Récit de voyage à Beni-Abbès
(24 mars – 11 avril 2024)

D’Andreas
     



    Mon voyage a commencé à Leipzig, en train, pour rejoindre Bruxelles, et ensuite Paris ; là, j’ai retrouvé Xavier à l’aéroport “Charles de Foucauld”, non, pardon ! “Charles de Gaulle”, pour l’envol.

Rue d'ager
    À Alger nous avons été accueillis par Sr-Pascale (“Discepole del Vangelo”). Lors d’un dîner dans leur communauté, j’ai également rencontré Sr-Cristina et Sr-Silvia. Elles nous ont parlé de leur vie à Alger, ce qui m’a donné une première impression de la situation de l’Église en Algérie, mais aussi de la situation sociale et politique.

    Après une nuit tranquille à la Maison diocésaine, nous avons passé une journée avec François et Christian (PFJ de Mahieddine)

Mosquée
    Nous avons aperçu la plus grande mosquée d’Afrique récemment inaugurée, dont le minaret est le plus haut du monde à 265 m. et selon l’Office du tourisme d’Alger, la mosquée peut accueillir 120 000 fidèles. (Il est intéressant à noter que l’archevêque d’Alger, Jean-Paul Vesco, a lui aussi, été invité à la cérémonie d’ouverture).
    Nous nous sommes ensuite rendus à la basilique “Notre Dame d’Afrique”, dans laquelle nous avons pu entrer en dehors des heures d’ouverture. La porte de la chapelle Saint-Joseph (où les premiers Pères Blancs avaient reçu leur mission) s’est également ouverte pour nous à l’improviste. L’échange avec François et Christian a été particulièrement agréable : nous avons visité le quartier où vivait auparavant la Fraternité (Climat de France) pour saluer d’anciennes connaissances. Notre Dame d'Afrique

    Le soir, nous avons été invités par les “Petites Sœurs de Jésus‘”. Ici, comme lors de nos précédentes rencontres, la question de la jeunesse en Algérie a encore joué un rôle : beaucoup veulent quitter le pays parce qu’ils ne voient pas d’avenir, économique, social ou politique.

    Xavier m’avait partagé un joli dossier pour préparer le voyage, entre-autre un rapport du Capitaine Bérenger, sur la Région de Béni-Abbès, publié en 1906. J’ai ainsi pu me faire une idée de cette petite ville, telle qu'elle était à l'époque du frère Charles.

    J’ai trouvé des passages très poétiques dans la description de la géographie: « Derrière une chaîne de dunes s’étend cette immense plaine de sables offrant l’aspect d’un océan démonté par une tempête, dont les flots formant d’énormes vagues auraient été subitement pétrifiés. ».

    Xavier m’a aussi fourni des lectures complémentaires : un diaporama sur l’histoire de la chapelle de Béni-Abbès et les diaires des frères de 1967 à nos jours.


    Le mardi 26, nous avons pris le bus d'Alger à Béchar pendant 15 heures. Comme nous étions en plein Ramadan, le voyage a été interrompu à Mascara pour le "ftour", la rupture du jeûne. Tous les passagers du bus étaient invités à dîner gratuitement. Un beau geste qui témoigne de l'hospitalité orientale et du côté social du Ramadan. Commentaire de Xavier sur Mascara : “C’est ici que Charles a présenté sa démission de l'armée en 1882”.

Bernard et Raymond     Un taxi que Bernard nous avait organisé nous attendait à Béchar. En route vers Béni-Abbès, nous avons vu comment une ligne de chemin de fer était en construction jusqu’à Tindouf (par une entreprise chinoise). Et nous sommes également passés devant une prison. Ce bâtiment très impressionnant a également été construit par des Chinois : une prison de haute sécurité dont la fonctionnalité a été prouvée des milliers fois en Chine ! (Et c’est là que Bernard est venu régulièrement visiter des prisonniers).
À droite et à gauche de la route : les buissons épineux semblent couverts de fleurs et de fruits de toutes les couleurs. Mais la désillusion est grande quand on s'aperçoit que ce ne sont que des lambeaux de sacs en plastique. Est-ce la promesse de notre époque : « Les déchets seront aussi nombreux que le sable dans le désert ! Malédiction pour les générations à venir ! » ?

