la ville
proche (Estelli), le vendredi, pour vendre des produits bio (herbes,
tisane…), un fromage particulièrement bon, des légumes et des
produits d'artisanat – ainsi que le miel de la coopérative de
Chepito.
J’ai
pu accompagner Paziente deux fois au marché ; après la vente,
il visite encore des malades de la ville pour prier avec eux et
apporter la communion. Pendant de nombreuses années, Paziente a
également été curé de St Nicola, le plus grand village
auquel appartient la Garnacha et qui se trouve un peu plus bas. Et
puis, il y avait 22 communautés plus petites, dispersées dans les
montagnes, que Paziente visitait régulièrement à pied, de
nombreuses heures en montées et descentes. La paroisse est
actuellement gérée par un curé depuis 2 ans, bien qu'il y ait déjà
eu plusieurs changements (un prêtre est mort du Coronavirus…).
Paziente a de très bons contacts avec le curé actuel et célèbre
l'Eucharistie le dimanche dans la belle chapelle de la Garnacha.
A
près
une semaine de séjour, un ouragan a balayé le Nicaragua, inondant
le pays de pluies abondantes. Le crépitement des toits de tôle
rappelait le déferlement de la mer et, contre cela, les voix de la
prière (et pas même la voix prêcheuse de Paziente) ne pouvaient
faire face. Je me suis souvenu que Démosthène répétait ses
discours au bord de la mer rugissante pour renforcer sa voix.
En
octobre, on récite le chapelet dans les familles, de sorte que,
chaque après-midi, nous étions invités dans l’une ou l’autre
famille pour prier et ensuite partager un café, un thé et une
pâtisserie. Nous avons également célébré l'Eucharistie dans
certaines maisons et c'était très émouvant de célébrer la messe
sur une petite table, à côté du lit d'une personne gravement
malade. Pour cette personne, la communion est devenue un viatique
pour son dernier voyage, car elle pouvait mourir le lendemain et
rentrer dans la maison du Père.
Paziente
vit dans une maison très simple, dans un style de vie très sobre
et avec une porte toujours ouverte. La grande cafetière (La Moka)
est toujours là pour offrir aux gens une tasse de café. Même les
prêtres viennent de la ville pour se confesser. Et Paziente sait
pourquoi : "Ils viennent me voir parce que je suis sourd..."
D'autres viennent faire des journées tranquilles ou des retraites à
la Garnacha, car il y a une deuxième maison pour les hôtes, pour
les séminaristes et les laïcs, pour les groupes de la paroisse.
Paziente et moi avons prié ensemble le matin et le soir dans la
belle chapelle de la Fraternité. Et parfois il y avait des voisins
et voisines qui venaient pour prier avec nous.
Un
groupe spécial a vu le jour il y a 2 ans, et cela sans l'aide de
Paziente : un groupe de laïcs "Charles de Foucauld", qui
se réunit régulièrement et, entre-temps, est en contact avec
d'autres groupes laïcs, par exemple au Honduras. J'ai pu passer une
matinée avec ce groupe et nous avons exploré quels éléments de
l'exemple et du message de frère Charles peuvent nous toucher et
nous inspirer aujourd'hui. Ce groupe est une fleur qui s'est épanouie
de manière tout à fait inattendue et que Paziente apprécie - tout
comme les nombreuses fleurs de son jardin.
Notre
partage biblique m'a rappelé Ernesto Cardenal, L'Evangile de
Solentiname
: Les mystères du royaume de Dieu ne sont pas révélés aux sages,
mais au petits !
Ces
dernières années, Paziente a été invité à prêcher des
retraites pour des séminaristes ou des prêtres. Il m'a raconté
qu'il terminait ses conférences au clergé par un avertissement sur
la tentation d'une carrière cléricale : « Ne soyez pas comme
les singes : plus ils grimpent haut, plus on voit leurs fesses ! »
Pendant
10 jours, j'ai accompagné Paziente partout; nous avons pas mal
échangé et j'ai beaucoup appris de sa vie et de l'histoire de la
fraternité. (Paziente a même dit: "Andreas me suit comme un
petit chien." Si cela était interprété dans le sens de
"fidélité" ou d'intérêt, cela pourrait presque être un
compliment !)
Ensuite j'ai pu
descendre au magnifique ermitage pour passer une semaine de retraite.
Très isolé, entouré d'une forêt, avec une vue lointaine sur les
montagnes et les volcans. J'ai apprécié le silence, la beauté de
l'endroit avec les nombreuses fleurs, les oiseaux colorés et les
papillons. Le premier soir, quand je suis entré pieds nus dans la
chapelle semi-obscure, j'ai remarqué quelque chose sur le sol. Eh
bien ! Pas de paradis sans serpent ! Et donc,
malheureusement, j'ai dû tuer un serpent corail coloré mais
probablement assez venimeux. Et à partir de ce m
oment,
j'entrais toujours dans la chapelle avec un sacré respect.
Une
fois, Paziente m'a rendu visite à l'ermitage et ensemble nous avons
apprécié la vue magnifique et la beauté de cet endroit. Quelques
jours plus tard, alors que je devais partir pour Bruxelles, j'ai
ressenti la douleur de me séparer de la Garnacha, lieu si important
dans l'histoire de notre fraternité, et surtout celle de Paziente,
avec qui j'ai eu le privilège de partager de si bonnes journées. Il
reste encore beaucoup à dire sur la situation actuelle au Nicaragua.
J'espère donc pouvoir vous en dire plus lorsque je vous rencontrerai
personnellement.
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