Tanzanie




Dp                                                            F M.
Récit de Voyage
à Mlangarini


Septembre 2024
                 

 Andréas K, (Prieur)

Kilimandjaro    Même si j'ai beaucoup voyagé dans le monde ces trois dernières années, il y a toujours des surprises. D’habitude, pendant des vols aussi longs, je regarde un film dans l’avion pour passer le temps. (« Le Seigneur des anneaux » peut vous occuper pendant de nombreuses heures !). Aussi cette fois-ci, l'écran proposait des films hollywoodiens, de la musique et de la télévision. Mais il y a eu aussi d’autres propositions : « Le Saint Coran ». En ouvrant l’écran on trouve le livre sacré bien présenté : toutes les sourates sont proposées à la lecture ou à l’écoute (récitées par l’un des plus célèbres chanteurs coraniques). Sous TV, on offre ensuite des séries entières d’introduction à la vie islamique : sur le jeûne, le pèlerinage, la prière. Vous vous doutez bien que je n’ai pas voyagé avec la laïque Air France ou la non religieuse Lufthansa. Mais avec : Air Qatar. Même les vols peuvent servir pour la mission : on est invité à découvrir l’islam et à le pratiquer.                           

Carte    Autre particularité de ce vol : peu avant l’arrivée, une annonce a été faite aux passagers : en Tanzanie, tous les sacs en plastique sont strictement interdits. Toute personne trouvée avec un sac en plastique doit payer une amende. (Dans d’autres pays, on est informé sur l’interdiction des armes ou de la drogue…)

   Bruno est venu me chercher à l'aéroport « Kilimandjaro »(Arusha) et je pense que la joie réciproque de se revoir était très grande.

   Ma dernière visite à Mlangarini (Village proche d'Arusha) remonte à deux ans et demi. Combien de choses peuvent changer en si peu d’années. Le projet d’une fraternité mixte s’est terminé au printemps. L’aspect extérieur de la maison a également changé : le toit a été surélevé et deux pièces ont été ajoutées au bâtiment vers le poulailler. Il est maintenant temps de donner vie à la maison agrandie et améliorée. Construire une maison en béton et en bois est facile. Mais construire la maison intérieure, la vie d’une famille, d’une communauté représente un grand défi.


Mlangarini    Les retrouvailles avec Climenti ont également été très chaleureuses. Et j'étais aussi très heureux de rencontrer les deux jeunes qui vivent comme postulants à Mlangarini depuis un certain temps : Dismas et Joana. Tous deux viennent de Tanzanie et ont consciemment recherché une communauté de frères pour y trouver le chemin de leur vocation.

    J’ai beaucoup aimé m’intégrer au rythme de la fraternité : à 5 h du matin : prière silencieuse, Laudes, Eucharistie dans l’église voisine de Mlangarini, petit-déjeuner. Et puis les travaux du jardin et des champs. C’est ainsi que j’ai partagé le quotidien des frères : arroser, désherber, s’occuper des animaux (poules et, depuis peu, lapins), trier les haricots, cuisiner. Et puis, ce fut l’heure de la récolte du maïs.

.

Bruno
    Le maïs a ensuite été séché et stocké dans des tonneaux, de sorte que les frères puissent déguster sans problème le plat des gens simples pendant longtemps. Et pour moi, c’était vraiment un plaisir : car avec les nombreux légumes qui poussent dans le jardin, on peut préparer une sauce savoureuse.

    Dismas est un grand jeune homme (le toit a-t-il été surélevé à cause de lui ??); il a une formation d’électricien. Joana a une formation de soudeur et de travail du métal. Ainsi, après quelques partages avec Bruno et Climenti, nous avons décidé qu’ils pourraient commencer un noviciat le 6 janvier 2025. Bruno est prêt à réduire ses nombreuses et très belles activités pour accompagner les deux pendant un an. Le point fort de notre formation n’est pas tant une introduction théorique à la vie religieuse que la participation concrète à la vie : Les personnes forment les personnes.


Dimas et Clamenti
    Climenti m’a également parlé de ses études de philosophie. Il les a terminées avec de très bons résultats (félicitations !), et il s’est surtout laissé interpeller par les thèmes qui le stimulent à réfléchir. Nous avons parlé de Nietzsche et aussi de Descartes : « Dans le “Cogito ergo sum” s’exprime un individualisme européen qui part du “moi”. Le philosophe africain John Mbiti propose une autre approche. « Je suis parce que tu es ! » Cela n’est pas sans rappeler la philosophie dialogique de Martin Buber : l’homme devient “je” à travers le “tu”. Et le philosophe chrétien Franz Von-Baader formule : “Cogitor ergo sum” Je suis pensé (quelqu’un pense à moi, donc je suis). Cela veut dire : L’homme existe parce que Dieu pense à lui.

J’ai aimé philosopher avec Climenti dans un environnement où les relations humaines jouent un grand rôle : la famille, le quartier, la communauté.


Frères



    Les vœux de Climenti seront également célébrés en janvier. Nous avons parlé très ouvertement de la situation pauvre et fragile de notre communauté. Nous ne pouvons pas offrir grand-chose : pas de grandes maisons ni d’installations. Nous sommes également pauvres en « vocations » et ne pouvons pas offrir un avenir sûr. Quiconque choisit notre communauté accepte cette pauvreté pour suivre Jésus précisément de cette manière. Et j’admire le courage de Climenti, qui veut très consciemment s’engager en faveur d’une communauté aussi vieillissante et pauvre. Et je suis sûr que, comme moi, tous les frères en sont très heureux.


