LA FRATERNITÉ DE MAYO OULDÉMÉ

Diaire de Jean  ( fraternité de Mayo Ouldémé, Cameroun )

jeanBruxelles, août 2008

Au début de janvier 1951, arrivait au Cameroun un gros camion, qui venait d'El Abiodh en traversant le Sahara, le Niger et le Nigeria… Dans ce camion, il y avait quatre frères dont René Voillaume, sept petites sœurs dont petite sœur Magdeleine et trois laïcs. Ils venaient fonder une fraternité chez les Kirdis, dans les montagnes du Nord Cameroun. Ils ne savaient pas exactement où… mais Roger (qui venait de prospecter pendant plus d'une année le Cameroun) avait rejoint le camion à Tamanrasset.

Les premiers jours, ils tournent entre Mora et Mokolo pour chercher un lieu. Il fallait obtenir l'autorisation de l'administration mais surtout il fallait trouver de l'eau : "Nous sommes toujours sous la tente… Après avoir changé de campement quatre fois, je crois que nous avons enfin trouvé le coin que Dieu nous réservait : Nous avons trouvé un cours d'eau (un "mayo") qui coule encore à la fin de la saison sèche. L'eau est très rare au Nord Cameroun ! Nous avons déjà creusé trois puits dans les autres campements sans trouver l'eau… Ici, nous avons fait creuser un puits, et nous y avons trouvé de l'eau à 15 m. Ce sont deux aveugles, spécialistes puisatiers, qui l'ont creusé. C'était très touchant de les voir. Un des aveugles descendait dans le puits, sans corde, et l'autre était au bord du trou pour tirer le seau !"

Il n'y a aucune habitation au bord de ce mayo, car tout le monde habite en haut des montagnes ou plutôt des collines. L'administration leur ayant interdit de construire dans les montagnes, les frères et les sœurs s'établissent au bord du mayo avec l'aide des gens. C'est là que commence la fraternité de Mayo Ouldémé. Il y a deux tribus : d'un coté les Madas et de l'autre les Ouldémés, avec des langues et des coutumes bien différentes ; ce sont même des tribus ennemies. Ce n'est pas facile au début, car cette population a toujours vécu à l'écart depuis des siècles et des siècles… Ils ont leur Dieu, leurs sacrifices, leurs esprits, leurs magies, leurs médicaments, leurs interdits, leurs prières, leurs danses, leurs deuils, leurs armes, leurs outils, leurs fourneaux pour fondre le fer, leur maître de la pluie, leur nourriture, leurs habillements (peau de chèvre pour les hommes, lanière de peau pour les femmes). Depuis toujours ils se croyaient être le centre du monde et pensaient qu'ils le resteraient jusqu'à la fin du monde !

Alors, que venaient faire ces blancs ? " Notre position, juste à la limite des deux tribus, est certainement un facteur d'apaisement pour le pays. Tous les jours Ouldémés et Madas se retrouvent chez nous, soit au dispensaire, soit au travail, soit simplement pour se promener et bavarder (la fraternité étant pour le moment un point de ralliement). Ils savent que nous voulons être des frères et des amis pour tous et l'apprécient déjà. Evidemment ce n'est que peu à peu que tout ce travail d'amour et d'union se fera… mais c'est vraiment un endroit idéal pour une fraternité."

Très vite les frères et les sœurs ont compris qu'il fallait mettre les gens en confiance, en apprenant leur langue et en entrant dans leur vie, et qu'il fallait aussi soigner les corps … La Petite Sœur Marie Annick, qui soignait les malades, est morte au bout de six mois. Elle a été enterrée à Mayo Ouldémé, dans leur terre. Cette mort a fait beaucoup de bruit car les Blancs du Nord Cameroun voulaient nous faire quitter notre brousse : notre genre de vie et notre indépendance leur paraissaient gênants. Mais en décembre 1951, Jacques (Njilé) pouvait écrire :

Mayo

"Tout est redevenu normal… L'évêque est intervenu fermement en notre faveur et il ne se laissera pas intimider… Je crois d'ailleurs que ces messieurs exagèrent les incommodités et les privations de notre installation… Ce qui est vrai, c'est que, par notre vie très mêlée aux gens nous ne concourrons pas, comme ils le voudraient, à relever le 'prestige' des Blancs".