    À notre arrivée à Béni-Abbès nous avons été chaleureusement accueillis par Bernard et Raymond, par Thérèse Gernigon (d’Alger), une bonne amie de la fraternité, et par Bruno Habig (frère de Xavier H.). Le mercredi sont également arrivées trois petites sœurs (Anna-Loan, Béatrice et Cécilia) et le Jeudi Saint quatre capucins (René, Hubert, Pascal, Nicolas). Nous étions donc 13 pour la célébration du Triduum Pascal.

Nuit de Paques

    La chapelle a été décorée avec des palmiers du dimanche des Rameaux, et dans ce lieu si important pour notre histoire, nous avons également célébré la Cène avec le lavement des pieds. Pâques signifie passage, transition. Et dans la transition, Jésus nous donne deux signes de ce qui reste : le pain rompu, comme signe du don de lui-même et le lavement des pieds, comme signe du service. Dans l’eucharistie, nous recevons cet amour gratuit, et dans le lavement des pieds, nous le transmettons aux autres. Lors du rite du lavement des pieds, nous nous sommes assis en cercle et chacun a pu laver les pieds de son voisin ou de sa voisine : on reçoit l'amour et la tendresse à travers ce geste, et ensuite on le transmet à l’autre.


    Le Vendredi Saint, nous avons prié le chemin de croix avec des paroles du frère Charles (diaporama de Xavier) et nous avons aussi accroché quelques petits tableaux du chemin de croix (des copies des originaux de frère Charles). J’étais pas mal ému et touché : je peux prier ici, en ce lieu, avec des paroles du frère Charles en suivant intérieurement le chemin de Jésus, son „Bien-aimé“.

Veillée Pascale
    Le Samedi Saint, jour de silence et de repos, en attente du passage de Jésus de la mort à la résurrection, nous avons échangé avec les Capucins. Ils expriment clairement leur désir de maintenir une présence à l’Ermitage. Toutefois, un renforcement est encore nécessaire. Après notre départ, Hubert restera seul à Béni-Abbès jusqu’à Noël, en espérant du renfort. Il faudra alors prendre une décision pour l’avenir.
Espérons et prions pour que les portes s’ouvrent et que la présence d’une communauté de prière dans notre sensibilité, puisse continuer à Béni-Abbès.

    Samedi soir une famille d’Autriche (avec 6 enfants) est venue célébrer la Veillée pascale avec nous. Hubert a très bien animé la liturgie et nous avons tous ressenti la fraîcheur de la foi pascale (et pas seulement à cause de la quantité d'eau baptismale qu’Hubert nous a si généreusement distribuée).



Repas


    Au repas de Pâques, Bernard a partagé son histoire et sa vocation. Il aimait être dans le milieu des gens du voyage. Et c’est pour cela qu’il était toujours prêt à passer à autre chose.
    Même s’il lui sera difficile de dire au revoir à Béni-Abbès, il vit dans une attitude du “lâcher prise” : il n'a jamais voulu poser son dévolu sur un endroit précis. Mais ce sont certainement les relations tissées avec les gens au cours des 20 années de sa présence à Béni-Abbès qui lui serrent le cœur. Les invitations à dîner ou les repas apportés à l’ermitage, autant de signes de la grande amitié et de la solidarité des gens qui sont très liés aux frères, et beaucoup demandaient comment va Henri. Les frères laissent leur marque : confiance et relations gravées dans le cœur des gens.






    Lorsque Bernard parlait de sa disponibilité de partir, je me suis souvenu des vers d'un poème d'Hermann Hesse:


Comme chaque fleur fane et chaque jeunesse
Cède à l’âge, chaque étape de la vie fleurit,
De même chaque sagesse et chaque vertu
En son temps, et ne doit pas durer éternellement.
A chaque appel de la vie, le cœur
Doit être prêt aux adieux et aux recommencements,
Afin que dans le courage et sans deuil,
il s’adonne à d’autres nouvelles obligations.
De même en chaque commencement habite un charme
Qui nous protège et qui nous aide à vivre.

Sereins, nous devons avancer d’un espace à l’autre,
Sans nous accrocher à aucun comme à une patrie:
L’esprit du monde ne veut ni nous lier ni nous enfermer,
Il veut nous élever étape par étape, nous élargir.
À peine sommes-nous intimement habitués à un cercle de la vie
Que menace alors le relâchement.
Seul celui qui est prêt au départ et au voyage
Peut échapper à cette habitude qui paralyse.

Peut-être même que l’heure de la mort
Nous enverra jeunes vers de nouveaux espaces.
L’appel de la vie ne s’arrêtera jamais pour nous...
Allons donc, mon cœur, fais tes adieux et guéris!