Après de dures journées de travail, nous nous sommes rendus au marché masaï le vendredi 13 septembre. Outre les légumes et les articles de tous les jours, c’est surtout le bétail qui y est négocié. Et certains animaux sont abattus directement sur place, grillés et proposés à la consommation.



Bruno Dimas Joana



    Nous avons ainsi profité de quelques heures de détente avec de la viande délicieuse et en communauté fraternelle. En traversant la campagne, j’ai remarqué que, contrairement à de nombreux autres pays que j’ai visités ces dernières années, il n’y a pas de sacs en plastique sur le bord de la route ou accrochés aux broussailles. L’interdiction annoncée dans l’avion a un effet visible. (Mais il faudrait aussi l’étendre aux bouteilles en plastique, car elles polluent encore les champs, la brousse et les rivières). Une fois de plus, on constate que le marché libre ne règle pas de nombreux problèmes essentiels. Il faut un ordre étatique pour qu’une économie axée uniquement sur le profit (dont le moteur central est la cupidité) ne détruise pas les bases de la vie de l’humanité.



    Le samedi, les frères se rendent toujours dans les « small christian communities » et j’ai eu l’occasion de les accompagner à deux reprises. J’ai à nouveau été très impressionné : aux premières lueurs du matin, 15 à 20 personnes se retrouvent dans la cour d’une maison pour prier, chanter et écouter l’Évangile.

   Ces rencontres m’ont surtout beaucoup touché parce que des gens très simples, dans un environnement simple, se laissent toucher par l’Évangile. Toute l’atmosphère est imprégnée de la Bible : Nous nous asseyons à l’ombre d’un arbre pour prier, de jeunes enfants sont assis par terre, des poules et un jeune agneau ou une chèvre traversent notre cercle de prière.

    D’autres scènes de la Bible ont également été illustrées ici. Par exemple, lorsque Jean-Baptiste parle de séparer le bon grain de l’ivraie : un chemin de discernement entre ce qui nourrit et ce que le vent emporte. Peut-être devons-nous aussi de temps en temps exposer notre cœur au vent de l’Esprit Saint : Pour que s’envole ce qui est vide et creux. Ce qui ne peut pas nous remplir ni nous nourrir.

Andreas

    Les visites à quelques personnes seules pour leur apporter la communion des malades ont également été très touchantes. Celles-ci vivaient souvent dans des conditions très pauvres. Elles étaient reconnaissantes de recevoir la communion. Dans un pauvre morceau de pain, nous rencontrons un autre type de richesse : La proximité d’un Dieu devenu simple et pauvre. Et notre réponse est la gratitude, la patience, la confiance en Dieu.

    Avec Climenti, j’ai aussi visité la communauté des Petites Sœurs de Jésus. Actuellement, 5 sœurs font leur noviciat à Arusha. J’y ai donc trouvé une communauté jeune et pleine d’entrain. Nous avons été très bien accueillis – les sœurs avaient même préparé un gâteau qui a été présenté avec des chants et des danses.

    Malheureusement, le silence prévu pour un noviciat est brutalement perturbé. Juste à côté de la fraternité des Petites Sœurs, les louanges de Dieu retentissent à un niveau de décibels fortement élevé. Une église pentecôtiste dispose de puissants haut-parleurs. J’ai jeté un coup d’œil rapide à l’intérieur de l’église : il n’y a personne, juste un concierge qui, du matin au soir, inonde le quartier de chants extrêmement forts de louanges à Dieu. La scène de la lutte d’Élie avec les prêtres de Baal m’est revenue à l’esprit. Élie les excite : « Chantez plus fort ! Peut-être que votre Dieu dort ! »


Le Coq    À propos de dormir : ma chambre se trouvait juste à côté de la cour avec des poules. Tous les matins, le coq me réveillait à trois heures. J’étais trop fatigué pour me souvenir de mes infidélités et de mes péchés, comme Pierre. Le dernier soir, les frères ont préparé un bon dîner. Et le coq a dû lui aussi y contribuer.

Le coq est mort… Il ne dira plus « co co di, co co da ».

    Cela m’a permis de mieux dormir, au moins la dernière nuit. Pour le jeune coq, sa mort est arrivée trop tôt, pour mon sommeil trop tard…

    Lors de notre dernière réunion, j’ai encouragé les frères. Nous voyons tous très clairement que l’avenir de cette fraternité est très fragile. Mais la mèche qui brûle ne doit pas être éteinte. Bien au contraire : nous espérons que l’Esprit de Dieu soufflera et que la flamme s’allumera. Nous faisons le prochain pas avec courage et confiance. Et quel que soit le chemin qui nous mènera, nous espérons que grandira en nous la disposition exprimée dans la prière de Frère Charles : “Je suis prêt a tout, j'accepte tout.”



    Lors de la récolte, j'ai ouvert un épi de maïs dans lequel se trouvait un seul grain de maïs. Un poème m’est venu à l’esprit :
Je tiens mon grain dans ma main. Mon seul grain.
Ils disent que je devrais mettre le grain en terre.
Mais je dois protéger mon grain, mon seul grain.
Je n’ai jamais connu un printemps.

On dit qu’une nouvelle vie naît du grain.
Mais je ne peux pas perdre mon grain, mon seul grain.
Je n’ai jamais connu un printemps.

Mon bien aimé dit :
Il y aura un printemps.
Je mets mon grain en terre.
  
Grain