Les frères ont commencé aussi à faire du jardinage et à cultiver le mil en saison des pluies. "Jacques fait pousser toute sorte de légumes, et se distrait un peu avec quelques cases à refaire (à cause des termites), et quelques nouvelles cases à construire : chapelles, atelier…"

Jacques écrit : "Au degré de familiarité où nous en sommes avec eux, il faut bien convenir que le problème de leur évangélisation va se poser dans un proche avenir. Et il y a bien des chances que c'est à nous que cette tâche reviendra car les Pères Oblats ne peuvent se consacrer à une petite tribu comme les Ouldémés. Restera à voir avec le Père Voillaume la façon d'y procéder dans la ligne du Père de Foucauld… et reste surtout à apprendre sérieusement la langue avant d'y songer. Un petit Mada, écolier à Mora et en vacances chez nous pour deux mois, m'aide à apprendre le mada… Dommage qu'il n'y ait pas d'écoliers Ouldémés !"

Les premiers frères qui étaient avec Jacques sont partis fonder dans le Sud (Bernard et Jean de la Croix). D'autres arrivent : Georges en 1954, Michel et Pierre en 1956.

Les frères et les sœurs, pour être plus près des gens, commencent à louer ou à construire des sarés [7] à la montagne (d'abord chez les Ouldémés, puis chez les Madas) :  "J'ai déjà passé plus d'un mois chez les Madas, par petits séjours successifs. Les gens du village commencent à s'habituer. Ils ne sont plus étonnés, lorsque au petit matin, dans la file des femmes qui attendent patiemment pour puiser l'eau, il y a un pauvre frère qui cherche à remplir sa cruche au rythme très lent du débit de la source, et  qui maladroitement s'efforce de la porter sur la tête jusqu'à sa case (heureux quand il ne la renverse pas au milieu des rochers)."

Jacques (que les Ouldémés appellent Njilé) commence à faire la catéchèse chez le chef des Madas, dans la seule école qui existe alors. Vers 1956, le chef des Madas est devenu musulman, mais beaucoup de ses enfants m'ont souvent dit : "Nous étions les premiers catéchumènes de Mayo Ouldémé". Ils  sont musulmans, tout en restant de grands amis. Yegui, le fils aîné du chef, a remplacé son père en 1971, et il est toujours dans la politique : député depuis 1973, il est Président de l'Assemblée Nationale depuis 1992. Son principal garde du corps est originaire de Mayo Ouldémé, et nous avons toujours été en très bons termes avec lui.

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Njilé commence à faire la catéchèse avec des diapositives dans les quartiers de montagne les plus proches… Aussi, cherche-t-il du renfort : "Comme vous le savez, il y a déjà longtemps que nous désirons confier la direction de notre dispensaire à un médecin… Il restera à résoudre la question de l'évangélisation des Ouldémés et des Madas. Notre rêve serait que cette tâche délicate puisse être confiée à un ou deux frères du Ministère de l'Evangile, à qui nous adressons un pressant appel. Je suis sûr que si l'un d'entre eux acceptait de venir, il serait aussitôt conquis et serait bien vite prêt à consacrer sa vie aux Ouldémés et aux Madas, tellement ils sont attachants. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé pour moi, qui ne suis venu ici que par obéissance et comme 'intérimaire'… et qui songe maintenant à prendre la nationalité camerounaise pour concrétiser mon don définitif".

En février 1959, Baba Simon (l'abbé Simon Mpéké) est arrivé à Mayo Ouldémé. C'est un prêtre, originaire du Sud Cameroun qui est attiré par la Fraternité et la spiritualité du frère Charles. Mayo 5Il a 53 ans. Mais Baba Simon, ne supporte pas la situation dans laquelle se trouvent ses frères camerounais. Au bout de six mois, il faut déjà faire une école, les habiller, les faire venir à la messe… Aussi Baba Simon est-il parti fonder une paroisse à Tokombéré, à 10 km du Mayo.  Converti lui-même par la sagesse des Kirdis, petit à petit il va changer complètement. Je l'ai bien connu pendant dix ans, et nous avons gardé toujours de très bonnes relations. Il est mort en 1975 et sa cause de béatification a été introduite à Rome.

