Drapeau





Récit de voyage au Japon


Andreas

     

    J'avais vécu la fin du Ramadan en Algérie, qui est annoncée par les premières lueurs du croissant de lune (après la nouvelle lune). Et maintenant le voyage au pays du „Soleil levant“. Hier encore le drapeau algérien avec le croissant de lune - et aujourd’hui le drapeau avec le soleil rouge. Ce fut un voyage entre les mondes – et pour moi le premier voyage de ma vie en Asie (sauf: Israël/Palestine, Turquie, Syrie...). Et, en effet, j’avais le sentiment d’être arrivé sur une autre planète – et plus encore: dans un autre système solaire.

Aéroport de Kanzai   Cela a commencé avec les contrôles à l'aéroport et l’omniprésence d'électronique, dans un pays techniquement très développé, vous êtes immédiatement accueilli par un “high-tech-controle”. En même temps, il y a beaucoup de personnel à votre disposition qui vous aidera de manière extrêmement polie, discrète et gentille.

    L’aéroport de Kansai est situé sur une île artificielle. Celle-ci mesure 4 km de long et 1,2 km de large et fut remplie de 430 millions de m3 d’argile (extraite de trois montagnes). C’est l’évangile de notre temps : Si vous comptez sur le dieu “Capital”, vous pouvez dire à une montagne : « Jette-toi à la mer » et elle le fera !

Andréas et Masaru


    Ma visite au Japon a failli être reportée à cause de soucis de santé de Masaru (douleur de dos due à un ostéophyte”), il avait donc du mal à marcher. Mais, en fin de compte, c’était bien de le visiter maintenant. Et il m’a très bien accueilli! Même si nous n’avons pas fait les voyages prévus par Masaru, nous avons pu trouver tout le temps nécessaire pour faire connaissance et échanger des idées. Masaru se sentait mieux certains jours et moins bien d'autres.

    Dès mon arrivée, Aki (une amie de Masaru), qui était venue me chercher à l’aéroport, nous a accompagnés à un petit parc à côté de la fraternité. Les célèbres cerisiers étaient encore en fleurs pour une première photo.

    La maison dans laquelle vit Masaru surprend par sa simplicité. Il se situe dans un quartier où vivaient autrefois des exclus (ils exerçaient des métiers ostracisés: une population méprisée). C’était notre première rencontre et Masaru m’a donc parlé de son chemin vers le christianisme et les Petits Frères de l'Évangile. Comme je venais de Beni-Abbès, il m’a aussi montré les photos de son noviciat et de son temps sabbatique en Algérie.


    Beaucoup d’entre vous connaissent la Fraternité de Wakayama. Après la mort d'André, la chapelle se trouve désormais dans sa chambre et est joliment meublée. Nous avons célébré chaque jour la messe le matin et adoré ensemble pendant une heure le soir. Pour faire attention à son dos, Masaru est resté dans la maison tandis que des amis m’ont emmené faire de courtes excursions afin que je puisse admirer les jardins japonais et un sanctuaire shinto.

Andréas

   Tout est très bien entretenu, pas de déchets dans les rues, et partout les gens sont très polis et discrets. L’art des jardins, avec les arbres spécialement taillés, m’a fait grande impression : la nature et l'art se confondent pour atteindre un degré de beauté supérieur. Il en va de même pour la présentation des plats, qui est toujours disposée de manière très esthétique. Et enfin aussi la beauté des (jeunes) femmes.


    En me promenant dans le quartier, je m’arrêtais souvent devant les petits jardins et m'émerveillais de leur beauté ! Je me souvenais que Dostoïevski se rendait chaque année à Dresde pour voir la magnifique Madone Sixtine de Raphaël. Il s'attarda longtemps devant cette grande œuvre. C’est étonnant, car ses romans se déroulent dans les zones les plus sombres et les plus perverses de l’âme humaine. Mais ce qui l’anime, en réalité, c’est la recherche de la beauté. Dans son roman “L’Idiot” il écrit: « La beauté sauvera le monde ».

