Andréas K, (Prieur)
Même
si j'ai beaucoup voyagé dans le monde ces trois dernières années,
il y a toujours des surprises. D’habitude, pendant des vols aussi
longs, je regarde un film dans l’avion pour passer le temps. (« Le
Seigneur des anneaux » peut vous occuper pendant de nombreuses
heures !). Aussi cette fois-ci, l'écran proposait des films
hollywoodiens, de la musique et de la télévision. Mais il y a eu
aussi d’autres
propositions : « Le Saint Coran ».
En ouvrant l’écran on trouve le livre sacré bien présenté :
toutes les sourates sont proposées à la lecture ou à l’écoute
(récitées par l’un des plus célèbres chanteurs
coraniques).
Sous TV, on offre ensuite des séries entières d’introduction à
la vie islamique : sur le jeûne, le pèlerinage, la prière.
Vous vous doutez bien que je n’ai pas voyagé avec la laïque Air
France ou la non religieuse Lufthansa. Mais avec : Air Qatar.
Même les vols peuvent servir pour la mission : on est invité à
découvrir l’islam et à le
pratiquer.
Autre
particularité de ce vol : peu avant l’arrivée, une annonce a
été faite aux passagers : en Tanzanie, tous les sacs en
plastique sont strictement interdits. Toute personne trouvée avec un
sac en plastique doit payer une amende. (Dans d’autres pays, on est
informé sur l’interdiction des armes ou de la drogue…)
Bruno
est venu me chercher à l'aéroport « Kilimandjaro »(Arusha) et
je pense que la joie réciproque de se revoir était très grande.
Ma
dernière visite à Mlangarini (Village proche d'Arusha) remonte à deux ans et demi. Combien
de choses peuvent changer en si peu d’années. Le projet d’une
fraternité mixte s’est terminé au printemps. L’aspect extérieur
de la maison a également changé : le toit a été surélevé
et deux pièces ont été ajoutées au bâtiment vers le poulailler.
Il est maintenant temps de donner vie à la maison agrandie et
améliorée. Construire une maison en béton et en bois est facile.
Mais construire la maison intérieure, la vie d’une famille, d’une
communauté représente un grand défi.
Les
retrouvailles avec Climenti ont également été très chaleureuses.
Et j'étais aussi très heureux de rencontrer les deux jeunes qui
vivent comme postulants à Mlangarini depuis un certain temps :
Dismas et Joana. Tous deux viennent de Tanzanie et ont consciemment
recherché une communauté de frères pour y trouver le chemin de
leur vocation.
J’ai
beaucoup aimé m’intégrer au rythme de la fraternité : à
5 h du matin : prière silencieuse, Laudes, Eucharistie
dans l’église voisine de Mlangarini, petit-déjeuner. Et puis les
travaux du jardin et des champs. C’est ainsi que j’ai partagé le
quotidien des frères : arroser, désherber, s’occuper des
animaux (poules et, depuis peu, lapins), trier les haricots,
cuisiner. Et puis, ce fut l’heure de la récolte du maïs.
.
Le
maïs a ensuite été séché et stocké dans des tonneaux, de sorte
que les frères puissent déguster sans problème le plat des gens
simples pendant longtemps. Et pour moi, c’était vraiment un
plaisir : car avec les nombreux légumes qui poussent dans le
jardin, on peut préparer une sauce savoureuse.
Dismas
est un grand jeune homme (le toit a-t-il été surélevé à cause de
lui ??); il a une formation d’électricien. Joana a une
formation de soudeur et de travail du métal. Ainsi, après quelques
partages avec Bruno et Climenti, nous avons décidé qu’ils
pourraient commencer un noviciat le 6 janvier 2025. Bruno est prêt à
réduire ses nombreuses et très belles activités pour accompagner
les deux pendant un an. Le point fort de notre formation n’est pas
tant une introduction théorique à la vie religieuse que la
participation concrète à la vie : Les personnes forment les
personnes.
Climenti
m’a également parlé de ses études de philosophie. Il les a
terminées avec de très bons résultats (félicitations !), et
il s’est surtout laissé interpeller par les thèmes qui le
stimulent à réfléchir. Nous avons parlé de Nietzsche et aussi de
Descartes : « Dans le “Cogito ergo sum” s’exprime un
individualisme européen qui part du “moi”. Le philosophe
africain John Mbiti propose une autre approche. « Je suis parce
que tu es ! » Cela n’est pas sans rappeler la
philosophie dialogique de Martin Buber : l’homme devient “je”
à travers le “tu”. Et le philosophe chrétien Franz Von-Baader
formule : “Cogitor ergo sum” Je suis pensé (quelqu’un
pense à moi, donc je suis). Cela veut dire : L’homme existe
parce que Dieu pense à lui.
J’ai
aimé philosopher avec Climenti dans un environnement où les
relations humaines jouent un grand rôle : la famille, le
quartier, la communauté.
Les
vœux de Climenti seront également célébrés en janvier. Nous
avons parlé très ouvertement de la situation pauvre et fragile de
notre communauté. Nous ne pouvons pas offrir grand-chose : pas
de grandes maisons ni d’installations. Nous sommes également
pauvres en « vocations » et ne pouvons pas offrir un
avenir sûr. Quiconque choisit notre communauté accepte cette
pauvreté pour suivre Jésus précisément de cette manière. Et
j’admire le courage de Climenti, qui veut très consciemment
s’engager en faveur d’une communauté aussi vieillissante et
pauvre. Et je suis sûr que, comme moi, tous les frères en sont très
heureux.