En 1959, les petites sœurs de Jésus sont parties… mais une équipe de laïcs du CIDR [8] est arrivée alors à Mayo Ouldémé. Ils ont pris en main le dispensaire ; ils ont commencé aussi l'animation rurale et un début d'école primaire. C'est tout un village qui s'est alors construit à côté des frères.

Janvier 1960 : indépendance du Cameroun. La situation politique évolue rapidement et le parti unique s'installe dans tous les domaines. Les Européens deviennent une 'minorité' étrangère dans un pays indépendant et on ne manque pas une occasion de le rappeler. C'est excellent pour purifier notre amour.

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En juillet 1960, André Brunet est arrivé du Sambuc [9] : premier petit frère de l'Evangile. Il peut se mettre entièrement à la langue mada, à la traduction de l'Evangile et à l'annonce directe de la Bonne Nouvelle.

Le CIDR permet aussi de montrer aux gens tout un assortiment de personnes inédites jusqu'alors : noirs d'autres races, ménages chrétiens, petits bébés tout blancs, mariage entre blanc et noir… Déjà André a fait un mariage et deux baptêmes.

Avril 1961, catastrophe ! Njilé doit quitter le Cameroun.. C'est lui-même qui raconte :  "Certains frères ignorent encore peut-être la raison de mon départ de Mayo Ouldémé. Voici en deux mots ce qui s'est passé. Au cours d'une scène violente, des gendarmes camerounais avaient brutalisé des Ouldémés sans défense. Ecœuré et à bout de nerfs, un geste extrêmement malheureux m'a échappé et j'ai frappé un des gendarmes. Ce fut lourd de conséquences. Je vous fais grâce des détails. Toujours est-il qu'à la suite de diverses mesures pénibles, il a fallu que je quitte le pays. Pour moi qui depuis 10 ans ne vivais plus que pour les Ouldémés c'était évidemment une brisure totale et brutale de toute ma vie, une déchirure douloureuse dans mes affections les plus chères". 

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En 1962, les frères, aidés par les voisins les plus proches, construisent une chapelle avec les matériaux du pays (murs en brique de terre et toit en paille).

En 1962 arrive Paul, et en 1964 Xavier Cavrois. Il y a beaucoup d'activités : introduction de la culture attelée (bœufs ou ânes), plantation d'arbres fruitiers au bord du mayo, formation d'infirmiers locaux… mais l'école ne marche pas bien car les parents sont réticents. Les terres disponibles manquent : un foyer du CIDR décide alors de créer un village en plaine à 30 km de Mayo Ouldémé, dans une zone encore non-habitée. Beaucoup suivent le mouvement : ce sera la première vague d'émigration.

1965 : Georges quitte la Fraternité pour devenir prêtre diocésain. Paul est malade et doit rentrer en Europe. Le CIDR a des problèmes avec l'administration et doit quitter aussi le Mayo, en laissant toutes les activités. Les frères demandent de l'aide : Philippe est disponible car il n'a pu rejoindre les frères d'Etabé au Congo. Et moi, qui termine le noviciat, on me demande aussi d'y aller pour l'animation rurale et surtout le jardin. Tous les deux nous arrivons au mois d'octobre 1965.

Et les sœurs dans tout cela ? Depuis 8 ans, il n'y en a plus. Et voilà qu'en janvier 1967 deux groupes arrivent : les sœurs de Cuneo (Italie) pour les Madas et les petites sœurs de l'Evangile pour les Ouldémés. Toutes les animations reprennent de plus belle. Une sœur de Cuneo prend en charge le dispensaire, ce qui n'est pas peu : une foule de malades arrivent tous les jours de partout. Les sœurs de Cuneo commencent un internat pour former et accueillir les fiancées des catéchumènes. Avec des 'catéchistes', elles vont tous les soirs dans les villages de montagne ou de plaine pour annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus et aussi pour l'alphabétisation en langue mada. Les sœurs de l'Evangile font la même chose du côté ouldémé.

En 1967, grande famine dans toute notre région. C'était terrible… on allait jusqu'à vendre les enfants ! A Mora, il y avait de grands stocks de mil… Mais ce mil, au lieu d'être distribué par l'administration, était vendu aux commerçants qui le revendaient encore plus cher sur les marchés. Le gouvernement ne voulait pas qu'on parle de famine à l'extérieur du pays.

