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Sœur Martine : le HLM est son couvent
La première fois que nous avons rencontré Martine, c'était au milieu de ses anciennes voisines, au pied de Balzac, le premier jour de la démolition. Le cercle ne cessait de s'agrandir offrant chaque fois de joyeuses scènes de retrouvailles, de rires et d'embrassades. "On a été dispersé, ce n'est plus pareil. Y a une nostalgie" confie Martine. Comme beaucoup d'autres, elle a accepté de traverser "la frontière" : l'avenue du Général-Leclerc, cette diagonale qui traverse le quartier et pour certains, pose en rivales les barres jumelles : Balzac d'un côté, le Mail de l'autre. Martine a quitté la première pour la seconde. "Nous appartenons maintenant aux deux côtés du quartier. Ce n'est pas anodin. Car nous, les Petites sœurs de Jésus, sommes particulièrement appelées à vivre sur les lieux de frontières, entre les peuples, entre les religions... Pour rencontrer celui qui est différent, s'ouvrir à l'autre" dit-elle dans un sourire. Croix discrète autour du cou, Martine est en effet ce qu'on appelle familièrement une "bonne sœur". Mais elle a préféré les HLM au couvent. Martine, petite sœur de Jésus Des religieuses de la
congrégation des Petites
Sœurs de Jésus vivent aux cœurs des
4000 depuis 1985.
"A chacun son appel. Moi, ce fut vraiment de vivre la recherche continuelle de Dieu, minute par minute, à travers la relation à l'autre, dans une vie ordinaire. Nous ne sommes pas là pour faire de la retape et faire des chrétiens autour de nous. On est là pour vivre ces relations toutes simples avec nos voisins. Dieu se dit dans toutes ces rencontres. Et c'est ça que j'ai choisi : cette imbrication du plus ordinaire avec le plus extraordinaire qui est la relation avec Dieu." "J'ai découvert que le
béton était habité !" Les biscuits délicieux que sa
voisine turque est venue lui porter... Les enfants d'à côté qui
lui sautent au cou quand ils la croisent dans l'escalier... Les
discussions, le partage, la solidarité... Martine ne subit pas sa
vie aux 4000. Elle peint au contraire par ces petits détails, la
joie de vivre au quotidien dans ce quartier métissé. "Il
y a une vie quasi de famille, les uns avec les autres. Mais c'est
difficile à raconter. Comment raconter des choses aussi simples?"
Diangou, son ancienne voisine de Balzac a trouvé une jolie
expression : "Martine ? Mes enfants sont nés dans sa main
!" Avant de venir aux 4000 en 1989, Martine ne
connaissait pas la "vie de cité".
. La Sœur ne connaissait pas la
vie de cité. Lorsqu'elle est arrivée aux 4000, la première fois,
en 1989, et qu'elle a vu les grands ensembles qui barraient
l'horizon, sa première réaction a été la même que tous les
nouveaux venus : "Mais on est complètement cinglé de
s'entasser comme ça ! Après, dit-elle, j'ai découvert
que le béton était habité ! Du coup, j'ai aimé tout de suite
!" Sont alors revenus des souvenirs de sa petite
enfance et sa "vie d'immeuble" à Lyon. "On
allait chez les uns, chez les autres, on jouait tous dehors... Quand
nous en sommes partis, j'ai gardé la nostalgie de cette
convivialité très forte. Et je crois que c'est ce que j'ai
retrouvé ici, quelque chose de ce vivre ensemble qui a été perdu
dans d'autres endroits de la société française. "
Depuis, Martine est devenue une
Courneuvienne comme les autres. L'appartement qu'elle habite avec
trois autres sœurs depuis leur départ de Balzac, il y a trois ans,
ressemble beaucoup à celui de Samira,
qu'elle connaît bien, deux porches plus loin. A une exception près
: ici près du séjour, pas de chambre d'enfants, mais un lieu de
prière, "la chapelle". La chapelle des petites sœurs de Jésus, dans leur appartement du Mail Dans cette ville communiste depuis plus de cinquante ans, et ce quartier désormais à forte majorité musulmane, on pourrait croire que le F4 des sœurs catholiques fait figure de réserve d'indiens. Ce serait une méprise, qu'on comprend tout de suite en parlant d'elles dans le quartier : athées comme musulmans évoquent spontanément une kyrielle de souvenirs communs. Ici, les sœurs sont d'abord des voisines sur qui on peut compter. "Notre amitié sape à