Après
de dures journées de travail, nous nous sommes rendus au marché
masaï le vendredi 13 septembre. Outre les légumes et les articles
de tous les jours, c’est surtout le bétail qui y est négocié. Et
certains animaux sont abattus directement sur place, grillés et
proposés à la consommation.
Nous
avons ainsi profité de quelques heures de détente avec de la viande
délicieuse et en communauté fraternelle. En traversant la campagne,
j’ai remarqué que, contrairement à de nombreux autres pays que
j’ai visités ces dernières années, il n’y a pas de sacs en
plastique sur le bord de la route ou accrochés aux broussailles.
L’interdiction annoncée dans l’avion a un effet visible. (Mais
il faudrait aussi l’étendre aux bouteilles en plastique, car elles
polluent encore les champs, la brousse et les rivières). Une fois de
plus, on constate que le marché libre ne règle pas de nombreux
problèmes essentiels. Il faut un ordre étatique pour qu’une
économie axée uniquement sur le profit (dont le moteur central est
la cupidité) ne détruise pas les bases de la vie de l’humanité.
Le
samedi, les frères se rendent toujours dans les « small
christian communities » et j’ai eu l’occasion de les
accompagner à deux reprises. J’ai à nouveau été très
impressionné : aux premières lueurs du matin, 15 à 20
personnes se retrouvent dans la cour d’une maison pour prier,
chanter et écouter l’Évangile.
Ces rencontres m’ont surtout
beaucoup touché parce que des gens très simples, dans un
environnement simple, se laissent toucher par l’Évangile. Toute
l’atmosphère est imprégnée de la Bible : Nous nous asseyons
à l’ombre d’un arbre pour prier, de jeunes enfants sont assis
par terre, des poules et un jeune agneau ou une chèvre traversent
notre cercle de prière.
D’autres
scènes de la Bible ont également été illustrées ici. Par
exemple, lorsque Jean-Baptiste parle de séparer le bon grain de
l’ivraie : un chemin de discernement entre ce qui nourrit et
ce que le vent emporte. Peut-être devons-nous aussi de temps en
temps exposer notre cœur au vent de l’Esprit Saint : Pour que
s’envole ce qui est vide et creux. Ce qui ne peut pas nous remplir
ni nous nourrir.
Les
visites à quelques personnes seules pour leur apporter la communion
des malades ont également été très touchantes. Celles-ci vivaient
souvent dans des conditions très pauvres. Elles étaient
reconnaissantes de recevoir la communion. Dans un pauvre morceau de
pain, nous rencontrons un autre type de richesse : La proximité
d’un Dieu devenu simple et pauvre. Et notre réponse est la
gratitude, la patience, la confiance en Dieu.
Avec
Climenti, j’ai aussi visité la communauté des Petites Sœurs de
Jésus. Actuellement, 5 sœurs font leur noviciat à Arusha. J’y ai
donc trouvé une communauté jeune et pleine d’entrain. Nous avons
été très bien accueillis – les sœurs avaient même préparé un
gâteau qui a été présenté avec des chants et des danses.
Malheureusement,
le silence prévu pour un noviciat est brutalement perturbé. Juste à
côté de la fraternité des Petites Sœurs, les louanges de Dieu
retentissent à un niveau de décibels fortement élevé. Une église
pentecôtiste dispose de puissants haut-parleurs. J’ai jeté un
coup d’œil rapide à l’intérieur de l’église : il n’y
a personne, juste un concierge qui, du matin au soir, inonde le
quartier de chants extrêmement forts de louanges à Dieu. La scène
de la lutte d’Élie avec les prêtres de Baal m’est revenue à
l’esprit. Élie les excite : « Chantez plus fort !
Peut-être que votre Dieu dort ! »
À
propos de dormir : ma chambre se trouvait juste à côté de la
cour avec des poules. Tous les matins, le coq me réveillait à trois
heures. J’étais trop fatigué pour me souvenir de mes infidélités
et de mes péchés, comme Pierre. Le dernier soir, les frères ont
préparé un bon dîner. Et le coq a dû lui aussi y contribuer.
Le
coq est mort… Il ne dira plus « co co di, co co da ».
Cela
m’a permis de mieux dormir, au moins la dernière nuit. Pour le
jeune coq, sa mort est arrivée trop tôt, pour mon sommeil trop
tard…
Lors
de notre dernière réunion, j’ai encouragé les frères. Nous
voyons tous très clairement que l’avenir de cette fraternité est
très fragile. Mais la mèche qui brûle ne doit pas être éteinte.
Bien au contraire : nous espérons que l’Esprit de Dieu
soufflera et que la flamme s’allumera. Nous faisons le prochain pas
avec courage et confiance. Et quel que soit le chemin qui nous
mènera, nous espérons que grandira en nous la disposition exprimée
dans la prière de Frère Charles : “Je suis prêt a tout,
j'accepte tout.”
Lors
de la récolte, j'ai ouvert un épi de maïs dans lequel se trouvait
un seul grain de maïs. Un poème m’est venu à l’esprit :
Je
tiens mon grain dans ma main. Mon seul grain.
Ils
disent que je devrais mettre le grain en terre.
Mais
je dois protéger mon grain, mon seul grain.
Je
n’ai jamais connu un printemps.
On
dit qu’une nouvelle vie naît du grain.
Mais
je ne peux pas perdre mon grain, mon seul grain.
Je
n’ai jamais connu un printemps.
Mon
bien aimé dit :
Il
y aura un printemps.
Je
mets mon grain en terre.