André a acheté du mil qu'il a stocké dans des magasins pour le vendre moins cher et le donner aux affamés. Mais cela n'a pas du tout plu aux commerçants ni à l'administration. Aussi il a été convoqué dans mille bureaux et a été traité de tous les noms… On voulait nous chasser du pays, et certains ont cherché à soulever la population contre nous en réunissant les gens sur les marchés et en leur disant : "Les blancs qui sont là ne vous aiment pas : ils reçoivent du mil pour vous et ils vous le vendent au lieu de vous le distribuer. Ils ne veulent pas créer des écoles ; ils ont des vêtements, mais ne veulent pas vous habiller ; quand vous êtes malades, ils ne veulent pas vous donner les médicaments"… Les gens ne comprenaient rien à tous ces discours, surtout en entendant le dernier point, car le dispensaire avait une très bonne réputation et même les musulmans de plaine venaient de très loin (20 ou 30 km) pour se faire soigner. Alors il y a eu un revirement total : au lieu de mettre la population contre nous, c'est le contraire qui s'est passé.

Tout s'est arrêté et nous n'avons plus jamais eu de difficultés avec l'administration ; au contraire elle nous a demandé de travailler de plus en plus avec elle, que ce soit pour l'école, le dispensaire, l'animation rurale ou la distribution de mil dans les années de famine.

En septembre 1967, j'ai quitté le Mayo pour aller aux études. Et en août 1968, j'ai été à deux centimètres de la mort: une voiture m'a renversé à la sortie de Lyon.  Cela m'a valu 6 mois d'hospitalisation et deux ans de rééducation. Mais j'étais content, car j'ai pu remarcher et donc retourner au Mayo.

C'est à Pâques 1968 qu'ont eu lieu les premiers baptêmes: 10 jeunes entre 18 et 25 ans, moitié mariés, moitié célibataires.

Cam Mayo 6

André baptise une femme mada dans l'aire de prière de Mayo Ouldémé

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Les Ouldémés et les Madas descendent de plus en plus de la montagne pour s'établir soit autour de chez nous, soit dans la plaine voisine où la culture attelée fait des progrès et aussi la culture du coton. Au bord du mayo, où il y a de l'eau toute l'année, les gens bâtissent leurs cases et donc peuvent faire des jardins, surtout des arbres fruitiers : goyaves, bananes, citrons, mangues, papayes. On commence aussi à abandonner le vêtement traditionnel pour le short, la jupe ou le pagne. Mais il n'y a pas d'écoles : l'école du CIDR qui a été fermée en 1966 n'a pas été réouverte. Il y a quand même une petite minorité de garçons qui vont à l'école, soit dans le quartier du chef Mada, soit à Tokombéré où Baba Simon a ouvert une école de la mission. Certains, même, commencent à fréquenter le lycée de Mora à 20 km, et le collège privé de Ngaoundéré à 500 km.

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Entre 1970 et 1980, beaucoup de changements dans l'équipe. Les sœurs de Cuneo partent (et donc aussi la sœur responsable du dispensaire).  Les sœurs de l'Evangile partent aussi, sauf Erna. Mais arrivent Lucio, un docteur laïc italien qui ne restera que deux ans,  le frère Tullio qui est aussi infirmier, et Yvette, une infirmière sage-femme.  C'est l'époque où le dispensaire, qui était plutôt curatif, se tourne vers le préventif : animation dans les villages, vaccinations. La population qui était stationnaire depuis des siècles, augmente à grand pas.  Jusqu'à l'arrivée de la Fraternité, 75% des enfants mourraient avant cinq ans (je ne parle pas des années d'épidémies). Maintenant il y a toujours autant de naissances, mais les enfants ne meurent plus….   "C'est la période où je m'enfonce encore plus dans la montagne ouldémé.    Je m'y fais beaucoup d'amis… je vis très proche d'eux… il y a des familles  qui deviennent ma famille. Je dors, je mange chez eux et je bine les champs avec eux. Je leur annonce aussi la Bonne Nouvelle de Jésus, mais plutôt de manière informelle. Je les aide aussi pour faire des cultures maraîchères et fruitières et pour l'élevage, en travaillant moi-même avec eux, en allant moi-même garder les vaches… J'essaie aussi de faire ce qu'on appelle la 'conscientisation', pas d'une manière formelle, mais surtout à l'occasion de faits et d'évènements." (Diaire du 1/7/1984)

Il n'y a plus de terrains disponibles, ni à la montagne ni dans la plaine avoisinante. C'est l'époque où commence alors la grande migration vers le centre du Cameroun où la pluviométrie est meilleure. En 1975, en accord avec l'administration, j'ai marché pendant des jours et des jours, avec une équipe ouldémé, pour implanter des villages ouldémé et mada à 300 km d'ici. D'autres villages se sont établis aussi à 500 km d'ici.