Etapes  d'Hermann Hesse 

    Tour à tour, les invités de Pâques nous ont dit au revoir : Thérèse, Bruno et deux petites sœurs.

Xavier et Mgr John Eveque du Desert     Le mardi après Pâques, l’évêque John est venu, accompagné de Pierre (un prêtre Fideï-Donum).

Visite du Wali    Le mercredi, nous avons célébré l’Eucharistie, puis John, Bernard et Raymond ont rendu visite au Wali (le préfet) pour présenter Hubert comme étant le nouveau frère. Le Wali a exprimé spontanément le désir de visiter l’Ermitage, et il est arrivé accompagné aussi par le maire de Béni-Abbès.
Bernard a fait un petit tour pour expliquer l’ermitage, comme il l’a fait pour beaucoup de visiteurs. C’était aussi une bonne occasion pour Hubert d’établir un premier contact avec les autorités.

    Le lendemain, John et Pierre nous ont dit au revoir et notre communauté de prière et de table est devenue de plus en plus petite. C’était, un peu, comme la “Symphonie des Adieux” de Joseph Haydn : Les musiciens désertent l’orchestre les uns après les autres, pour ne plus rester que deux violons, seuls. L’œuvre se termine avec les deux solistes, pianissimo.



    Après notre départ (Bernard, Xavier et moi), ils ne resteront que deux frères : Raymond (pour quelques semaines) et Hubert. Hubert, avec sa longue expérience en Algérie (à Tiaret pendant 18 ans), son sens pratique et son désir palpable de s’enraciner à Béni-Abbès, est un signe d'espérance pour que la présence chrétienne à l'Ermitage puisse perdurer. Dans mon partage avec Hubert, j'ai ressenti que c'était un vrai frère!

Hubert et Xavier

    Hubert est aussi un chercheur de trésors : il a retrouvé un document original de Charles de Foucauld et un sextant de la famille de Charles. Xavier a tout trié et rangé la bibliothèque pour que nous puissions désormais laisser l’Ermitage de manière un peu plus ordonnée.

Prière sur les tombes     Le samedi 6 avril, le moment était venu : nous célébrions pour la dernière fois l'Eucharistie comme repas de passage, de départ. Bernard nous partageait comment il a vécu ses adieux jusqu’à présent et qu'il peut désormais regarder avec gratitude ses 20 années de présence à Beni Abbès. Après la communion nous sommes sortis dans la cour pour célébrer la communion avec nos morts : nous avons prié sur les tombes de PSJ Jenny-Michele, PSJ Bernadette-Chantal et PFE Xavier H.

Devant la porte de l'ermitage



    Nous avons aussi partagé des souvenirs et des anecdotes. Ensuite, nous sommes allés dans la cuisine et enfin au portail donnant sur le jardin, l'Ermitage des Petites Sœurs… une dernière prière : Nunc dimittis ! « Maintenant, Seigneur, laisse ton serviteur partir en paix. » Mission accomplie ! Hubert nous a donné la bénédiction du voyage. Nous remettons l'avenir de l’ermitage et aussi de Raymond et de Hubert entre les mains de Dieu : Inch’allah !



Soeurs et Frères

    Avec quelques valises bien remplies (dont des livres pour les “Discepole” d’Alger) nous reprenons le voyage de retour vers Alger. Encore un long trajet en bus, et un bon accueil à la Maison diocésaine. Mgr Jean-Paul Vesco nous a servi le petit déjeuner et nous avons pu lui partager le vécu de nos dernières journées à Béni-Abbès.


    Bernard va désormais planter sa tente à Villeneuve. J’espère sincèrement qu'il pourra bientôt s’y installer et y trouver sa place. Merci aux frères de Villeneuve et de l’Île St. Denis, pour accueillir Bernard. Il quitte une fraternité et trouvera une nouvelle fraternité !



Ermitage



Papiers    Les papiers sont devenus des cendres. Mais l’amitié qu’ils témoignaient reste gravée dans les cœurs. Et même si nous nous transformerons un jour nous-mêmes en cendres, toute amitié et tout amour restent conservés dans le cœur de Dieu. C’est notre foi dans la résurrection : Nous vivons toujours des passages. Tout passera. Mais l’amour ne passera jamais. Alléluia !


Andréas


Dune

Christ est ressuscité!
Mais c’est en secret,
Et Dieu seul connaît
L’instant
Où triomphe la vie.


Christ est ressuscité!
Mais c’est en secret,
Et Dieu seul connaît
Le feu
Qui s’éveille aujourd’hui.