la base tout préjugé" "Je me sens plus proche
de quelqu'un qui a le cœur ouvert quelle que soit sa religion que
de quelqu'un qui a le cœur fermé même si nous sommes de la même
confession" lance Martine de but en blanc, avant de
développer. "Avec ceux qui disent 'moi je ne crois pas en
Dieu' mais disent 'je crois en l'humanité', on se retrouve. Quant
aux voisins musulmans, l'amitié sape à la base tout préjugé
qu'on peut avoir les uns sur les autres. On démontre qu'on est
heureux de vivre les uns avec les autres, et qu'on peut se
comprendre y compris quand on parle de notre foi : on a des mots
personnels, et on se retrouve non pas face à des dogmes, à des
choses apprises par cœur, mais face à un vécu." Évidemment, tout ne va pas
toujours de soi. Martine raconte ainsi cette discussion tendue avec
une amie qui voulait à tout prix faire prévaloir le Coran sur
l'Evangile, un éloge de la différence. A écouter Martine dans la chapelle. Dans cette ville qui compte plus
de 80 nationalités et autant de langues, l'entendre évoquer le
mythe de la tour de Babel prend une saveur particulière. "Dans
la tradition biblique, il y a ce moment où les hommes, qui parlent
alors une seule et même langue, veulent faire une tour pour être
plus forts que Dieu. C'est à ce moment que Dieu décide de leur
faire parler des langues différentes. Mais ce n'est pas une
punition, c'est pour réintroduire l'idée de l'autre, et du coup
aussi la présence de Dieu. Parce que la différence est positive,
elle est constructive". "L'argent ne tombe
pas du ciel" Résolument positive, Martine n'en a pas pour autant un regard naïf sur le quartier. La vie ordinaire aux 4000 a aussi ses côtés sombres, elle le sait. Elle en porte les stigmates au poignet : une cicatrice saillante, souvenir d'une fracture et de l'agression dont elle a été victime il y a un an en bas de son immeuble. "Nous étions encore nouvelles au Mail... Je vous l'ai dit, nous avons passé la 'frontière'... Mais ça a été important pour nous ensuite d'aller voir les jeunes en bas, et de créer des liens avec eux. Je leur ai dit que je voulais parler à ceux qui m'avaient agressée. 'Pourquoi ?' m'ont-ils dit. 'Parce que quand une relation est cassée, il faut la reconstruire' ai-je répondu. Ils ne s'attendaient pas à cette réaction. Et là, un des jeunes m'a regardée et j'ai compris dans ses yeux qu'il en était et que j'avais fait mouche." Comme les autres habitants du quartier, Elle connaît aussi parfaitement cet autre mal qui ronge la vies des familles : le chômage. Comme tous les autres habitants du quartier, les petites sœurs de Jésus doivent travailler pour payer leur loyer. "L'argent ne tombe pas du ciel" s'amuse Martine. Quand elle est arrivée en 1989, à 28 ans, elle a regardé ce que faisait ses voisines, et elle a fait pareil : des petits boulots. Caissière à Carrefour, "étagère" dans une grosse société de restauration collective, standardiste... Mais à 50 ans, elle ne trouve plus de travail et touche désormais le RSA. Lasses de chercher un employeur, elle et quelques voisines essayent, depuis quelques mois, de monter leur propre projet. "Ce serait une association où l'on ferait du repassage, de la couture, et des plats sur commande. On a déjà commencé, deux midis par semaine, à proposer des sortes de plateaux-repas dans le centre social du quartier. Mais on sait qu'il va falloir chercher des clients plus loin, car ici personne n'a de l'argent pour faire repasser son linge... Pour le moment, je ne vous cache pas qu'on galère..." Une vie ordinaire. Ou presque Aline Leclerc, Elodie Ratsimbazafy. |
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