Les parents reviennent assez souvent à Mayo Ouldémé pour les fêtes, les sacrifices, le dispensaire… mais est-ce que les petits enfants connaîtront leur lieu d'origine, leur langue ? Seront-ils plus heureux là-bas ? Il y a l'argent car ils cultivent du coton, il n'y a pas de famine comme au Mayo, mais l'argent va dans la bière ! Je ne parle pas de ceux qui vont en ville : certains s'en tirent bien et trouvent du travail, mais beaucoup sont dans la misère ou reviennent avec le sida !

Ces dernières années beaucoup d'hommes et même de très jeunes abandonnent femme et enfants, car la houe pour cultiver est lourde et la terre est ingrate, surtout quand il ne pleut pas. Combien de pères de famille me disent : « Je n'en peux plus. Tous les soirs ou à la fin de la semaine mes enfants me tombent dessus en disant : 'Je n'ai plus de bic, je n'ai plus de cahier, je n'ai plus de savon, je n'ai plus d'argent pour la sauce, mon pantalon est usé, mon pagne est déchiré… Donne-moi quelque chose que je puisse fêter avec ma fiancée, avec mes amis. Donne-moi de l'argent pour passer le concours… » Alors ils abandonnent femme et enfants. Cela est nouveau. Avant c'était la mère qui quittait la famille, maintenant c'est le père ! Si cela continue, bientôt il n'y aura plus que des femmes au village… dans certaines tribus environnantes, c'est déjà comme ça.

***

Mais revenons aux années 1980 ! Une autre communauté de sœurs arrive, on les appelle les "Filles de Marie et de Joseph " : Monique et Louis-Marie.  Philippe est ordonné prêtre en juillet 1980.

Tullio et Yvette partent en 1982. André aussi part en 1982 pour une année sabbatique, mais reste ensuite auprès de ses vieux parents… Il fera encore deux séjours à Mayo et mourra subitement à Nyons (France) en 1992.

"Nous nous sommes alors posé longuement la question de l'avenir de la fraternité de Mayo Ouldémé. Il est certain que nous sommes actuellement en charge d'un vaste ensemble qui fait de nous une des 'paroisses' les plus importantes du diocèse. Mais notons tout de suite que les frères ne sont pas seuls à assumer cette charge ; c'est toute l'équipe qui y travaille. Il y a des jours aussi où on rêve d'être dans une petite fraternité et ici on est dans une grande équipe avec un grand dispensaire et une grande 'mission'. Mais quand chaque membre de l'équipe vit très simplement, il n'y a pas de problèmes". (Diaire du 1er juillet 1984)

En 1982, au Cameroun, changement de chef d'état. C'est un chrétien du Sud qui prend la tête du pays (et il y est encore actuellement). Dans tout le pays, les chrétiens sont contents : on croit que c'est une nouvelle ère qui commence. Mais il faut plus de recul pour pouvoir relire les 25 dernières années d'histoire du Cameroun.

A Mayo Ouldémé, on obtient la permission d'ouvrir une école publique. Mayo Ouldémé est devenu un grand village, les enfants sont très nombreux et les parents sont conscientisés. Les sœurs (Erna et Monique) font beaucoup d'alphabétisation avec les baptisés, les catéchumènes, les priants. Elles s'occupent de la formation des catéchistes, des catéchumènes. Tous les ans, il y a un groupe d'une cinquantaine de baptisés adultes à Pâques. La sœur Louis-Marie anime un mouvement d'enfants, les 'cop-monde'. Elle ouvre aussi une bibliothèque pour les enfants.

En 1983, arrive une autre communauté de 2 sœurs qui prennent en charge le coté 'santé'. L'une d'elle, Catherine Noëlle, est une infirmière camerounaise.

Gérard arrive en 1984 et Michel en 1987. En 1993, c'est Yves Lescanne qui laisse la fraternité de Yaoundé pour rejoindre le Mayo. Gérard est retourné en France comme prêtre diocésain.