Japonaises

    Pour Dostoïevski, le contraire de la beauté n’était pas la laideur, mais l’utilitarisme, l’attitude consistant à utiliser les autres et à les priver ainsi de leur dignité. « Certes, nous ne pouvons pas vivre sans pain, mais il est également impossible de vivre sans beauté », répétait sans cesse Dostoïevski. La beauté est plus qu’esthétique, elle a une dimension éthique et religieuse. Il a vu en Jésus quelqu’un qui montrait la beauté : « ll était un exemple de beauté et il l’a implantée dans l’âme des hommes, afin qu’à travers la beauté, ils deviennent tous frères les uns des autres. » C’est aussi le message de la beauté que j’ai trouvée au Japon : Elle nous aide à découvrir dans tout être humain, et même dans toutes les créatures, des sœurs et des frères.


Amis de Masaru    Les échanges avec Masaru ont été très enrichissants. Il m'avait préparé par écrit des dates et des événements importants (concernant, par exemple : son histoire personnelle, l'histoire de la fraternité, les contacts avec l'église locale). Ces données m’ont aidé à mieux comprendre le développement de la fraternité au Japon.

    Par exemple, je ne savais pas qu’il existait une classe de parias au Japon (cette discrimination est arrivée dans le pays avec le bouddhisme). Ils devaient vivre dans des quartiers étroits et délimités de la ville et exercer des métiers méprisés (ce qui les rendait “impurs”), comme ceux de croque-mort, d’ouvriers d’abattoirs et de tanneurs. Masaru est sensible aux personnes qui souffrent de discrimination. C’est ainsi qu’il s’est engagé pendant de nombreuses années à une meilleure intégration des “ex-hors-caste”. Beaucoup de choses se sont passées sur le plan juridique, mais il y avait et il y a encore beaucoup à changer dans la mentalité de la population (et aussi des chrétiens catholiques).

Hors-caste    Dans un groupe biblique avec Masaru, il est devenu clair que Dieu est un Dieu de délivrance. Et qu’en suivant Jésus, les chrétiens doivent défendre les personnes marginalisées et méprisées. C’est ainsi que l’engagement pour les SDF1 est apparu. Leur nombre a augmenté après la crise bancaire aux États-Unis (“Lehman-Brothers”), car de nombreuses personnes ont perdu leur emploi et souvent leur logement. Inspiré par Masaru et organisé par lui, il existe toujours un groupe de volontaires (“patrouille”) qui visitent les SDF (par exemple à la gare). Il s'agit d'aide matérielle (riz, nourriture), mais avant tout de contact humain. Le grand engagement de Masaru contre la discrimination a été reconnu par un prix décerné par une organisation de défense des droits de l'homme. Même après son travail en tant que secrétaire de la commission épiscopale “Justitia et Pax”, son engagement en faveur des droits de l'homme se poursuit encore aujourd’hui.

SDF à Tokyo

    Professionnellement, Masaru a travaillé pendant un certain temps dans le commerce, puis dans un atelier de ferronnerie et enfin comme tanneur. 5 000 exclus vivaient à l’origine dans ce quartier résidentiel, qui a beaucoup changé ces dernières années. L’infrastructure a été améliorée et de nombreuses nouvelles maisons ont été construites. La maison de la fraternité ressemble encore à une relique du passé et en même temps elle rappelle que l’abolition légale de la discrimination est loin de mettre fin à l’ostracisme social des “ex-hors-caste”



    La Fraternité est un lieu où les gens peuvent aller et venir : deux femmes qui viennent à la Sainte Messe, d'anciens hors caste, des personnes qui ont besoin de conseils, des participants à la “patrouille”… Cette maison avec les portes ouvertes est inhabituelle dans la culture japonaise. Car ici, la devise suivante s’applique : « Ma maison est mon château » ; l’appartement est l’espace intime de la famille, dans lequel les étrangers ne sont pas autorisés.

Fraternité

    Comme tout était nouveau pour moi, j'ai posé beaucoup de questions sur l’histoire du Japon, le shintoïsme et le bouddhisme et j'ai trouvé en Masaru un interlocuteur très bien informé ! À l’inverse, j’ai aussi pu parler de certaines situations de la Fraternité et, en même temps, j’ai remarqué que Masaru est très bien informé et profondément uni à notre Fraternité.