A cette époque, les jeunes commencent à être nombreux dans les lycées et les collèges secondaires. Yves et Jean suivent les jeunes. "Ces jeunes ont un très grand besoin de tout un accompagnement moral, spirituel et matériel. Si vous connaissez ou devinez un peu ce qu'était la vie des Ouldémés et des Madas il n'y a pas si longtemps, vous pouvez imaginer que le milieu n'est pas particulièrement porteur pour ces jeunes, et que le choc des générations est particulièrement fort ici.  Nous voyons notre place de Petits Frères à la charnière de ces deux mondes, en restant ouverts aux uns et aux autres. Nous désirons que les gens de la montagne continuent à se sentir pleinement à l'aise chez nous et avec nous, comme ils l'ont toujours été, mais nous voulons aussi que les jeunes scolarisés, avec leur tête nouvelle et leurs problèmes nouveaux se sentent accueillis chez nous, compris, aidés". (Philippe).

En 1993, il n'y a plus d'infirmières expatriées : les infirmiers locaux se débrouillent. Koulifa est responsable du dispensaire qui est pris en charge par le diocèse.

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En décembre 1994, Philipe est nommé évêque du diocèse de Maroua-Mokolo.  "La nouvelle s'est répandue de montagne en montagne dans chacune des communautés chrétiennes qui forment la grande communauté de Mayo Ouldémé. Ce que j'admire, c'est la continuité d'une présence, d'une histoire d'amitié ". (Yves)

Beaucoup de mouvements dans l'équipe à cette époque. Roger vient de quitter Salapoumbé [10] et passe par le Mayo pour l'ordination de Philippe, le 15 janvier 1995. On le retient au Mayo, car il n'y a plus de prêtre pour la communauté chrétienne.

Dans la communauté des sœurs, une sœur burundaise, Béatrice, est arrivée depuis quelque temps. Une autre sœur, Bernadette, de la même communauté est venue comme ermite, sur une colline non habitée de la montagne mada. Elle est très bien acceptée par la population. Mais bien vite toutes les sœurs quittent et se regroupent à Mémé, dans une mission voisine (sauf Bernadette qui continue dans son ermitage).

En 1997, c'est l'ordination sacerdotale du premier prêtre ouldémé (Barthélemy). Même Njilé est venu d'Israël pour cet évènement. "Le premier dimanche qui a suivi mon arrivée au Mayo, sur l'aire de prières (l'église étant bien trop petite) il y avait un millier de participants, baptisés, catéchumènes ou sympathisants. Pour moi c'était comme un éblouissement. J'ai trouvé du changement… oui, bien sûr, mais je ne suis guère dépaysé. Les Ouldémés et les Madas sont toujours les mêmes cultivateurs de mil, d'arachides et de haricots. Leur nourriture n'a guère changé… ils boivent toujours autant de bière de mil. Plus de la moitié d'entre eux sont descendus de la montagne et ont bâti leurs cases toujours dans le même style, le long du mayo ou plus loin en plaine. Certains ont des jardins et des arbres fruitiers. Le dispensaire est pris en charge par des infirmiers diplômés locaux, tandis qu'une sage femme diplômée ouldémé veille sur une maternité bien équipée". (Njilé)

En 1999, c'est encore la famine au Mayo Ouldémé. On fait un stock de 2.000 sacs de mil de 100 kg. Pour la distribution nous sommes beaucoup aidés par les animateurs et animatrices ruraux et aussi par les responsables de communauté. Pour avoir droit à du mil, chaque village doit faire quelque chose : des biefs (petites retenues d'eau à la montagne en pierres sèches), des puits, des routes, des écoles, des aires de rassemblement ou de prières… Tout s'est bien passé. Ça a été le départ pour commencer des greniers communautaires dans les villages. Les gens ont commencé à se réveiller et à se prendre en main.

Fin 1999, arrivent Jacques Wilhelm, qui a déjà baroudé un peu partout en Afrique, et François, qui partage son temps entre Yaoundé et le Mayo.

En 2000, arrivent six sœurs indiennes ( Les Filles de la Croix) : trois pour une paroisse de Maroua et trois pour le Mayo (Mahima, Lysa et Mary). Elles s'adaptent très vite et mettent un climat de joie dans l'équipe.