Fraternité de Wakayama

    J’ai été très heureux que Sang-Shim (PFJ coréen, Assistant de le FG vivant en Corée) soit également arrivé à Wakayama le 16 avril. À l’origine, Nozomi (PFJ japonais) était censé venir aussi. Mais son état de santé ne le permettait pas (suspicion de cancer ; examens médicaux…). J’ai donc fait un voyage avec Sang-Shim jusqu’à Mizusawa (800 km) pour visiter Nozomi.

     Il y a quelques années, la fraternité japonaise était encore bien étoffée. La situation a changé lorsque Ludo est rentré en Allemagne. Et, quand André Gay est décédé il y a un an, Giang a renforcé la fraternité aux Philippines. Nozomi a alors décidé de déménager dans le diocèse de Sendai pour servir comme prêtre dans la paroisse de Mizusawa. Au nord du Japon, les catholiques sont encore plus dispersés qu’au sud. Entre 20 et 30 personnes assistent à la messe dominicale, pour la plupart des personnes âgées. Sang-Shim et moi sommes restés chez Nozomi pour découvrir aussi un peu l’histoire de cette région.

Juan de Goto    A Mizusawa, la mémoire de Juan de Goto (1577?– 1638) est honorée. Il appartenait à la classe dirigeante et s’était converti au christianisme. Il a travaillé au développement du pays en introduisant un système d’irrigation sophistiqué. Plus tard, les chrétiens furent brutalement persécutés et le christianisme faillit disparaître. Mais le souvenir de Juan-de-Goto demeure et, à Mizusawa, vous pouvez trouver diverses plaques commémoratives et des mémoriaux le représentant avec une grande croix. De cette manière, le christianisme est associé à une mémoire positive et reconnaissante.


    Le voyage avec Sang-Shim a été très calme et sans stress. Tous les moyens de transport (bus, train, avion) sont parfaitement organisés. (L’aéroport du Kansai a été désigné comme l'aéroport le plus ponctuel au monde en 2022). Partout où vous irez, vous serez accompagné de manière très gentille et polie. Le dimanche 21 avril, nous avons célébré une “fête” à Masaru. Un certain nombre d’amis sont venus et chacun a apporté des friandises à manger. Il régnait une atmosphère à la fois calme et très joyeuse. Et j'ai pu constater à quel point Masaru se sent ici à l’aise, combien il est apprécié par les gens. Comme c’est souvent le cas lors de mes voyages, j’ai trouvé un frère qui regarde sa vie avec joie et gratitude. Je me demande aussi pourquoi une vocation aussi belle que la nôtre n’attire pas les jeunes…


    Masaru et moi avons également parlé de l'avenir de la foi et de l'Église. Au Japon, l’intérêt pour la religion diminue. L’Église catholique recule également. Les 11 communautés de Wakayama sont désormais réduites à 2. Il y a une pénurie de prêtres et de croyants. Les structures et apparences disparaîtront. Mais il reste l’espoir que l’Évangile perdure d’une manière différente, discrète et cachée. Tout comme l'engagement de Juan-de-Goto continue de porter ses fruits aujourd’hui.

Masaru dans la Chapelle

    La sensibilité pour la justice, l’engagement contre la discrimination et le soin des malades et des mourants doivent leur existence, entre-autre, aux impulsions chrétiennes. Lors du Jugement dernier, les gens ne seront pas interrogés sur leur appartenance religieuse. L’unique question sera : avaient-ils un cœur pour les exclus, les ratés, les étrangers ? Cette sensibilité pourrait être un fruit possible de l'engagement courageux des martyrs japonais et du témoignage des chrétiens d'aujourd’hui. Les fraternités jouent également un petit rôle à cet égard. J’ai visité la maison de Taka (ancien PFJ) avec Sang Shim, où il a créé une communauté avec des personnes handicapées (une sorte d’Arche). Ici, l’esprit de fraternité perdure d’une manière différente. Il reste donc un espoir : même si certaines structures de l’Église disparaissent, les fruits de l’Évangile continueront à grandir en secret.

    Quand je suis parti, j'ai trouvé une parabole pour cette évolution. Les cerisiers qui m’avaient accueilli avec de magnifiques fleurs étaient désormais fanés. La beauté rayonnante n’était plus visible. Mais les cerises poussent discrètement sur les arbres. Et un jour les fruits rouges raviront le cœur et la bouche !

Andreas

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