Cam 7Mary donne des cours d'anglais dans un nouveau collège au quartier du chef mada, à 4 km de chez nous. Mahima se lance dans l'animation féminine et Lysa fait mille choses dans les villages : elle commence des écoles maternelles de quartier qui sont prises en charge par les parents (même au fond de la montagne ouldémé, il y en a une). Lysa a construit aussi un internat de filles au fin fond de la montagne ouldémé. Elles suivent les cours à l'école publique, et après les cours, elles reviennent à l'internat. Elles sont encadrées par une femme ouldémé, par des grandes filles et quelques répétiteurs. Elles ont un jardin et un élevage de chèvres et de poules. Cet internat a été construit pour aider à la scolarisation des filles (en 2008, elles étaient une centaine).

En juillet 2002, Yves Lescanne faisait toujours partie de la fraternité de Mayo Ouldémé où il venait le week-end, mais dans la semaine il restait à Maroua, à 60 km, où il avait un local pour accueillir les enfants de la rue, comme il l'avait fait longtemps à Yaoundé. Mais voilà que l'un d'eux l'a frappé mortellement à la tête avec une hache, et notre frère Yves repose à Maroua dans le cimetière de la mission.

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En 2007, la supérieure générale de nos sœurs (les Filles de la Croix) fait une visite au Mayo. Elle pense qu'il faut faire quelque chose avec les filles qui finissent l'école primaire. Il y a des lycées et même un lycée privé catholique à 12 km. Mais les filles qui n'ont pas les moyens financiers ou le niveau d'études en sont écartées. Après beaucoup de discussions, on a pensé à un centre de promotion, un centre technique pour les filles. Les meilleures pourront arriver au bac en fin du secondaire, les autres se spécialiseront en agriculture, santé, ordinateur… Et Sœur Lysa a acheté un terrain derrière l'école publique. Avec des constructeurs du village, elle a pu faire rapidement deux classes et un bureau. En septembre 2007, 60 filles de 13 à 20 ans faisaient leur entrée dans ce centre "Marie Thérèse". Elles viennent des 8 écoles qui se trouvent dans un rayon de 5 à 6 km aux alentours. Toute la dernière année j'ai passé le plus gros de mon temps dans ce centre, car il fallait planter des arbres fruitiers (pour l'ombre et pour les fruits) et commencer un jardin potager. Il fallait aussi ramasser du sable et du gravier pour les nouvelles constructions : deux nouvelles salles de classe pour l'année qui va commencer.

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Au début du mois de juin 2008, dix jours avant notre départ, le premier prêtre ouldémé, Barthélemy Yaouda, est nommé évêque du diocèse voisin ! Qui aurait pu imaginer, en 1951,  que quelques années après, un Mada serait deuxième personnage de l'état (Yegui est Président de l'Assemblée Nationale) et un Ouldémé évêque (Yaouda est évêque de Yagoua) ?

Pour terminer, je vous partage ces paroles de bénédiction qu'un père de famille mada m'a envoyées : "Frère Jean, Bonjour ! C'est un grand plaisir pour moi de vous adresser mes sincères salutations. Vous savez, quelle que soit la vieillesse ou l'invalidité d'un père, quand il laisse ses enfants, on le pleure sans cesse. Franchement, Jean, je ne sais comment vous remercier pour les bonnes œuvres que vous avez faites à la population de la paroisse de Mayo Ouldémé, parce que je pense que même les Anges en sont témoins… surtout le soutien aux jeunes scolaires. Je vous prie d'implorer Dieu pour nous trouver quelqu'un comme vous qui pourra vous remplacer valablement. Comme tout ce que vous nous avez fait n'a pas de prix, je prie Dieu miséricordieux de vous accorder une santé permanente, la paix et une longue vie et qu'Il vous accompagne chez vous dans de bonnes conditions."

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[7] Le saré est le terme qu'on emploie au Nord-Cameroun pour désigner l'habitation d'une famille qui est constitué de différentes cases (cuisine, chambres, greniers, cases pour les bêtes).

[8] Centre International de Développement Rural.

[9] Première fraternité des Petits Frères de l’Evangile, en France.

[10] Fraternité dans l'Est Cameroun chez les pygmées Baka.

 

 

Cam 2

Visite au Cameroun de Xavier(2007)

Visite au Cameroun de Xavier(2006)